Numéro spécial Francophonie : Jeunesse, violence et paix en Afrique, une relation complexe

Vendredi 14 Novembre 2014 - 6:45

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Les jeunes, qui représentent plus de la moitié de la population africaine, constituent un gigantesque potentiel pour le développement. Mais, laissée pour compte, la jeunesse est tout autant une menace pour la paix et la démocratie

Kevin AdouLes jeunes, acteurs et victimes de la violence

L’une des clés pour l’instauration d’une paix sociale durable réside dans la formation et l’insertion professionnelle des jeunes. La raison est simple : à travers toute l’Afrique, les conflits des factions recrutent leurs contingents dans la jeunesse marginalisée ou socialement exclue. Plusieurs études scientifiques montrent que le manque d’accès aux ressources et aux opportunités économiques ainsi qu’aux services de l’État (particulièrement en matière d’éducation) a été la principale cause de l’enrôlement des jeunes combattants. Certes, la pauvreté des jeunes ne constitue pas la cause principale des conflits, mais elle engendre le désespoir qui alimente les tensions.

Par ailleurs, lorsque les conflits armés éclatent, l’impact dévastateur sur les jeunes est énorme. En temps de conflit, bon nombre de jeunes peuvent se retrouver bloqués dans « l’âge de l’attente » (waithood, Singerman 2007) sans pouvoir faire leur entrée dans l’âge adulte. Dans un contexte de conflit, par exemple, il est fréquent que les jeunes soient encore plus touchés par le chômage que d’autres groupes de population, et les frustrations générées par cette situation perdurent parfois longtemps après la fin de la guerre. C’est à juste titre qu’Ahmedou Ould Abdallah disait que « le chômage alimente la violence, et la violence alimente le chômage ».

La jeunesse, une force émergente sans repères

Les jeunes sont certes victimes et instrumentalisés, mais ils peuvent tout autant être rebelles, leaders et manipulateurs à leur tour. Ils échappent, dans bien des cas, au contrôle de ceux qu’on considère comme étant leurs « parrains ». Ce fut le cas en Côte d’Ivoire de Guillaume Soro et de Charles Blé Goudé. Au Burkina Faso, les jeunes se sont engagés, à différents moments de l’histoire de leur pays, dans des combats politiques contre le régime en place. En octobre 2014, ce sont les jeunes Burkinabés, rassemblés au sein du mouvement le Balai citoyen, qui ont pris l’initiative d’engager une manifestation de rue qui a obligé Blaise Compaoré à quitter le pouvoir en renonçant au dessein de révision constitutionnelle qui lui permettrait de briguer un autre mandat (après 27 ans à la tête du pays).

Des acteurs clés pour la prévention des conflits violents et la consolidation

Les jeunes sont porteurs d’une forte demande sociale pour échapper à l’extrême pauvreté. La société doit prendre en charge leurs besoins élémentaires et impliquer les jeunes dans la recherche par eux-mêmes de solutions durables. La violence des jeunes est bien souvent l’expression d’une révolte contre la société qui les marginalise et ne les écoute pas. Les revendications des jeunes sont étouffées ou réprimées violemment par les forces publiques qui accordent très peu d’importance à leurs besoins et préoccupations. La seule alternative qui s’offre à eux s’avère finalement celle de la violence (des « casses », de la rébellion…).

Les jeunes peuvent être un moteur de changement et de paix à condition que les États soutiennent leur rêve en leur donnant la capacité d’orienter positivement leur futur et celui des sociétés politiques. Le défi de l’emploi est fondamental. L’emploi permet aux jeunes d’avoir un statut et un pouvoir économique, et il augmente leurs possibilités d’intégration. Mais être jeune, actif et sans-emploi, c’est vivre une angoisse permanente quant à son avenir, c’est être de plus en plus dépendant et exposé à la manipulation.

L’éducation à la citoyenneté apparaît comme un autre aspect fondamental, car elle aide les jeunes à exercer leurs responsabilités de citoyens dans une société démocratique. Les dérives observées dans l’engagement politique des jeunes s’expliquent en partie par leur manque d’éducation au politique. Dans le système d’éducation formelle, les écoles tendent toujours davantage à enseigner et transmettre des connaissances principalement livresques et de moins en moins à éduquer. La violence et l’incivilité, la mauvaise gouvernance, la corruption généralisée, la déstructuration de l’État et le désordre ont pris le pas sur l’engagement citoyen, et la plupart des jeunes se retrouvent sans aucun repère.

L’énergie, la capacité de créativité et d’innovation de la jeunesse sont un couteau à double tranchant. Si les leaders politiques n’assument pas pleinement leurs responsabilités en créant les conditions d’un épanouissement de la jeunesse, celle-ci accumulera les frustrations qui la transformeront en un monstre violent contre sa propre sa société ou initiera des révolutions contre les gouvernants. « Les jeunes sont plus enclins à éviter la violence et à s’investir dans des activités de consolidation de la paix si on leur offre un ensemble bien précis de possibilités liées et complémentaires appelé “conditions minimales pour la construction de la paix” : participation à la vie politique, création de liens entre les jeunes et leurs communautés, constitution de groupes pacifistes, formation des jeunes à la vie professionnelle et renforcement de la confiance et de l’estime de soi des jeunes. » (Alan Smith et Christine Smith Ellison, Les Jeunes, l’Éducation et la Consolidation de la paix, Forum des politiques éducatives de l’IIPE, Unesco, Paris, 16-18 octobre 2012)

Kevin Adou est spécialisé dans la conception et le management de programmes dans les domaines de la prévention des conflits et de la consolidation de la paix. Titulaire d’un diplôme d’études approfondies en culture de la paix et action humanitaire, il a travaillé pendant huit ans au Centre de recherche et d’action pour la paix à Abidjan, un centre social et intellectuel jésuite à vocation sous-régionale œuvrant dans la recherche et la formation en gestion des conflits et paix, droits humains et développement durable. Depuis deux ans, il exerce les fonctions de directeur pays de Cord au Tchad. Cord est une ONG internationale basée au Royaume-Uni, travaillant aux côtés de partenaires locaux dans des pays affectés par les conflits pour traiter les causes profondes des conflits

Kevin Adou