Amiral Marin Gillier : « La coopération militaire de la France vise l’appropriation par les Africains des instruments nécessaires pour assurer la stabilité continentale »

Vendredi 6 Décembre 2013 - 10:03

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Amiral Marin Gillier, directeur de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) au sein du ministère des Affaires étrangèresAmiral, vous venez d’être nommé directeur de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) au sein du ministère des Affaires étrangères. Quels sont, selon vous, les grands enjeux que doit aujourd’hui relever le continent africain ?

Pour répondre aux défis sécuritaires que ce continent doit relever aujourd’hui, les Africains souhaitent mettre en œuvre « des solutions africaines aux problèmes africains ». Ils sont engagés et mettent en œuvre plusieurs initiatives au niveau des États, des communautés régionales et de l’Union africaine pour construire un système de sécurité régional et continental. Un meilleur environnement sécuritaire est nécessaire pour favoriser la consolidation de la démocratie, l’État de droit, et le développement économique.
La France, qui souhaite apporter un appui à ces initiatives, a souligné cette approche dans le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale publié en 2013. De fait, la stabilisation de l’Afrique revêt pour la France un caractère prioritaire. De nouvelles formes de menaces, qui concernent aussi bien l’Afrique que la France, l’Europe et l’ensemble de la communauté internationale, exigent également une mobilisation accrue de tous et une action commune renforcée.
La criminalité transnationale et le trafic des drogues, la piraterie maritime, la dissémination des armes, la lutte contre le terrorisme constituent désormais des aspects importants de la problématique de la paix et de la sécurité en Afrique. Pour faire face à ces fléaux, il est nécessaire de s’appuyer sur des partenariats novateurs et adaptés.

Quelle est votre attente vis-à-vis des pays africains ?

La coopération militaire structurelle de la France, qui a pour premier objectif le renforcement des capacités, est fondée sur le principe de l’appropriation, par les partenaires africains, des instruments et moyens nécessaires pour assurer eux-mêmes la stabilité de leur environnement. Ce processus doit à terme aboutir à une autonomie complète en matière de sécurité et de défense.
Elle complète la coopération militaire opérationnelle conduite par le ministère de la Défense, qui œuvre davantage dans les situations d’urgence et est axée sur l’entraînement des unités et les exercices conjoints. S’inscrivant dans la durée, cette coopération structurelle vise à apporter aux États des expertises techniques variées visant en priorité la formation des cadres.
La présence de coopérants sur une grande partie du continent constitue à cet effet un levier efficace d’action jusqu’au plus haut niveau des États. Ainsi, aujourd’hui, les coopérants militaires français, en majorité des officiers supérieurs, pilotent des projets dans des domaines variés (réformes structurelles des outils de défense, organisation du commandement, des ressources humaines, de la politique de formation...), à travers des actions de conseil plutôt que sous forme d’aide directe. Il est important que nos partenaires africains apportent de leur côté les moyens nécessaires à la bonne mise en œuvre de ces projets de coopération et participent à leur évaluation. À ce conseil de haut niveau, il convient d’ajouter les expertises techniques dans les domaines policiers et sécurité civile.

Existe-t-il d’autres structures favorisant cette appropriation ?

Traduction concrète d’une volonté africaine de s’approprier la formation, les dix-sept écoles nationales à vocation régionale, soutenues par la DCSD, forment aujourd’hui annuellement près de 2 400 stagiaires africains venant de tout le continent. Maintien de la paix, sécurité intérieure, formation stratégique et d’état-major, santé, génie, déminage, administration, logistique, aéronautique, sécurité maritime… l’ensemble des domaines de la coopération est concerné. Appropriation, transparence, engagement dans la durée, rayonnement, tous les principes d’action d’un partenariat de qualité y sont réunis.
Ce réseau, unique en son genre, progresse sur la voie de la multilatéralisation. Comme exemple, l’école de maintien de la paix à Bamako, vrai succès en matière de coopération internationale, est désormais gérée par un conseil d’administration constitué de dix pays partenaires qui soutiennent son action.

Quels sont les mécanismes destinés à favoriser le processus de paix en Afrique ?

