Démographie : à l'horizon 2050 le Congo fera face au double défi du vieillissement de sa population et de l'intégration de ses jeunesJeudi 20 Septembre 2012 - 15:30 Laurent Nowik, co-auteur d'une étude de l'Institut national d'études démographiques (INED), et Alain Yehouessi, chargé de cours en démographie et statistiques à l'Université de Tours, reviennent sur l'évolution démographique de l'Afrique à l'horizon 2050. Selon eux, l'Afrique sera confrontée à l'intégration de sa jeunesse et à la prise en charge de ses aînés. Les Dépêches de Brazzaville : Pouvez-vous nous brosser un rapide tableau de l'évolution de la démographie du Congo-Brazzaville pour les quarante années à venir ? Alain Yehouessi : La population du Congo va doubler d'ici à 40 ans pour atteindre 9 millions d'individus. La fécondité va continuer à baisser pour se situer à 2,1 enfants par femme soit pratiquement ce que nous observons aujourd'hui en Europe. Il y aura davantage de personnes de 65 ans et plus avec l'allongement de la durée de vie. Ils représentent 5,5% de la population aujourd'hui mais seront près de 9 % en 2050. Cela représente une augmentation du double en proportion mais un quadruplement en valeur absolue. La problématique de la prise en charge de ces personnes va donc se poser. LDB : Ce vieillissement de la population va-t-il se traduire par une perte de dynamisme économique ? A.Y. : Les personnes actives, entre 15 et 65 ans, vont rester nombreuses et participer à l'activité, ce vieillissement ne va donc pas se traduire par une perte de dynamisme. La question qui se pose pour ces jeunes Africains est : y aura-t-il assez d'emplois disponibles ? En face, l'Europe aura besoin de population active. Laurent Nowik : Le vieillissement démographique n'est pas négatif en soi s'il est accompagné d'un réel décollage économique. Le fond du problème est comment une société est capable de proposer du bien-être à tous les âges. A.Y. : Concernant les jeunes, il faut pouvoir intégrer cette population dans le tissu économique. Cela passe par la mise en place de politiques de l'emploi inventives. Le secteur informel produit une grande part de richesse, il faut le faire émerger. Pour cela il faudrait mieux organiser ce secteur notamment au travers de chambres consulaires, de coopératives etc. afin de développer l'accès au crédit et à l'établissement. Il serait également bénéfique de créer des pôles multiples de développement et d'emploi afin de limiter l'exode rural. Bien souvent en venant dans les villes les jeunes issus des campagnes ne font que grossir le rang des chômeurs et des délinquants. LDB : Vous rappelez dans votre étude qu'aujourd'hui seuls les actifs ayant travaillé dans les administrations publiques et le secteur formel peuvent prétendre à des pensions retraites. Ces personnes représentent à peine 10% des personnes âgées. Quelles solutions proposer pour les 90 % restants ? L.N. : Les personnes âgées ont besoin de se voir assurer deux choses : des ressources économiques suffisantes pour vivre décemment et l'accès aux soins car des pathologies nouvelles liées au vieillissement vont apparaître. Les systèmes de santé en Afrique ne sont pour l'heure pas préparés à faire face aux problèmes de type gérontologique. De nos jours, l'accompagnement sanitaire est effectué par les familles, mais avec 4 fois plus de personnes âgées à prendre en charge par des familles de taille plus réduites, les solidarités familiales risquent de s'amenuiser. Des solidarités publiques devront être mises en place pour prendre le relai des solidarités familiales. A.Y. : Car après les enfants des rues, nous risquons d'avoir des vieillards de la rue. LDB : Quel type de réformes engager et comment les financer ? L.N. : Toutes les solutions imposeront des choix politiques forts engageant des réformes sociales et médicales. Quelques pays africains l'ont fait. Par exemple l'Afrique du Sud a mis en place un système de minimas sociaux. Le Sénégal, le Maroc et la Tunisie ont des systèmes d'accès aux soins gratuits pour les plus démunis. Le Bénin est en train de mettre en place une couverture sociale universelle. Il faut également revoir les régimes de retraite en étant inventifs. En Afrique, tout le monde travaille mais on ne peut pas transposer des solutions européennes, limitées au secteur formel. On peut réfléchir à un système de cotisation même dans l'informel. A.Y. : Certains pays ont mis en place des fonds de réserve. Pour le Congo on peut imaginer de prélever un pourcentage infime sur les ventes de pétrole ou de bois par exemple, ou bien taxer la téléphonie, les sociétés de transport. L.N. : Une bonne prise en charge des personnes âgées implique également un renforcement de la politique de santé afin de leur assurer l'accès à des centres de santé proches de chez eux, des personnels formés et l'accès aux médicaments. À l'instar de ce qui se passe en Europe du Nord, la prise en charge des personnes âgées peut même créer un nouveau bassin d'emploi avec des personnes formées à la prise en charge des soins gériatriques. À condition bien sûr de créer dès maintenant les structures de formations sanitaires adaptées. - Laurent Nowik est socio-démographe, enseignant-chercheur à l'Université de Tours, co-auteur de l'étude « L'Afrique, un continent jeune face au défi de son vieillissement », publiée dans la revue Population et Sociétés. -Alain Yehouessi est chargé de cours en démographie et statistiques à l'Université de Tours. -INED : Institut national d'études démographiques. Pour en savoir plus : https://sites.google.com/site/colloquemeknes Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou |