Le dernier bus

Mercredi 17 Juillet 2013 - 12:15

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

L’entrée d’une ministre d’origine congolaise dans la vie politique italienne révèle l’autre facette de l’immigration

Raciste ou pas, la classe politique italienne est confrontée à une réalité qui s’imposera à elle pour toujours : le pays est devenu multiculturel. Les attaques répétées contre Cécile Kyenge Kashetu sont l’illustration d’un franchissement de cap culturel et sociologique. Désormais, les thèmes de l’immigration et de l’intégration ne seront plus au rendez-vous que des seules campagnes électorales. Le phénomène « amusant » de ces dernières semaines est que, peu ou prou, les politiques se voient acculés au choix d’une société qui s’impose plus qu’elle n’a été préparée et souhaitée dans ses différentes phases d’évolution actuelle.

Mais « le phénomène Kyenge » en révèle aussi un autre : c’est la mobilisation d’une immigration qui, plus que par le passé, ne se sent plus aucune raison de rester dans son coin. Et, aussi curieux que cela semble, sa prétention à exister ne se fait pas que dans le sens du chorus pro-immigration ni même pro-Kyenge : elle se donne à voir dans tous les partis de l’échiquier politique. De l’extrême gauche à l’extrême droite, les immigrés italiens se réveillent. Durant la bataille pour les municipales de février dernier, deux « Congolais » s’étaient déjà distingués. Jean-Léonard Touadi, ancien premier député d’origine africaine au Parlement, avait « bretté » littéralement contre le journaliste vedette de la RAI, Fidèle Mbanga Bauna, originaire de l’autre Congo, la RDC. Tous deux avaient été battus.

Cette fois, dans la grosse artillerie sortie contre Cécile Kyenge Kashetu, le parti xénophobe de la Ligue du Nord s’est trouvé aussi son porte-étendard « de couleur ». Sandy Cane, d’origine américaine, est née d’un père africain et d’une mère italienne. Elle est la première afro-américaine à être maire d’une commune italienne, Viggiù. Commune tellement petite qu’il faut affiner la recherche pour savoir qu’elle se situe en Lombardie, et que l’élue préside à sa destinée depuis… 2009 ! Madame le Maire est sans concession à propos de la « sister » Kyenge : « Son projet d’octroyer la nationalité aux enfants immigrés nés en Italie est tout simplement de l’arrogance à l’état pur. Accorder la nationalité aux enfants d’immigrés, c’est bientôt l’accorder aux parents qui feront ensuite venir leurs cousins ». Inacceptable pour cette originaire du Massachusetts, qui revendique une appartenance sans complexe à la Ligue du nord.

Moins anonyme mais tout aussi controversé, un autre immigré de service s’est découvert une vocation de « démolisseur » : il s’agit de Magdi Allam. Égyptien musulman, converti ensuite au catholicisme sous le prénom de Christian puis redevenu musulman par dépit, il anime un mouvement politique au nom explicite, « J’aime l’Italie ». Il ne demande rien moins que la démission de Cécile Kyenge Kashetu. En tant que ministre italienne de l’Intégration, elle fait « une fausse déclaration alors qu’elle avait juré sur la constitution. A sa première conférence de presse, elle avait affirmé qu’elle ne se sentait italienne qu’en partie », maintient l’homme dont on ne sait ce qui, du dépit et de l’inconfort de n’être ni à droite ni à gauche, ni chrétien ni totalement musulman, l’anime le plus.

L’écrivain franco-camerounais Gaston Kelman appelle cela « le syndrome du dernier bus ». Il note que dans tous les pays confrontés à l’intégration, les citoyens d’origine immigrée sont les plus rigides envers les processus visant la régularisation ou la nationalité aux étrangers. Il prend pour cela l’exemple des personnes qui attendent désespérément le dernier bus. Elles sont les plus acharnées à jouer des coudes pour y prendre place en premier, mais les plus acharnées aussi à empêcher que ceux qui suivent montent à leur tour dans le même bus : « Vous ne voyez donc pas qu’il n’y a plus de place ? ».

Lucien Mpama