« Il ne faut pas croire qu’une troisième transition s’installera en Centrafrique ou que celle actuellement en cours se prolongera indéfiniment ». Ces propos sont ceux tenus à Bangui, le 18 octobre, par le ministre congolais des Affaires étrangères et de la Coopération, à l’endroit des forces vives de ce pays. Basile Ikouebé avait été spécialement dépêché dans la capitale centrafricaine par le médiateur international de la CEEAC, le président Denis Sassou N’Guesso. Mission : s’enquérir de la situation suite à la recrudescence des violences près de trois mois seulement après le forum inter-centrafricain de Brazzaville et un mois après le déploiement de la MINUSCA.
Accompagné notamment du représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique centrale, Abdoulaye Bathily, et du représentant de l’Union africaine, Soumaïla Boubey Maïga, co-médiateurs, le ministre IKouébé a eu, dans un premier temps, chacun sur son lieu de travail, des entretiens séparés avec la présidente Catherine Samba Panza, le président du Conseil national de transition, Alexandre Nguendet, et le Premier ministre, Mahamat Kamoun. Puis, un second round des entretiens a réuni, au palais présidentiel, la délégation venue de Brazzaville avec les trois principales autorités de transition.
Le but, a expliqué plus tard l’émissaire spécial du président Denis Sassou N’Guesso, était de les écouter sur les questions qui menacent la transition et de partager avec eux les analyses du médiateur. Elles se résument en la sécurisation de Bangui et de l’intérieur du pays grâce au déploiement de la MINUSCA et l’accélération du calendrier de la transition.
Rencontre avec les forces vives
Ce ballet a duré cinq longues heures, pour déboucher sur la grande réunion tenue avec les forces vives centrafricaines dans un hôtel de la place. Ici, le ministre des Affaires étrangères est entouré de l’ensemble des acteurs impliqués dans la médiation : les généraux Babacar Gaye, chef de la MINUSCA, Jean Marie Michel Mokoko, représentant spécial de la présidente de l’Union africaine, Noël Léonard Essongo, représentant du médiateur, les envoyés spéciaux Bathily, Boubey Maïga et celui de la Cééac. Les délégués des partis politiques, des groupes politico-militaires (ex-Séléka et Anti –Balakas compris), de la société civile, pour ne pas parler de tous les belligérants parties prenantes aux différents accords de paix, en particulier celui de Libreville, en janvier 2013, et celui plus récent de Brazzaville, signé le 23 juillet dernier, étaient présents.
Dans son mot liminaire, Basile Ikouébé est allé droit au but : « Nous sommes venus vous écouter et vous faire passer le message du médiateur. La dégradation de la situation sécuritaire ne pouvait pas laisser la médiation indifférente. Le président Denis Sassou N’Guesso était déjà préoccupé des suites réservées à l’accord de Brazzaville. Nous pensions qu’avec cet accord, nous nous étions engagés sur une nouvelle étape menant vers la fin de transition, que nous allions éviter les principaux obstacles constitués par les querelles de personne, l’instabilité et les menaces à l’ordre public », a-t-il regretté.
Le ministre a poursuivi son propos en signalant comme « un mauvais signe » de départ, le retard pris dans la mise en place du gouvernement post-forum de Brazzaville. Il a qualifié de « pire scénario » pour la communauté internationale, les violences qui s’enchaînent, indiquant qu’il n’est pas question de supposer que la communauté internationale souhaiterait retarder la fin de la transition. « Les difficultés de parcours ne sont pas une raison pour se décourager et ce n’est pas au moment où les partenaires se mobilisent que les acteurs centrafricains doivent montrer que la Centrafrique est un pays ingouvernable », a lâché Basile Ikouebé, pour qui les dirigeants centrafricains à qui il parlait ne doivent pas oublier que leurs compatriotes sont aujourd’hui voués à l’errance dans des pays voisins, lesquels se dépensent tant pour la cause.
Révolte, désespoir, accusations…
Les échanges qui ont suivi ce mot introductif de l’émissaire du médiateur ont permis de mettre en lumière l’état d’esprit des acteurs en présence. Tantôt, il était question, pour les différents orateurs, de montrer du doigt la communauté internationale, accusée d’avoir échoué dans sa mission, tantôt on entendait des appels à plus de fermeté à l’endroit des fauteurs de trouble, tantôt aussi la défense de ces mêmes fauteurs de trouble considérés par certains intervenants comme des héros, surtout lorsqu’ils ne survivent pas à leurs expéditions punitives contre de prétendus ennemis.
