Coopération et culture

Vendredi 6 Décembre 2013 - 10:38

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

Depuis que les humains ont acquis une autonomie d’existence, d’organisation des déplacements et des échanges, les deux concepts les plus interrogés pour comprendre la structuration et la vitalité des civilisations sont ceux de coopération et de culture

De culture d’abord, en ce qu’elle éclaire sur la dimension identitaire de chacun et renvoie à une territorialisation du vécu des uns et des autres. De coopération ensuite, dès lors que le passage d’un territoire à un autre induit des échanges, la nécessité de connaître l’autre et de le comprendre et enfin de déterminer ensemble les points d’intérêt commun pour un résultat mutuellement bénéfique.

Ainsi ce rapport entre coopération et culture va-t-il ouvrir la porte d’un long et complexe voyage de l’un vers l’autre, son univers, ses centres d’intérêt et les possibilités d’un dialogue qui permettra de dépasser les piliers de la tradition dont l’un et l’autre se réclament. Car, la coopération est la confrontation dans son expression la plus extrême, c’est-à-dire le conflit.

La culture, une responsabilité ?

De quelque façon qu’on la prenne, la notion de culture renvoie d’abord aux traditions territorialisées dont on est issu et dont on peut ou non se réclamer. Ces traditions sont constituées de normes de vie, de légendes et de mythes, de rites de passage pour chaque classe d’âge et des interdits qui vont avec, bref, de valeurs structurantes qui permettent à chacune et à chacun reconnu membre d’un clan ou d’une communauté de civilisation de s’armer de valeurs suffisantes pour affronter le temps et le monde. Cependant, cette culture identitaire est enrichie et atténuée par l’instruction scolaire, la lecture, la fréquentation des autres et de penseurs, les voyages et la rencontre d’univers chaque fois éloignés des traditions originelles.

On peut ici avancer sans trop de risques qu’il existe plusieurs expressions de la culture qui vont du sentiment d’appartenance à une communauté à la nécessité d’ouverture à l’autre de manière à construire avec lui quelque chose qui donne à dépasser les ancrages de départ. Dès lors, la question de la culture met en situation des notions connexes, celles de la volonté de coexistence, de la morale du vivre ensemble, de la responsabilité de dialoguer, et de bien davantage. La responsabilité, justement, est fondamentale dans l’engagement d’un partenariat avec autrui. Elle structure une autre manière de déployer sa culture dans le champ commun où l’échange oscille entre possibilité de coopération et risque de conflit. La responsabilité de dialoguer a ceci d’important qu’elle en appelle à la volonté et à la culture d’ouverture, c’est-à-dire à la marge laissée au sujet libre de l’histoire de décider, d’opter pour une forme positive d’échanges de manière à donner sens aux actes qu’il pose.

Enfin, se peut-il que l’on puisse opter pour une responsabilité de dialogue sans la prise en compte de la notion d’altérité, c’est-à-dire sans la connaissance et la compréhension de l’autre ? Or l’autre renvoie à un espace en dehors de ma propre personne, sinon plus large, « cet espace public » construit en commun. C’est en effet dans cet espace que nos identités personnelles et collectives se trouvent en situation de dialogue et de confrontation, donc de coexistence. Dans l’espace public ainsi identifié, comment construire une relation « clairvoyante » avec l’autre, clairvoyante donc empathique, respectueuse d’autrui ?

Qu’est-ce que l’autre ?

L’autre est celui qui demeure irréductible à notre propre perception. Il se trouve que souvent nous sommes trop près de nous-mêmes pour nous rendre disponibles à son écoute. Dès lors, comment passer avec lui sa différence, sa singularité si l’on ne s’éloigne pas un peu de la logique essentialiste ? Comment construire le cadre de la coopération ? Le citoyen, quand il est habité et porté par un authentique désir de dialogue, se trouve presque naturellement, en capacité d’empathie avec autrui, sa demande d’interrelation, son enthousiasme même. Cela n’est possible que si l’exercice coopératif s’inscrit dans le parti-pris de l’intérêt porté à la mutualisation des bénéficiaires de l’échange, à commencer par son approfondissent culturel. Cela n’est certes pas facile, rien n’est facile. Cependant, on ne se construit que par rapport à l’autre et surtout dans le cadre d’un projet coopératif partagé.

