Tendances : les tresses naturelles en voie de disparition

Samedi 31 Août 2013 - 10:30

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La question n’est pas à l’ordre du jour. Elle n’est pas non plus au centre des discussions entre Congolais même si elle a tout son intérêt et suscite l’inquiétude chez ceux qui se soucient de la préservation des valeurs culturelles de l’Afrique. En effet, fierté de la femme congolaise hier, les tresses, faites à la main, sur des cheveux naturels, ne sont plus du tout prisées. Les rares têtes sur lesquelles on peut encore trouver des cheveux naturels, ou tressés, appartiennent à des filles de dix ans au plus. Au-delà, on y voit que des coiffures importées, donc des « mèches » dont les femmes elles-mêmes sont incapables de dire l’origine. Comment expliquer ce mouvement collectif contre notre « culture » ?  Que faire pour que les femmes retrouvent du bonheur à se tresser à la congolaise ? Enquête au cœur d’un monde où les enjeux économiques supplantent les valeurs culturelles

À l’époque des tresses en nattes, en arabes et au fil…

Il y a quelques années, la femme congolaise se distinguait par ses cheveux tressés avec art. Lesquelles tresses faisaient à la fois la fierté de celles qui les arboraient et le bonheur de celles qui en avaient le don et le secret, les tresseuses. Selon que la nature avait, ou non, pourvu la femme de cheveux, celle-ci pouvait opter pour des tresses plaquées, ondulées, ou autres, comme celles qui pendent autour de la tête. Quelles qu’elles soient, les tresses renforcent la beauté naturelle de la femme et provoquent un effet magique. À l’instar du port du bébé sur le dos, les tresses attirent souvent les étrangers, en particulier les Occidentaux, qui n’hésitent pas à les toucher du doigt ou à les photographier pour réaliser d’importantes collections d’images sur la femme africaine. D’ailleurs, ils sont les seuls, ou les rares, à disposer de telles images au point d’organiser des vernissages sur ce « trésor immatériel ». Tellement magiques les tresses au point que nombre de grandes stars, hommes ou femmes, ont pensé adopter ce look qui fascine leurs fans et les distingue d’entre tous. L’exemple d’un joueur de foot au milieu des vingt-trois autres est assez éloquent. 

La femme aux belles tresses portée par le franc CFA 

Ce qui est dit plus haut n’est pas un commentaire de trop. À la recherche d'images pouvant figurer sur les pièces de monnaie ou les billets de banque, et alors que d’autres États plaquaient des effigies de leurs chefs, le Congo avait pensé, et bien !, sublimer la femme aux belles tresses. Son image, réalisée par de grands portraitistes, trônait là, au milieu ou dans un coin, sur les pièces de monnaie ou sur des billets de banque. Aujourd’hui encore, le FCFA continue de véhiculer cette image de la femme aux côtés des autres richesses naturelles comme le pétrole ou le bois, des activités industrielles et paysannes : agriculture, pêche et élevage. Au sujet de l’effigie de la femme, c’est un symbole et un message tout à la fois !

La marraine ou « La Marianne » ?

un autre support de sublimation de « la femme aux belles tresses » : le sceau de la République qui présente une femme, la Congolaise, feuilletant la table des lois. L’image force l’admiration non parce que cette femme lit (signe de son émancipation certes), mais surtout parce que sur sa tête on peut remarquer des tresses, des nattes plaquées, assurément, qui partent du front pour chuter sur la nuque. Naturelle. Une image de plus, s’il en faut ! Est-ce parce que les Congolais ont un faible pour la gent féminine ? Le doute est permis sur ce plan, même si dans la réalité la chose est vérifiée. La polygamie légalisée en est la parfaite illustration. Mais là n’est pas le débat du jour.

À travers cet hommage fait à la femme, avec ses tresses, il faut lire des éléments d’une culture que l’on ne trouve pas ailleurs, comme l’explique Magalie, une enseignante : « Les tresses sont la particularité de la femme noire car l’Américaine ou l’Européenne ne les pratiquent pas. Regardez les Namibiennes ou les Kényanes… Elles ont leurs cheveux naturels mais à la garçonne. Chez la Congolaise, c’est un trait de culture ». Celle qui s’exprime ainsi regrette d’avoir été emportée, elle aussi, par la vague de la coiffure importée.

D’où vient ce désintérêt à l’égard des tresses naturelles ? 

L’arrivée en Afrique noire de la télévision, l’explosion des studios de photo, et la présence des journaux et magazines  (comme La Redoute) dans les foyers a bouleversé les habitudes. À partir des années 1970, l’engouement des hommes et des femmes pour des personnages de films ou de magazines a été tel que tous se sont lancés dans une espèce de rivalité, disons de compétition, soutenue par la publicité pour divers produits cosmétiques : savons, eaux de toilette, laits de beauté, etc.

Le nec le plus ultra, ce sont les images placées sur les emballages desdits produits ou celles des grandes stars retransmises à la télévision : jolis cheveux tombant sur le dos, belle peau bronzée, dents blanches… Dans cette myriade d’images, encore en noir et blanc certes, la Congolaise n’a retenu que celle des cheveux longs et lisses et celle d’une peau de rêve véhiculée par des mannequins. Commencent alors le phénomène de perruque et de dépigmentation, donc de consommation des produits qui transfigurent, et l’adoption d’une culture venue d’ailleurs. Encore timide à l’époque, la tendance a été accentuée avec l’explosion des médias, le règne de la pub, la chute des barrières qui favorisent le mouvement des personnes d’un pays à un autre et d’un continent à un autre.

Quelle politique pour sauver ou réhabiliter les tresses naturelles ? 

Quelques religions essaient, malgré elles, de ramener de l’ordre sur ce plan. Mais c’est sans compter sur la démission des fidèles. Les écoles publiques qui ont pris le relais ont vu des enfants aller vers des établissements privés et vice versa. À l’heure de la recherche du gain, des promoteurs d’établissements ont dû abdiquer là où ceux de l’école publique se sont résignés en concluant des marchés obscurs avec des élèves. Sans commentaire ! Reste peut-être aux organisateurs de concours de beauté d’en instituer un qui promeut les tresses naturelles.

J.-F. Wabout, L.-J. Mianzoukouta et L.-G. Oko