Parallèlement aux opérations de maintien de la paix, les stratégies de paix, stabilité et sécurité sont poursuivies au travers de partenariats. Le partenariat stratégique de Lisbonne, et plus particulièrement son volet paix et sécurité, en est l’un des plus emblématiques. L’objectif de cette stratégie commune est d’établir une coopération entre l’Afrique et l’Union européenne en vue d’améliorer leur capacité à réagir, de manière adéquate, aux menaces pour la sécurité du continent africain. 
En 2002, l’UA a défini une architecture africaine de paix et de sécurité (Apsa) qui, selon son acte constitutif, vise à « promouvoir la paix, la stabilité et la sécurité sur le continent ». Elle est appelée à jouer un rôle fondamental en termes de prévention des conflits, de gestion, de résolution et de reconstruction postconflictuelle. Elle comprend cinq mécanismes d’action : un conseil de paix et de sécurité, un système d’alerte rapide à l’échelle du continent, un conseil des sages, une force africaine en attente (FAA) et un cadre politique de reconstruction postconflit.
La FAA représente un élément constitutif essentiel de l’Apsa. Conformément au concept d’appropriation, son caractère opérationnel devrait permettre une prise en main africaine des opérations de soutien à la paix sur le continent.
L’objectif de cette force africaine est de s’inscrire dans une logique de coopération entre l’ONU et l’UA en procédant soit à un déploiement rapide des forces africaines, soit à un codéploiement avec une mission onusienne. La deuxième action prioritaire du partenariat Afrique-UE pour la paix et la sécurité, dont la France et l’Italie sont les chefs de file, a pour objectif de rendre pleinement opérationnelle l’Apsa.

Les problématiques sécuritaires ne se limitent plus aux frontières d’un État. Faut-il parler de régionalisation de la sécurité en Afrique ?

Même s’il reste nécessaire de poursuivre des actions bilatérales dans le domaine de la sécurité intérieure, comme en matière de défense, pour fournir aux autorités des États partenaires une expertise, de la formation et du conseil, il est essentiel d’intensifier le développement des projets qui tendent à répondre à des menaces qui, elles, sont régionales, voire globales : trafics transfrontaliers de stupéfiants, d’armes, d’êtres humains ; usage de faux documents ; insécurité aéroportuaire ; blanchiment ; terrorisme ou insécurité maritime.
Mobilisés au sein des différentes organisations régionales, les États africains initient et conduisent le processus politique et militaire qui définit la stratégie globale de gestion des crises. La France, sollicitée à ce niveau décisionnel par ses partenaires, est en mesure de leur répondre grâce au réseau de coopérants régionaux déployé par la DCSD auprès de l’UA, de la Cédéao et de la Cééac. Cette coopération structurelle de la DCSD auprès des organisations régionales et continentale africaines s’inscrit en parfaite complémentarité avec les actions développées par l’état-major des armées, via les forces françaises prépositionnées, qui soutiennent les forces de paix africaines au plan opérationnel (mise en condition avant projection, soutien logistique).
Par ailleurs, la DCSD s’appuie pleinement sur des instruments permettant d’apporter des réponses régionales : les projets de fonds de solidarité prioritaire, dits mobilisateurs. Chacun de ces projets répond à une menace transfrontalière clairement identifiée et représente à ce titre le volet multilatéral de la coopération structurelle en matière de sécurité intérieure : lutte contre le trafic de cocaïne en Afrique de l’Ouest, appui à la sureté de l’aviation civile en Afrique, appui à la formation des forces de sécurité intérieure en Afrique, justice et sécurité en région sahélo-saharienne : autant de projets visant à lutter contre l’insécurité sous toutes ses formes, favorisant une collaboration entre États d’une même région.
Cette approche régionale se retrouve également dans la formation des forces de polices et de sécurité, notamment dans le projet European Police Services Training visant, par des entraînements, à définir des standards communs de formation et de déploiement. Regroupant plusieurs pays européens, dont la France, les pays susceptibles de participer aux opérations de l’UA y sont également associés.
Ainsi, la DCSD a rejoint ce projet en 2010 et soutient l’organisation d’un stage au Cameroun au premier semestre 2014, au sein de l’École internationale des forces de sécurité, où sont d’ailleurs déployés des coopérants français.

En matière de sécurité maritime, quelles sont les actions menées par la France, plus particulièrement concernant le golfe de Guinée ?

