LDB : Dorient, pouvez-vous vous présenter au public congolais ?
Dorient Kaly : Je suis Dorient Kaly, conteur, comédien et marionnettiste. J’ai commencé le théâtre en 1996, dans le cadre scolaire, à Dolisie. J’ai poursuivi mes études à Brazzaville où Fine Poaty, qui a participé aux Jeux de la Francophonie 2005, à Niamey, m’a initié aux marionnettes. Un peu plus tard, j’ai participé à stages de contes organisés par notre médaillé d’argent des Jeux de 2001, Abdon Fortuné Koumbha Kaf. Ensuite, nous avons créé l’espace culturel Tiné puis le festival RIAPL (Rencontres itinérantes des arts de la parole et du langage). Par la suite, j’ai également créé, avec Ulrich N’Toyo (qui avait concouru lors des Jeux de 2009 dans la catégorie contes, NDLR), la compagnie de marionnettes Conte Duo.
LDB : Votre parcours d’artiste est fait de rencontres et collaborations avec d’anciens participants aux Jeux de la Francophonie. Mais comment avez-vous été sélectionné pour cette édition 2013 ?
DK : Des experts organisent des sélections dans les différentes villes de la Francophonie. Comme j’étais de passage à Brazzaville, dans le cadre du festival RIAPL 2012, je me suis inscrit et j’ai été sélectionné pour mon conte Mukufiti. La troisième fois a été la bonne, puisque j’avais déjà postulé à deux reprises, sans succès.
LDB : C’est donc Mukufiti que vous avez présenté à Nice pour ces Jeux de la Francophonie. Quelle est l’histoire de ce conte, récompensé ici d’une médaille de bronze ?
DK : Mukufiti veut dire malchance dans ma langue maternelle, le vili. C’est une petite histoire que mon père m’a un jour racontée alors que je lui demandai pourquoi l’eau de la mer était salée. Pour me répondre, il m’avait narré l’histoire d'un petit garçon qui était tellement malchanceux qu’il transmettait sa malchance à tout ce qu’il touchait. Et quand il avait touché la mer, elle était devenue salée. J’avais aimé cette histoire et en grandissant, bien plus tard, j’ai fait de cette petite histoire traditionnelle un conte, en brodant autour, en y créant un univers, des personnages. C’est désormais un contre qui dure vingt-cinq minutes.
LDB : Pour présenter Mukufiti aux Jeux de Nice, avez-vous conservé l’identité congolaise du conte ou avez-vous essayé de l’internationaliser pour toucher tous les publics ?
DK : J’estime que le conte n’a pas de frontière. Il a une origine, mais il parle à tout le monde. Et comme la Francophonie prône l’universalité, l’interculturalité et l’intérêt que l’on peut avoir pour les autres cultures, j’ai conservé l’identité congolaise du conte pour leur faire découvrir mon univers grâce à un facteur commun, la langue française. J’ai l’habitude de dire que je raconte des contes d’ici et d’ailleurs, des contes pour les petites oreilles, pour les grandes oreilles, pour faire rire, pour faire peur, pour s’assagir…
LDB : Votre démarche est-elle celle d’un conteur traditionnel ?
DK : Non, je suis un conteur contemporain qui essaie de créer un pont entre le conte traditionnel et le conte d’aujourd’hui. En plus, vous savez, si je dois conter un conte traditionnel, peut-être que je ne le ferai pas de jour. Chez nous, les conteurs racontent rarement le jour, sauf si l’heure est grave. Vous savez, quand j’étais petit et qu’on nous racontait des histoires la journée, on coupait d’abord des brindilles de balai et on les mettait derrière les oreilles pour empêcher les mauvais esprits de nous attaquer. Comme ils n’aiment pas que l’on raconte des choses sacrées la journée, les mauvais esprits sont hostiles et violents, alors que la nuit, ils participent avec nous. Mais même si ce n’est plus le même contexte, l’on n’oublie pas l’essence traditionnelle du conte.
LDB : Finalement, ce conte « Malchance » vous a tout de même porté chance puisque vous êtes monté sur le podium…
DK : Oui, c’est vrai, Mukufiti m’a porté chance, mais seulement un peu… car je visais l’or et je n’ai eu que le bronze. Donc j’ai un petit pincement au cœur. Depuis ma sélection, j’avais dit à mes proches : « Je rapporterai la médaille d’or au Congo, car l’élève doit dépasser le maître. » Pour rendre hommage à Abdon Fortuné Koumbha Kaf, je voulais faire mieux que lui. Mais, ça reste une belle médaille pour le pays. Et ça me rend fier et heureux.
LDB : Quel avenir désormais pour conte, médaillé de bronze aux Jeux de la Francophonie ?
DK : Je sais que l’OIF propose et facilite des tournés ou des rencontres avec les éditeurs pour les œuvres qui ont marqué le jury. Donc, on verra si on me propose quelque chose, mais Mukufiti sera encore raconté aux petits et aux grands. Après, j’espère vraiment que nos autorités culturelles m’aideront à valoriser ce conte. Le Congo regorge de talents dans beaucoup de disciplines culturelles, et il faut que les autorités nous soutiennent davantage pour que ces talents puissent éclater à la face du monde.