Numéro spécial Francophonie : L’Afrique, avenir de la francophonie

Vendredi 14 Novembre 2014 - 4:30

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Les propos qui vont suivre ne se veulent pas un regard égotique du continent africain sur ce qu’est ou ce que serait son apport à la survie du français par l’épanouissement de la francophonie. Elles ne sont pas non plus un exutoire de complexes contenus vis-à-vis des pays francophones industrialisés du Nord pour réclamer reconnaissance et respect

Lansane Kouyaté

L’Afrique n’est pas seulement l’avenir de la Francophonie, mais aussi le continent d’où est venue principalement sa naissance. En mars 1970 y est née l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) issue de la lutte acharnée de, entre autres, Hamani Diori du Niger, Léopold Sédar Senghor du Sénégal et Habib Bourguiba de Tunisie. L’ACCT sera remplacée en juin 2005 à Antananarivo par l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF). Entre temps, en 1995, fut adoptée à Cotonou la résolution créant le Secrétariat général de la Francophonie, dont les deux premiers titulaires seront évidemment africains, tout comme la sagesse pourrait recommander que le soient leurs successeurs.

L’avenir de la francophonie ne se mesure pas par l’évidente participation réussie des Africains à la faire germer, mais par ce qui pourrait être appelé les fondamentaux de sa consolidation et de son expansion. Ces fondamentaux s’intituleraient démographie, économie, géographie et brassage linguistique. Voyons ce qu’a été l’évolution des statistiques dans ces différents domaines. Sur 54 pays africains, 43 sont aujourd’hui membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Il s’agit de quinze pays en Afrique occidentale, dix pays en Afrique australe, huit pays en Afrique centrale, six pays en Afrique du Nord, et quatre pays dans l’océan Indien.

Certains de ces pays n’ont pas le français comme langue officielle : le Cap-Vert (lusophone), l’Égypte (arabophone), la Guinée-Bissau (lusophone), le Ghana (anglophone), le Mozambique (lusophone), Sao Tomé et Principe (lusophone). La population africaine ayant en partage le français a été en progression continue : de 79 millions en 1997, elle a atteint 115 millions en 2006, 120 millions quatre années après, c’est-à-dire en 2010. Aujourd’hui, en 2014, elle est estimée à 370 millions. Toutes les projections faites par les démographes et les linguistes s’accordent sur 837 millions d’Africains locuteurs français en 2050, qui représenteraient 85% des francophones au monde.

Parmi les pays non membres de l’OIF dont la situation géographique pèse lourdement dans la tendance à la locution française, il y a le Nigeria. Pays de 177 millions d’habitants aujourd’hui, le Nigeria est presque entièrement entouré de pays francophones : Bénin, Cameroun, Tchad et Niger. Comme conséquence logique de ce que la géographie impose, le gouvernement nigérian a lancé, depuis la fin des années 1990, un vaste programme d’enseignement du français.

Aussi il n’est pas superflu de signaler que le Nigeria est l’un des plus grands pays d’émigration vers les pays francophones d’Afrique, où l’apprentissage du français devient inévitable. Les projections donnent au Nigeria, classé septième pays le plus peuplé du monde à cette date, la troisième place en 2050 (avec 440 millions d’habitants), après la Chine et l’Inde. Cette croissance démographique phénoménale aura sans nul doute des répercussions sur l’émigration vers les pays voisins et non voisins francophones. Le taux de natalité dans les pays francophones d’Afrique est sans nul doute un autre facteur de l’importance qu’ils auront par rapport à ceux du Nord, dont le taux ne cesse de reculer ces dernières années.

Selon les statistiques de l’ONU, l’Afrique francophone comptera plus de 80% de jeunes de 15 à 29 ans en 2050. Au plan économique, l’Afrique de façon générale et l’Afrique francophone de façon particulière, gagne en confiance dans l’entrepreneuriat sectoriel. Qu’il s’agisse de l’industrie, de l’agriculture, du secteur tertiaire, les initiatives d’envergure se multiplient, entraînant un taux de croissance de 4% en 2013 alors que le monde développé ne fait pas mieux avec 3% sur la même période. Au même moment, l’Afrique francophone a réalisé un taux de croissance de 3,9%. Quant aux ressources naturelles, il est facile de savoir que l’Afrique en a de larges potentialités sur une superficie totale de trente millions de kilomètres carrés couvrant 20% de la superficie des terres émergées de notre planète. Les pays francophones d’Afrique sont bien pourvus en ressources naturelles de toutes sortes. Rien qu’en Afrique centrale, les réserves de pétrole sont estimées à 32 milliards de barils. Les potentialités hydroélectriques de l’Afrique francophone représentent plus de 60% de celles du continent.

Deuxième réserve forestière mondiale, les pays francophones d’Afrique centrale à eux seuls absorbent 500 millions de tonnes de carbone par an. Les autres matières premières abondantes et variées sont réparties sur tous les pays francophones d’Afrique : pétrole, or, bauxite, diamant, cuivre, coton, sans compter des millions de kilomètres carrés de terres arables attendant d’être mises en valeur.

D’un point de vue strictement linguistique, le français populaire d’Afrique (parce qu’il y en a un) tend à devenir dans certains pays Africains une langue presque maternelle parce que parlées dans les familles aux quatre coins des villages les plus reculés. Si cette expansion s’est réalisée en terre africaine, c’est sûrement parce que le français, celui qui a été promu par la pléiade et défendu par la Révolution française, n’a pu faire obstacle à la pénétration de nos dialectes faisant confluer le chatoyant de l’Hexagone et le pétillant mimé de nos contrées les plus reculées. La beauté du français est ainsi devenue joviale et ludique sans rien enlever à ses justes expressions. Aujourd’hui et certainement plus encore demain, il est permis de parler de copropriété de la langue entre l’Afrique et les pays francophones du septentrion.

Cette assertion m’est beaucoup plus acceptable que le concept de codéveloppement, impropre entre celui qui est développé et celui qui ne l’est pas. Contre toutes bonnes tendances, il peut y avoir des réalités handicapantes. Malgré quelques efforts fournis, le français est encore menacé par des réalités pas simples, mais palpables. Les sciences et les technologies restent largement dominées par l’anglais. Les difficultés d’obtention de visas pour les pays francophones du Nord déjà détenteurs du savoir scientifique et technique par des catégories socioprofessionnelles tendent à la propension de celles-ci à se tourner vers les pays anglo-saxons. Il faut reconnaître que le non-retour des cadres africains crée autant de problèmes au Nord qu’à l’Afrique.

Il favorise les pays du Nord lorsque leur domaine d’exercice est déficitaire, mais les défavorise lorsqu’il est en équilibre ou excédentaire. Une réglementation mutuellement avantageuse doit être élaborée pour donner son plein sens à la copropriété d’une langue que nous aimons bien.

Lansane Kouyaté est un diplomate et homme politique guinéen, président du PEDN (Parti de l’espoir pour le développement national), ancien Premier ministre de Guinée, ancien représentant spécial adjoint du Secrétaire général de l’ONU en Somalie (Onusom II), ancien représentant permanent de la Guinée auprès des Nations unies puis vice-président du Conseil économique et social, ancien secrétaire général adjoint au département des Affaires politiques de l’ONU, ancien secrétaire exécutif de la Cédéao

Lansana Kouyaté