Damien Helly : « Il y a un vrai besoin de recréer la confiance »

Dimanche 30 Mars 2014 - 3:45

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Damien Helly est en charge des questions relatives au programme d’action extérieure de l’Union Européenne (UE) à l’European Center for Development Policy Management (ECDPM), où il traite des dimensions stratégiques, politiques et institutionnelles des politiques de développement de l’UE avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Damien Helly est l’auteur d’un récent rapport pour le Parlement européen : La Mise en œuvre de la stratégie conjointe Afrique-Europe : rebâtir la confiance et les engagements. Entretien

Pouvez-vous dresser un rapide bilan de la stratégie conjointe Afrique-Europe ? Qu’est-ce qui a marché et pourquoi ?
Globalement lorsque les acteurs des deux continents ont travaillé dans l’état d’esprit de la déclaration politique, dans un esprit de relation d’égal à égal, ils ont trouvé des solutions pour avancer. Le partenariat fonctionne dans le domaine de la paix et la sécurité, des infrastructures principalement, car il y a des mécanismes de financement qui existaient déjà et des intérêts conjoints ; dans la discussion sur l’intégration régionale où l’on a vu des directions de l’UE qui se sont intéressées à l’Afrique alors qu’autre fois ce n’était pas le cas ; sur les questions de dialogue sur la gouvernance et les droits de l’homme, on a trouvé des solutions assez innovantes ; et enfin il y a des résultats dans la recherche et la coopération dans le domaine de l’espace. Dans ces secteurs, il y a des cofinancements africains sur des programmes de recherches conjoints, ce qui est tout à fait nouveau. Et dans le domaine de l’espace, on a à faire à une coopération très ambitieuse, destinée à établir un système de géolocalisation africain indépendant du système GPS américain. Ce qui n’a pas avancé c’est la question commerciale des Accords de partenariats économique, la question de la restitution des biens culturels ainsi que le partenariat sur les objectifs du millénaire de développement (OMD).

Que faudrait-il absolument changer pour améliorer la Stratégie conjointe ? Sur quoi faut-il se concentrer ?
Je dirai trois choses. Il faut se concentrer sur le niveau continental de coopération, cela pose la question de la subsidiarité du côté africain : qu’est-ce que seules les instances continentales peuvent gérer ? Et de la même façon du côté européen : quelle est la valeur ajoutée de l’UE pour traiter avec un autre continent ? Ce sera souvent sur des grandes problématiques comme l’intégration continentale, les grands réseaux d’infrastructures, l’harmonisation d’un certain nombre de normes. Le partenariat doit se concentrer sur tout ce qui se passe au niveau macro. La deuxième mesure est d’absolument éviter des partenariats uniquement consultatifs et lier toute discussion à des structures décisionnaires capables d’agir, car sinon on perd l’intérêt des deux parties. La troisième chose est de rétablir la confiance et l’engagement politique au plus haut niveau. Donc, se tenir à une régularité des rencontres politiques, car elles n’ont plus eu lieu depuis 2010. Ce serait le point le plus essentiel.

Il y a des différences de vues sur la réforme de la Stratégie conjointe, pas sur le fond, mais sur la forme. Un accord peut-il être trouvé à Bruxelles ? Quelles solutions imaginer ?
La question du nombre de paquets est pour moi une question technique dont je ne pense pas que les chefs d’État et de gouvernement vont discuter. À mon sens, c’est un non-sujet : on regroupe des thèmes tellement larges que dans une enveloppe on rassemble des thèmes qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Le fond de la question est l’état d’esprit et l’efficacité des structures. Là-dessus, il faut lier la Stratégie conjointe à des structures existantes de chaînes de décision et d’autorité claires et réelles. La question importante à mon sens est : y aura-t-il des ressources financières pour mettre en œuvre le partenariat, et comment ces fonds vont-ils être utilisés ? Cela va se décider après le sommet.

Les rencontres entre Européens et Africains vont donc reprendre à échéance régulière après le sommet ?
Oui, si le sommet relance une dynamique politique. La déclaration politique commune est quasiment acceptée par les deux parties, donc la relation va continuer, il y aura de nouvelles ressources financières et c’est la qualité de la discussion sur ces ressources financières qui va déterminer le climat de la relation. Même s’il y a un certain nombre de paradoxes à gérer : des problèmes de capacité, de financement inégal. Nous pensons déjà à l’après-sommet et comment les parties vont relancer une coopération concrète.

Il y a un certain nombre de sujets qui fâchent Africains et Européens : les Accords de partenariat économique (APE), la Cour pénale internationale (CPI) et la question des droits des minorités homosexuelles. Peut-on assister à des rapprochements à Bruxelles ?
En général, quand on prépare un sommet et que l’on discute des textes qui vont être adoptés, on évite les choses les plus contentieuses et on décide de ne pas en parler. La question des droits homosexuels va donc à mon avis être évacuée, car les Européens et Mme Ashton ont déjà fait une déclaration sur l’Ouganda ; par ailleurs, l’article 2 de la Charte africaine des droits de l’homme, ratifiée par tous les États africains à l’exception du Sud-Soudan, est très clair sur l’égalité de droits de tous les individus quel que soit leur statut. La question est : est-ce que les États africains respectent leurs propres engagements vis-à-vis de leur propre charte ? À cause de tout cela, je ne vois pas comment cette question pourrait arriver au sommet. Sur les APE, les Européens ont été maladroits et ont commis des erreurs dans la façon dont ils ont négocié. Ils n’ont pas été clairs sur leurs objectifs, ils ont mal communiqué leurs intérêts, ils ont été divisés entre ceux qui s’occupent du commerce, du développement et de la diplomatie. Mais en même temps les Africains ont été divisés à l’intérieur de leurs régions de négociation, et il faut bien voir que pour des leaders africains la question des APE pose la question de l’intégration régionale et d’une politique commerciale commune. Cela pose donc des problèmes de perte de souveraineté, qui est une question politique, et jusqu’à présent les Européens ont refusé de poser cette question au niveau politique. Le fait qu’il y ait eu un accord technique avec l’Afrique de l’Ouest sur les APE casse un front uni africain contre la position européenne, montre que les Africains sont divisés sur la question, et c’est un facteur de changement très fort. Sur la CPI, il y a deux choses : premièrement, une question de droit international sur laquelle l’UE estime ne pas avoir à se prononcer, car cela relève des relations entre les Africains et la Cour pénale ; la deuxième chose, c’est le lien entre les mandats d’arrêts de la cour visant un certain nombre de chefs d’État ou de gouvernement et les invitations lancées pour le sommet. Quand un président ou un chef d’État est sous mandat d’arrêt de la Cour, la Belgique est dans l’obligation de l’arrêter s’il vient sur son territoire. Il faut donc gérer diplomatiquement les invitations, notamment pour le Soudan et le Kenya, et des solutions ont été trouvées. Toute une stratégie de gestion des risques a été mise en place pour que le sommet soit un succès.

Que diriez-vous en guise de conclusion sur les relations UE-Afrique ?
De plus en plus, les deux continents sont dans une situation d’interdépendance. L’Europe a besoin des opportunités d’investissement en Afrique, et l’Afrique a besoin des investissements et du soutien européen pour se développer et continuer à émerger de façon harmonieuse. Pour résumer, je vais reprendre une citation entendue d’un représentant africain récemment : « Si l’Afrique éternue, l’Europe prendra froid. Mais si l’Europe tousse, l’Afrique risque d’être hospitalisée. »

Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou