Afrique : les villes devenues des lieux d’incubation du changement

Jeudi 9 Mars 2017 - 17:52

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Spécialisé dans l’analyse des crises africaines et dans la représentation cartographique des élections africaines, le professeur et chercheur au LAM (Les Afriques du Monde), Christian Bouquet brosse la place des villes dans les dynamiques politiques d’un continent en mouvements.

Si les villes africaines, et notamment les capitales, affichent dans les urnes des opinions généralement défavorables aux pouvoirs en place, mais elles restent souvent minoritaires par rapport à la globalité du pays à cause d’une population rurale encore nombreuse. Cette étude s’inscrit dans le contexte du 9e Festival de Géopolitique de Grenoble, intitulé « le pouvoir des villes », qui se tient du 8 au 11 mars 2017.

Ce sont des contestations de l’ordre établi qui vise à ébranler voire à renverser les pouvoirs en place. Elles sont essentiellement portées par les jeunes. Ceux-ci utilisent des modes opératoires fonctionnant en réseaux et adaptés aux technologies modernes. Plus instruits et mieux connectés, ils dénoncent les injustices. Ce sont des mouvements citoyens qui ne débordent que faiblement sur les campagnes qui n’adhèrent pas toujours aux revendications des urbains.

En 2016,  la chanteuse béninoise Angélique Kidjo et trois groupes de jeunes militants politiques « Y’en a marre (Sénégal) », le « Balai citoyen (Burkina Faso) » et « Lucha (RD Congo) » se sont vu attribuer conjointement le Prix Ambassador of Conscience d’Amnesty International pour avoir fait avancer la démocratie, en raison de leur courage exceptionnel pour combattre l’injustice.

Mais il est difficile de préciser les critères sur lesquels on s’appuie. Christian Bouquet a fait une cartographie pour tenter d’éclairer la réalité de ces mouvements.

Cartographie des mouvements citoyens

Le contexte et l’environnement de la création de ces mouvements citoyens ont un point commun : c’est la ville, le « désordre urbain », c’est-à-dire la précarité, « la bidonvilisation », un espace public de manière informelle. Ces jeunes sont des panafricanistes convaincus. Ils initient des rencontres internationales et solidaires, comme en mars à Kinshasa où des responsables de « Yen a marre » et du « Balai citoyen » sont allés soutenir « Filimbi » et « Lucha ». Ils insistent sur la nécessité de s’engager pacifiquement, plutôt par le bulletin de vote que les armes.

Plusieurs d’entre eux ont même connu la prison. L’auteur évoque un début d’une Internationale de la jeunesse des réseaux, une population jeune plus importante dans les villes que dans les campagnes – en raison de l’exode rural et du taux de fécondité plus élevé, et aussi, en raison du  retour timide des plus âgés à la campagne ; du développement  plus  rapide de la culture démocratique  dans les villes où les urbains comprennent mieux les enjeux politiques, compte tenu de leur éducation plus poussée, du mode de vie, de la pression démographique et sociale, des difficultés socio-économiques (le chômage, les inégalités, les injustices, l’individualisme, frustrations).

Les Technologies de l'information révolutionnent l'expression des jeunes

Exprimer son mécontentement semble donc plus facile en ville, car la parole a été forgée par l’école et peut-être relayée par la proximité géographique des individus. La révolution des Smartphones a achevé de créer  l’écart avec les zones rurales, les agglomérations étant devenues le lieu de la fermentation politique la plus rapide. Les informations circulent quasiment en temps réel, notamment grâce aux réseaux sociaux (les « printemps arabes » en avaient administré en 2010-2011 la preuve), et la réactivité urbaine est évidemment favorisée par la concentration du peuplement.

L’autre facteur est la couverture rapide du continent par l’Internet et la téléphonie mobile.  C’est ainsi qu’ont émergé dans plusieurs capitales africaines des groupes de jeunes activistes qui ont organisé des mobilisations autour des difficultés de la vie quotidienne, comme les coupures d’électricité ou d’eau. Les précurseurs ont été les Sénégalais qui ont fondé « Y’en a marre » en 2011, en diffusant leur appel. Une protestation non violente qui appelait au vote protestataire. En 2012, Y’en a marre  aura pesé à la fois dans la défaite d’Abdoulaye Wade et dans son départ effectif du pouvoir.

Ce fut également le cas au Burkina Faso, où un mouvement de jeunes, le  Balai citoyen, a préparé et structuré la révolte d’octobre 2014  qui a conduit au départ de Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 27 ans. Les jeunes ont appliqué un plan insurrectionnel avec une stratégie d’encerclement et de harcèlement qui démontrait une réelle préméditation. D’autres mouvements ont émergé comme Tournons la page au Burundi, ça suffit comme ça au Gabon, Sofas au Mali, Sassouffit au Congo. Mais ces mouvement peinent à se faire entendre.

L’auteur est convaincu que dans un futur proche, les mouvements citoyens monteront en puissance dans les capitales et les grandes agglomérations africaines, ne serait- ce que pour des raisons sociodémographiques. Il est convaincu que « les villes imposeront le pouvoir de la démocratie politique aux autres pouvoirs dont elles disposent déjà ». 

Noël Ndong

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