En raison de l’accroissement des activités illicites dans le golfe de Guinée, la question de la sécurité maritime a pris une ampleur croissante dans le périmètre d’action de la DCSD. Il s’agit bien d’assister nos partenaires dans l’exercice de leurs droits souverains et de leur permettre de sauvegarder leurs intérêts dans leur espace maritime. 
L’action de la DCSD en matière de soutien à la sécurisation des espaces maritimes s’appuie sur quatre principes. Premièrement, il s’agit d’éviter toute substitution durable aux forces de sécurité des États côtiers en attachant une grande importance à la formation et à l’entraînement des marines ou institutions locales. Deuxièmement, il convient de privilégier une approche interministérielle qui repose sur un traitement intégré et une chaîne de commandement si possible unifiée, en s’appuyant sur le concept français d’action de l’État en mer, et permettant de faire travailler ainsi ensemble toutes les administrations actives en mer (marine, douanes, police, gendarmerie, affaires maritimes, justice, environnement, transports, protection civile…).
Troisièmement, il faut s’intégrer dans une approche globale qui appréhende l’espace maritime avec sa composante terrestre et dans une perspective non exclusivement sécuritaire : sauvetage des biens et des personnes, protection de l’environnement, soutien aux pêcheurs, développement des ressources halieutiques en dehors des zones d’interdiction de pêche, lutte contre les activités illicites. Enfin, il convient de s’inscrire dans un cadre multilatéral permettant la coordination des efforts, et la mobilisation des instruments de l’UE et des Nations unies (Pnud, ONUDC), tout en s’appuyant sur les organisations régionales et sous-régionales africaines (UA, Cédéao, Cééac).
Ainsi, pour tenter d’améliorer la capacité des États du golfe de Guinée à exercer leur souveraineté dans leurs eaux territoriales, la DCSD a mis en place un projet d’appui à la réforme du système de sécurité maritime. Ce projet développe des activités au profit de plusieurs pays sur la période 2011-2015.
Même s’il fait principalement appel à la marine, il s’agit fondamentalement de missions relatives à l’ordre public en mer, réalisées avec des moyens civils et militaires. 

Et pour le Congo, quelles sont vos priorités en matière de coopération ?

L’École nationale à vocation régionale Génie-travaux, située à Brazzaville, constitue sans nul doute ma priorité au Congo. Ouverte officiellement en 2010, cette école poursuit sa montée en puissance. Chaque année, elle forme plus d’une centaine de militaires africains aux différentes opérations d’infrastructure (terrassement, conduite d’engin, travaux publics). Sa spécificité réside dans le caractère dual de son enseignement, c’est-à-dire une formation utilisable à des fins militaires et civiles. Par ailleurs, cette école s’inscrit dans le continuum sécurité-développement. À ce titre, nous ambitionnons peut-être un jour, en accord avec les autorités congolaises, que cette école puisse former du personnel civil.

 

 

 

 

 

 

Lutte contre le terrorisme : l’avenir du continent en jeu

Le terrorisme menace l’Afrique, et les États ne disposent pas tous des mêmes moyens pour endiguer ce fléau. Si Aqmi terrorise l’Afrique de l’Ouest à l’instar de Boko Haram, à l’est les autorités kenyanes et éthiopiennes sont sur le qui-vive. Analyse

Comment l’Afrique va-t-elle assurer sa sécurité et sa propre souveraineté sur son continent ? La lutte antiterroriste est le défi majeur du continent au vingt et unième siècle. Si Aqmi s’est fait remarquer par son implantation au Nord-Mali et au Niger, la coopération africaine a mis du temps à répondre de manière efficace. La guerre contre le terrorisme représente également un coût élevé. Ainsi, a-t-on appris sur le site internet Meretmarine.com que la guerre contre les pirates somaliens avait coûté 6 milliards de dollars en 2012. Une somme importante, mais en net recul, avec une baisse de 12,6% par rapport à 2011. Enfin, le continent n’en a pas fini avec les conflits internes. C’est le cas en Centrafrique depuis le départ du président François Bozizé.
Rudy Casbi

Propos recueillis par Noël Ndong

Légendes et crédits photo : 

Né le 27 novembre 1957, l’amiral Marin Gillier, diplômé en ingénierie et de l’École navale, occupe la fonction de directeur de la coopération de sécurité et de défense, au sein du ministère des Affaires étrangères français depuis le 1er août 2013. l’amiral Marin Gillier est également intervenu sur plusieurs fronts au cours de sa carrière : au Rwanda, en 1994 et en Somalie en 2008 lors de la libération de 30 otages du Ponant en 2008.