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Rachel Mwanza : de shégué à enfant star

Samedi 18 Janvier 2014 - 8:45

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Avec son visage à l'expression changeante, affichant tantôt l'insouciance d'une ado de son âge fan de Beyonce, tantôt la dureté, résultat des années passées dans les rues de Kinshasa, Rachel Mwanza, ex-enfant-sorcier, ex-shégué, s'exprime avec passion

Rachel Mwanza (©Editions Michalon)

Son cri du coeur : un appel à la conscience des Congolaises et des Congolais sur le sort qu'ils font subir à des miliers de petits innocents accusés de sorcellerie, mis au banc de la société et désignés comme boucs émissaires faciles des malheurs de leurs familles. Autant de vies sacrifiées et de talents gâchés pour ces promesses d'avenir livrés à l'enfer de la rue dès le plus jeune âge. Car si Rachel a pu s'arracher à la vie que le monde essayait de lui imposer pour finalement vivre sa destinée en devenant une actrice internationale, qui subvient aux besoins de sa famille et porte haut les couleurs de son pays aux quatre coins du monde, « pour une Rachel sauvée, combien sont encore dans la rue ? » Rachel vient de publier son livre-témoignage Survivre pour voir ce jour aux Éditions Michalon. Dedy Bilamba a prêté sa plume à la jeune fille qui ne savait ni lire, ni écrire au moment de la conception du livre pour qu'elle puisse dire au monde son histoire. Un texte fort qui nous fait entrer dans le calvaire que vivent des miliers d'enfants à travers le monde.

Quel message souhaitez-vous passer aux congolais avec votre livre ?
Je n'ai pas besoin de pitié, mais les Congolais doivent lire ce livre pour comprendre ce qu'est la rue. Quand eux dorment, nous, les enfants de la rue, on ne dort pas, on vit des choses. Dans la rue on est comme des papillons, on rammasse des choses pour se nourrir et d'autres finissent par voler. Les gens doivent s'interroger : pourquoi seulement les enfants et les femmes sont désignés comme sorciers et jamais les hommes, par exemple ? Ils mettent dehors des innocents pendant que les vrais sorciers de leurs familles se cachent, car c'est très difficile de démasquer un sorcier.  Il faut éduquer les populations pour qu'ils ne jettent plus les enfants dehors. Mais au-delà des enfants des rues, il y a beaucoup d'enfants qui souffrent dans leur propre famille, par exemple quand ils sont confiés à des tantes. Ces personnes doivent arrêter de faire souffrir les enfants des autres. On ne considère pas ces enfants, mais chacun doit comprendre que la vie d'une personne peut toujours changer en un instant tant que le coeur vit encore.  Moi, je me suis beaucoup protégée pendant que j'étais dans la rue, mais il y a des enfants qui vivent des situations pires que celles que j'ai pu connaître. Moi qu'on avait traitée de sorcière, mise à l'écart, c'est moi qui m'occupe aujourd'hui de ma famille, et ils acceptent maintenant ce que je leur apporte.

On oublie souvent que les enfants de la rue sont avant tout des enfants. On voit des fauteurs de trouble, on pense aux kulunas... Que pouvez-vous dire pour changer le regard ?
Je comprends les enfants de la rue. Quand les policiers les arrêtent, ils n'ont pas pitié de ces enfants alors que ce dont ils ont besoin avant tout est de recevoir de l'aide. Pour pardonner, il faut comprendre pourquoi les enfants de la rue deviennent méchants. Personne ne nous aide,  vous nous traitez de sorciers, vous nous jettez à la rue, c'est pour cela qu'on vous vole. Il faut avoir un grand coeur pour pardonner. Moi je l'ai fait vis-à-vis de tout ceux qui m'ont fait souffrir, car tout ce mal ne va pas m'aider à avancer. Le chanteur Zao a chanté qu'il faut essayer de tourner la page, c'est ce que je fais chaque jour.

Aujourd'hui, vous vous engagez en faveur de vos anciens compagnons d'infortune qui n'ont pas eu comme vous la chance de s'en sortir. Qu'est-ce qui vous motive dans ce combat ?
Ce combat, je le mène pour mon pays, car j'aime mon pays. Je me demande pourquoi ce phénomène des enfants de la rue n'existe pas en Europe. C'est à nos dirigeants de mettre de l'ordre dans notre pays qui est très riche.  Je crois en Dieu et je prie. Je voudrais inviter mes compatriotes à avoir un grand coeur et à pardonner. J'ai un projet de fondation avec l'Unesco qui souhaite me nommer ambassadrice de bonne volonté et porte-parole des enfants de la rue. J'attends l'accord du gouvernement congolais, qui tarde un peu, afin que cela puisse se mettre en place.

Quels sont les nouvelles de votre famille et quels sont vos projets d'avenir ?
Ma mère vit toujours en Angola, où elle a un nouveau compagnon. Mes frères et sœurs l'ont rejointe à l'exception de mon petit frère Arcel qui vit à Kinshasa avec ma grand-mère. Moi, je pars pour aller étudier à Montréal. J'écris actuellement un scénario pour un film. Je vais continuer ma carrière d'actrice et à travailler dur pour les enfants des rues.

 

La couverture de survivre pour voir ce jour (©Editions Michalon)

Après une enfance privilégiée dans la province du Kasaï, la vie de Rachel, dont la famille s'est installée à Kinshasa, bascule le jour où l'on accuse d'être une sorcière. Jetée à la rue, sans personne vers qui se tourner, elle devient une shégué, de ces enfants de la rue qui hantent les artères de Kinshasa. Repérée par une équipe de tournage qui réalise un documentaire sur les enfants de la rue, elle fait ses premiers pas sur les écrans dans le film Kinshasa Kids. Repérée pour son talent d'actrice, elle est choisie pour être l'actrice principale du film Rebelle. Ce rôle lui vaut de nombreuses récompenses internationales, dont l'Ours d'argent de la meilleure actrice du Festival du film de Berlin décroché en 2012 à l'âge de 15 ans et une nomination pour les Oscars où son film était en sélection dans la catégorie meilleur film en langue étrangère. Rachel revient dans son livre, co-écrit avec Dédy Bilamba, sur son conte de fées qui l'a fait passer de la boue des ruelles de Kinshasa aux tapis rouges du monde entier.

Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou

Légendes et crédits photo : 

Photo1 : Rachel Mwanza. (© Éditions Michalon) ; Photo 2 : La couverture de « Survivre pour voir ce jour ». (© Éditions Michalon)