De façon générale, on perçoit chez les Centrafricains un sentiment mêlant révolte, angoisse et désespoir. Révolte en considérant que la MINUSCA et son chef ne font rien, angoisse et désespoir, justement parce qu’ils pensent que cela a trop duré et que leur pays ne s’en sortira pas ; parce que les Centrafricains estiment aussi que les autorités en place ne communiquent pas assez sur le travail qu’elles font ; qu’elles ont été incapables d’expliquer à la population les termes de l’accord de Brazzaville. Pour Basile Ikouébé, la tendance à juger trop tôt l’incompétence des troupes étrangères venues au secours d’un pays en proie au chaos est très préjudiciable. Il a rappelé qu’en son temps, le contingent tchadien avait essuyé cet opprobre et fini par s’en aller, ce fut ensuite le tour de la MISCA d’être malmenée, et ensuite la MINUSCA qui vient à peine de s’installer. « La solution idéale est l’organisation des élections » a-t-il martelé.
Accélérer la transition en vue des élections
Le Forum de Brazzaville prévoyait entre autres, des consultations politiques à travers les seize préfectures de la Centrafrique, avant la tenue d’un dialogue politique national à Bangui. Irréalisable désormais au regard du retard pris dans la mise en place du gouvernement et de la multiplication des violences sur le terrain. C’est ainsi que la médiation préconise que ce dialogue se tienne au plus tard d’ici la fin de cette année, quitte à ce que les préfectures y soient représentées de façon consensuelle.
L’idée est que l’année 2015 serve essentiellement à l’organisation des élections générales dont les premières balises devront être posées dans le moment présent. « Que ceux qui ont des revendications attendent la convocation de ces assises nationales pour en exposer les grandes lignes aux instances de la transition qui en tiendront compte. Ne comptez pas sur les barricades pour espérer faire échouer les institutions en place et voir l’installation d’une troisième transition », a encore insisté Basile Ikouébé.
Appelant les parties centrafricaines à privilégier une solution politique à la crise qui gangrène leur pays, le ministre des Affaires étrangères a au cours de la conférence de presse qui clôturait sa mission recommandé la tenue de la sixième réunion du groupe international de contact sur la Centrafrique le 7 novembre prochain. C’est à cette occasion, a-t-il déclaré, que sera élaborée une feuille de route avec des axes précis sur « les questions de sécurité, de calendrier électoral, des questions humanitaires, de gouvernance économique et financière ».
Le don angolais un « mauvais » débat
Enfin, à la question d’un journaliste qui demandait son commentaire sur la gestion du don angolais de 10 millions de dollars US, pour lequel près de 2,5 millions auraient été ou dissimulés, ou mal gérés, le ministre a fait état d’un débat « malsain », qui n’honore pas la Centrafrique. « Vous ne devez pas donné à penser que pendant que votre pays est assisté financièrement par ses partenaires, il se trouve des personnes pour prendre cet argent à leur compte personnel ».
Il est vrai que cette question, mise sur la place publique, a créé des frictions parmi les trois principales institutions de la Centrafrique. « Devant la présidente de la transition, et en présence du Premier ministre et du président du Conseil national de transition, nous avons demandé de trouver une formule pour mettre fin à ce débat malsain », a conclu Basile Ikouébé reconnaissant qu’il y avait pu avoir, peut-être, un vice de procédure dans l’engagement des dépenses liées à ce fonds.
Le soir, en quittant Bangui qui l’avait accueilli avec sa délégation en matinée sous une petite pluie, l’émissaire du président Denis Sassou N’Guesso, médiateur de la CEEAC sur la crise centrafricaine, avait le sentiment d’une mission accomplie. Même si la donne centrafricaine reste complexe comme le montre la dissémination des forces en présence aux intérêts divergents, sa bonne mine pour cette étape franchie en faisait foi. En prenant place à bord du Falcon qui le transportait sur Brazzaville, il a immédiatement tombé son veston préférant se détendre chemise-cravate un brin de sourire.