Culture coopérative, coopération culturelle

Culture et altérité, voilà en réalité le vrai sujet qui nous occupe ici. Les traditions culturelles, lorsqu’elles sont amenées à faire face à autrui, posent des questions d’adaptation, du légitime bénéfice à échanger, de la durabilité de la relation. Quand il se trouve que l’autre est une institution ou une nation amie, les questions posées demeurent identiques. Toutefois, dans le cadre de la relation Afrique-France, bien souvent la lecture du sens des échanges est oblitérée par le gap historique. Pourtant, un peu plus de cinquante ans après les indépendances, il est souhaitable de ne pas s’arrêter à la cicatrice coloniale et de penser une alternative équitable au long et fragile dialogue qu’investissent sans aucune permission des intellectuels, des écrivains, des poètes, des peintres, des cinéastes, des chanteurs, des chercheurs. Seulement, puisqu’il est question de culture, il faut aller au-delà de la modernité pour donner la parole aux porteurs des codes et valeurs concrètes de la civilisation africaine : les sages en gestion de l’organisation traditionnelle, les intercesseurs entre l’homme et le cosmos, les organisateurs de rites de passage, les guérisseurs, les griots, les conteurs, les représentantes de l’ordre féminin traditionnel, en tout cas toutes forces représentatives de la vitalité anthropo-sociale de la diversité africaine.

Ainsi perçue, l’action coopérative au bénéfice de la culture gagnerait à déborder les départements ministériels et autres institutions publiques et prismes urbains pour instruire un échange dans la profondeur des sociétés, leur créativité, leur diversité, leur langage ésotérique au-delà du macadam de ville. L’exposition sur la danse-spectacle kiébé-kiébé qui, après Salvador de Baya, est attendue à Cuba pourrait fort bien atterrir à Paris au musée Dapper ou au Musée du Quai-Branly pour donner à vivre aux citoyens de France un échange moins superficiel que ne le proposent certains projets.

De même, la circulation libre des œuvres de créations, des artistes qui les conçoivent, des universitaires et des écrivains pourrait davantage se consolider par l’amélioration du facteur confiance et le refus de la peur induite par le malentendu de l’immigration non maîtrisée, dont Lampedusa constitue l’un des symboles les plus négatifs. Cette circulation concernera moins Paris que les régions et le maillage des petites mairies hexagonales de France dans la mise en valeur d’une coopération décentralisée active et efficace. Car une meilleure connaissance de l’autre que nous sommes aidera peut-être, un tant soit peu, à l’abaissement des réflexes xénophobes.

Enfin, pour mieux investir nos moyens dans une coopération culturelle non seulement vers le Nord mais également vers le Sud, un certain nombre de programmes d’accompagnement et d’excellence culturelle de type appui aux initiatives culturelles ou soutien à l’amélioration de capacité des industries culturelles locales, présenteraient le grand avantage de former et d’améliorer la valeur des créateurs et des industries sur le terrain même de la délibération créative.

Somme toute, si ce qui nous a occupés est l’inépuisable question de la coopération interculturelle, ces quelques lignes sans prétention aucune ont tenté de dessiner la courbe et le cap de ce que nous devons être plusieurs à construire. La pierre de chacune et de chacun est indispensable à l’édifice du projet coopératif pour la culture et la permanence du dialogue interhumain.

 

NB : Lydie Pongault est conseillère du chef de l’État, chef du département de la Culture et des Arts, directrice de la Librairie-Galerie Congo des Dépêches de Brazzaville.

Lydie Pongault