Numéro spécial Francophonie : Francophonie, chemins d’AfriqueMardi 11 Novembre 2014 - 17:15 Si l’on en croit les projections récentes (Cf. La Langue française dans le monde, Nathan, Paris, 2010 ou Francophonie.org/IMG/pdf/1e.pdf), l’Afrique sera après demain le continent qui comptera le plus de locuteurs de français. En 2050, environ 85% des francophones, soit plus de 500 millions de personnes, devraient être africains La Déclaration de Kinshasa a synthétisé en une phrase les multiples conséquences de ces prévisions : « L’Afrique tient en son avenir celui de la Francophonie. » (Déclaration de Kinshasa. XIVe conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage. Kinshasa, RDC, 13 et 14 octobre 2012) Cette perspective soulève de nombreuses questions, notamment celle de la place de la langue française dans ce futur contexte. Rappelons tout d’abord que dans les pays de l’Afrique francophone, la langue française est loin d’être la seule langue en présence. Dans nombre d’entre eux, plusieurs dizaines de langues nationales côtoient le français, et le multilinguisme y est partout actif. Cependant, si l’on peut volontiers se ranger à l’avis de ceux, nombreux, qui considèrent que le français est aujourd’hui une langue africaine à part entière, elle reste, selon la formule d’Aimé Césaire définissant l’appartenance des Antillais à l’ensemble français, entièrement à part. Le français y est aujourd’hui une langue pour les échanges interrégionaux et internationaux, une langue de communication donc mais aussi une langue de culture et de création, une langue scientifique, une langue d’enseignement. Cette réalité complexe de l’espace francophone africain, qui trouve son origine dans le fait colonial et perdure depuis les indépendances, est riche de potentialités nouvelles et assumées : compte tenu des prévisions relatives à la croissance démographique mondiale, elle pourrait conduire la francophonie à déplacer son centre vers l’Afrique au mitan du siècle. Ce possible déplacement et sa réussite, qui devrait être versée au bénéfice des populations concernées, sont néanmoins soumis à la réalisation de plusieurs conditions. La première est une amélioration de la performance des systèmes éducatifs capable de relever les niveaux d’éducation. Cela implique que les pays de l’Afrique francophone, et notamment leurs populations, soient convaincus de la validité de la langue française pour atteindre de tels objectifs. Quelles seront les raisons qui décideront les États à s’engager sur la voie de la pérennisation et du renforcement du français dans leurs systèmes éducatifs ? Comment s’établiront les rapports avec d’autres langues internationales, l’anglais par exemple ? S’agira-t-il plutôt de concurrence ou de complémentarité ? Pour accroître son audience, le français devra démontrer partout sa capacité à devenir un levier efficace de développement. Une autre condition réside dans la place réelle qui sera accordée au français dans les programmes d’enseignement. Notons enfin que les rapports que la langue française entretiendra avec les autres langues en usage seront tout aussi importants. C’est dans le respect de ces dernières, dans la reconnaissance de leurs valeurs culturelles et identitaires, comme dans le soutien apporté à leur enseignement, que la Francophonie construira un dialogue fécond et durable avec le multilinguisme local et parviendra à bâtir un véritable partenariat entre langue française et langues africaines. Aux côtés des États souverains et à leur demande, les rôles de l’Organisation internationale de la Francophonie et de l’Agence universitaire de la Francophonie en faveur du bi-plurilinguisme dans certains programmes éducatifs nationaux et la conduite d’actions pour la formation des enseignants semblent prometteurs. Les résultats affichés par les initiatives existantes - École et langues nationales en Afrique (Élan, Elan-afrique.org), Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (Ifadem, Ifadem.org) – et leur dynamisme en sont la meilleure illustration. Cependant, sans minimiser les progrès déjà réalisés, de nouvelles étapes doivent être franchies. En 2010, la moitié des enfants non scolarisés dans le monde vivaient en Afrique subsaharienne (Cf. Rapport mondial de suivi de l’éducation pour tous 2012, Unesco, Paris, 2012). Ainsi, les véritables enjeux à l’horizon 2050 paraissent résider davantage dans la scolarisation elle-même que dans le « marché linguistique » proprement dit. Et la garantie dans les décennies à venir d’un accès à l’école pour le plus grand nombre, si possible pour tous, se pose comme un préalable. Car ce sont bien les questions de l’accès global à l’éducation et de la qualité de cette dernière qui se trouvent posées avec une singulière acuité. En Afrique comme ailleurs, l’acquisition de compétences est le plus court chemin non seulement vers un avenir meilleur mais aussi vers la formation de la main-d’œuvre dont les pays ont besoin pour assurer leur croissance dans l’économie mondialisée. C’est la raison pour laquelle la coopération éducative doit être considérée comme une priorité et devenir l’un des modes d’expression privilégiés de la solidarité en incitant notamment les États à augmenter, ou à ne pas diminuer, la part des dépenses publiques consacrée à l’éducation. L’avenir de la Francophonie « linguistique » se joue-t-il en Afrique ? Assurément. Et cet axiome se vérifiera d’autant mieux que les États de l’Afrique francophone continueront à privilégier l’usage du français dans leurs programmes d’enseignement et que les chemins de la Francophonie croiseront ceux de l’éducation pour tous. Gérard Lamoureux est ingénieur culturel. Il a été commissaire exécutif de l’exposition internationale « Aimé Césaire, pour regarder le siècle en face » présentée à Cotonou dans le cadre du VIe sommet de la Francophonie. Ancien consultant auprès de l’Unesco et directeur d’une Alliance française en Inde, il est aujourd’hui délégué général du festival des Outre-Mers à Paris Gérard Lamoureux |