La charte africaine des transports maritimes

Vendredi 6 Décembre 2013 - 10:34

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La charte africaine des transports maritimes a été initialement adoptée en 1994 à Addis-Abeba par l’organisation de l’unité africaine (OUA) devenue l’Union africaine (UA). Elle n’est jamais entrée en vigueur. Toutefois, elle a été révisée et approuvée définitivement par le conseil exécutif de l’Union réuni à Kampala en Ouganda en juillet 2012

À ce jour les États ci-après ont ratifié cette charte : le Bénin, l’Éthiopie, le Togo, l’île Maurice, le Gabon et, depuis le 16 octobre 2013, le Congo. Pourquoi l’Afrique a-t-elle attendu si longtemps avant de s’approprier une question de grande importance et de constante actualité ?

Les transports maritimes sont un enjeu majeur du développement économique. Leur maîtrise est devenue un défi primordial dans un continent dans lequel trente-neuf États sont côtiers, avec un littoral de 31 000 kilomètres, un volume du commerce maritime de plus de 90%, un produit intérieur brut tributaire du commerce. Ce continent a le plus grand nombre d’États sans littoral au monde, soit quinze. Mais la question qui se pose à chacun est aujourd’hui plus précise : faut-il ratifier ce texte dans un contexte dans lequel le continent doit faire face à divers maux tels que le terrorisme, la piraterie, le sous-développement économique, les trafics de drogue ?

Il convient de répondre par l’affirmative, car le but premier de la charte africaine des transports maritimes est de mettre en œuvre des politiques harmonisées des transports maritimes capables de favoriser la croissance et le développement des flottes marchandes africaines et des infrastructures maritimes, de protéger les intérêts des chargeurs, de faciliter le transport en transit, de protéger le continent contre les menaces de sûreté et de sécurité maritimes et de stimuler une coopération plus étroite entre les États de l’UA.

De même au niveau des principes, la charte ne paraît marquer aucun recul quant aux exigences de coopération maritime. Plus nettement encore que dans sa version initiale qui consacrait la solidarité et l’interdépendance des États, l’harmonisation et la coordination des politiques des États africains dans tous les domaines liés au transport maritime international et aux activités portuaires, elle consacrait déjà le droit au libre accès à la mer pour tout État membre sans littoral, sous réserve du respect des lois et règlements des États de transit. La charte révisée apporte des réponses aux défis actuels auxquels le continent doit faire face, notamment la sûreté, la sécurité et la compétitivité au niveau mondial des infrastructures et opérations maritimes et portuaires ainsi qu’une navigation maritime sûre et efficace pour des océans propres.

Pour cela, l’UA devrait encourager régulièrement les États à mener des études pour évaluer et renforcer le secteur maritime et du transport par voies navigables. Ces études effectuées, elle pourrait ensuite encourager les institutions financières à soutenir les États membres dans le cadre du développement de leur politique maritime, et, enfin, promouvoir la création de fonds maritimes. Un exemple concret pourrait être la participation de l’UA au développement du cabotage transafricain en vue de promouvoir les échanges et faciliter l’intégration socioéconomique du continent.

Cependant, moins aisée à apprécier est la non-prise en compte de la question épineuse des droits de trafic maritime dans la charte. La lecture de son préambule, en comparaison avec sa version de 1994, laisse dubitatif. En effet, on constate que le considérant sur les dispositions pertinentes de la convention des Nations unies relative à un code de conduite des conférences maritimes n’a pas été repris. Cette absence traduit l’opinion selon laquelle l’UA se serait alignée sur la position des partisans d’un libéralisme féroce qui ont toujours battu en brèche l’esprit et la lettre de la règle 40/40/20 adoptée par la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement en 1974. Celle-ci permet un système de répartition des trafics de façon à garantir une part égale aux armements des partenaires générateurs du commerce extérieur entre deux pays, tout en réservant une part appréciable aux armements tiers, les outsiders.

Cette absence mériterait d’être corrigée. On observe, d’ailleurs, au bénéfice d’une telle démarche que le code révisé de la marine marchande de la Cémac du 22 juillet 2012 a maintenu dans son corpus les dispositions pertinentes du code de conduite et le projet de code maritime de l’Organisation maritime de l’Afrique de l’Ouest et du centre qui est en cours de discussion tend également à le maintenir. Une autre disposition de la charte qui conduit à un malaise est qu’elle entrera en vigueur trente jours après le dépôt du quinzième instrument de ratification auprès du président de la commission. Cette disposition est une vraie reculade. Compte tenu de l’importance de cette charte, il est difficile de comprendre une entrée en vigueur a minima. La Commission de l’UA gagnerait à mener une campagne de ratification de la charte, avec pour objectif une ratification des deux tiers de ses membres. Cela serait conforme à ses ambitions initiales.

Au regard de ce qui précède, il ne nous appartient assurément pas de nous substituer aux dirigeants africains pour fixer « le Chemin d’avenir » maritime à emprunter. Nous dirons cependant que dans la mesure où les uns et les autres partagent le même diagnostic sur les transports maritimes, il serait grand temps de franchir les barrières de la ratification de la charte africaine des transports maritimes dans le souci constant et renouvelé de la maritimisation des économies africaines.

 

NB : Éric Dibas-Franck est docteur en droit, chargé de cours à la faculté de droit de l’université Marien-Ngouabi, arbitre Ohada.

Éric Dibas-Franck