La gouvernance : repenser la gestion des États africains

Vendredi 6 Décembre 2013 - 10:15

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Pierre-André WiltzerQu’il s’agisse de l’Afrique ou d’autres continents, les questions concernant la gouvernance des États doivent être abordées avec sérieux et objectivité. J’ajouterai qu’une certaine connaissance des réalités locales n’est pas un luxe superflu… C’est, hélas, loin d’être toujours le cas quand il s’agit des États africains, à propos desquels les clichés et les jugements à l’emporte-pièce sont si fréquents de la part d’un certain nombre d’inlassables donneurs de leçons.

La première réalité dont il faut prendre conscience est que le continent africain compte cinquante-quatre pays, appartenant à des régions très différentes les unes des autres. Chacun d’eux a sa civilisation et ses traditions, souvent fort anciennes. Chacun d’eux a son histoire particulière. Leurs niveaux de développement économique et social varient considérablement, notamment en fonction de leurs ressources naturelles.

Des zones semi-désertiques du Sahel aux hauts plateaux éthiopiens, des rivages de l’océan Indien à la forêt équatoriale, les conditions de vie des populations sont aussi différentes qu’il est possible. Une telle diversité de situations montre qu’il n’est pas sérieux de croire qu’un mode de gouvernance identique et calqué sur celui des systèmes politiques occidentaux pourrait s’installer d’emblée et fonctionner aisément dans des nations si différentes, encore jeunes et en pleine mutation.

D’ailleurs, n’oublions pas que les pays développés du Nord, en particulier en Europe, ont connu des siècles de bouleversements politiques et sociaux, voire de guerres, avant de bâtir progressivement des institutions démocratiques relativement stables et équilibrées. Est-ce à dire qu’il faille s’interdire d’exprimer la moindre opinion sur la gouvernance des pays africains ? Certainement pas.

Ils sont, comme tous les pays du monde, soumis aux regards des observateurs, des médias, des experts, et, bien sûr, des citoyens. Mais, pour celles et ceux qui croient en l’Afrique, en ses valeurs et en ses capacités, qui veulent soutenir les efforts des peuples africains pour qu’ils réussissent la mutation de leur continent d’avenir, l’important, en matière de gouvernance, est de se concentrer sur l’essentiel, dans un esprit constructif. Je voudrais à cet égard, mettre l’accent sur trois sujets.

Le premier, le plus couramment évoqué d’ailleurs, est celui de la gouvernance politique au niveau national. Plus que les mécanismes institutionnels proprement dits, l’essentiel me paraît résider dans la garantie des droits et libertés individuelles et collectives, condition fondamentale de la démocratie, ainsi que dans la possibilité pour les citoyens de désigner les gouvernants en toute transparence. À cela s’ajoute évidemment le devoir à la fois moral et politique des dirigeants d’agir dans l’intérêt général, de promouvoir le développement de leur pays, de réduire les inégalités, et d’unir tous les membres de leur communauté nationale, sans discrimination, autour d’un projet collectif mobilisateur.

Dans beaucoup de pays africains, de grands progrès ont été accomplis en ce sens au cours des dernières décennies, même si une telle tâche n’est jamais achevée. Dans d’autres, notamment dans ceux qui ont connu ou connaissent encore des crises ou des conflits, il reste beaucoup à faire. Les États africains et leurs organisations, qu’il s’agisse de l’Union africaine ou des organisations sous-régionales, sont sans doute les mieux placés pour leur apporter un appui dans ce domaine. À côté de la gouvernance politique dans le cadre de chaque nation, je voudrais mettre l’accent sur deux orientations qui permettraient aux États africains de mieux gérer un certain nombre de problèmes : il s’agit tout d’abord du développement de la démocratie locale, grâce à la décentralisation.

Donner aux collectivités locales, pas seulement dans les grandes villes, mais aussi en milieu rural, les moyens de gérer leurs affaires locales est une façon d’enraciner la démocratie sur le terrain et de mieux répartir les responsabilités. On administre mieux de près que de loin, et la participation des citoyens à la gestion des affaires locales est un facteur d’intégration et de réduction des inévitables tensions sociales.

L’autre orientation ne se situe pas en dessous du niveau national, mais au-dessus : il s’agit du renforcement de la coopération régionale. Certes, il existe des organisations dites sous-régionales comme la Communauté économique des États d’Afrique centrale (Cééac), dont le Congo fait partie. Elles jouent un rôle très utile dans le domaine économique ou dans celui de la paix et de la sécurité. Mais les États membres de ces organisations auraient grand intérêt à élargir leurs domaines de compétence, à accroître leurs pouvoirs et leurs moyens.

Comme les États d’Europe, ceux d’Afrique sont plongés dans une mondialisation où la compétition est impitoyable. Aucun de ces États ne s’en sortira seul. Il faut harmoniser les politiques nationales au sein d’organisations plus fortes et plus intégrées. Ce sont elles qui, en outre, pourront assumer la conception et la réalisation de grands projets d’intérêt commun concernant notamment les infrastructures, l’énergie, et la lutte contre les pollutions de toutes sortes.

En matière de gouvernance, quel que soit le continent considéré, on peut et on doit toujours rechercher des améliorations. S’agissant de l’Afrique, j’ai mis l’accent sur trois orientations qui me paraissent utiles et atteignables. J’ai confiance dans la capacité des Africains de relever les défis de notre temps.

Gouvernance : en trente ans, l’Afrique a drainé illicitement hors du continent 1 500 milliards de dollars
Entre 1980 et 2009, près de 1 500 milliards de dollars auraient été drainés hors de l’Afrique, dont une partie proviendrait de vols en immobilisations de nature illégale dus à la corruption, aux pots-de-vin, à la fraude fiscale, à des activités criminelles, à des transactions concernant des marchandises de contrebande et d’autres activités commerciales illicites à travers les frontières, selon un rapport de la Banque africaine de développement (BAD)
Sur le plan géographique, c’est l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale qui détiennent le record de fuite illicite de capitaux, avec 500 milliards de dollars, soit 37%, suivie de l’Afrique du Nord avec 416,5 milliards de dollars, soit 31%, et l’Afrique du Sud, 370 milliards de dollars, soit 27%. Les transferts nets enregistrés en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest s’expliquent principalement par des sorties liées aux remboursements d’emprunts et de crédits commerciaux. Ces flux financiers illicites ont des conséquences directes et indirectes sur les investissements et les revenus pour la santé, l’emploi et pour la transformation du continent.
La corruption, avec le risque et l’incertitude des économies nationales, affaiblit les mesures économiques et sociales mises en place, limitant la perspective d’une croissance plus inclusive, note l’étude, qui fait le lien entre les incitations aux transactions financières illicites et les taux élevés d’épargne et d’investissement.
Le rapport prévoit des mesures stratégiques clés pour mettre fin à la question des flux financiers illicites, notamment la promotion de la transparence dans les systèmes financiers, l’échange automatique de renseignements fiscaux, des politiques visant à restreindre les flux financiers illicites en provenance d’Afrique, une réforme fiscale en vue de l’élargissement de l’assiette fiscale, la création d’une autorité nationale de réglementation et de gestion des marchés, la réforme des procédures des services douaniers pour réduire une évaluation commerciale déficiente, et le renforcement des initiatives antiblanchiment d’argent.
Noël Ndong

Pierre-André Wiltzer

Légendes et crédits photo : 

Pierre-André Wiltzer, ancien ministre de la Coopération et de la Francophonie, ancien président de l’Agence française de développement