Religion : guerre sainte contre guerre juste ?Samedi 23 Août 2014 - 14:30 Malmenés partout, les chrétiens sont tiraillés entre la tentation de se défendre et la conviction de poursuivre le dialogue avec les religions qui les persécutent « On ne peut faire la guerre au nom de Dieu. On ne saurait haïr l’autre au nom de Dieu ! » Ces deux affirmations sont du pape François, de plus en plus préoccupé par « les violences inouïes » infligées aux chrétiens d’Irak par le mouvement djihadiste de l’EII (Etat islamique en Irak). Dans la vallée de Ninive, terre biblique d’implantation de la minorité chaldéenne, les catholiques d’Irak, les islamistes n’ont donné le choix aux minorités qu’entre partir sans rien emporter, se convertir à l’islam ou payer l’impôt des minorités non-musulmanes. En quelques jours, fin juillet, plus de 100.000 chrétiens se sont déportés en masse vers le nord-ouest, au Kurdistan où ils étaient relativement à l’abri. Leurs compagnons d’infortune de la communauté yazidi, qui pratique une religion non-musulmane et antérieure à celui-ci, sont venus eux aussi trouver refuge dans cette partie de l’Irak où le peuple kurde lui-même est à couteau tiré avec le gouvernement central de Bagdad. Cette relative quiétude a volé en éclats lorsque l’EII a attaqué les kurdes, s’emparant du barrage hydroélectrique de Mossoul, le plus grand d’Irak. Aujourd’hui, les islamistes semblent connaître un retournement de situation puisque le barrage de Mossoul a été repris par les Kurdes, que les États-Unis ont appuyé la contre-offensive par des frappes aériennes décisives et que les nations occidentales, France et Italie notamment, ont décidé qu’il fallait, au moins, fournir des armes aux Kurdes. Personne ne l’a dit explicitement mais derrière les déclarations indignées, et le souci de stopper les exactions, le monde redessine les contours d’une vraie guerre de civilisations, d’un choix entre l’obscurantisme et la liberté (aux critères de l’occident) ; entre la guerre juste des chrétiens et la guerre sainte des islamistes. Il est vrai que l’éclatement de nombreux conflits à matrice religieuse sur la planète a de quoi inquiéter. Le pape François estime que, mine de rien, le monde vit une troisième guerre mondiale qui ne veut pas dire son nom parce que morcelée et disséminée en divers endroits de la planète. Son inquiétude de voir partout les chrétiens faire les frais d’une vraie furie de conquête est patente. Quand les Shebabs, islamistes armés, décident de reconquérir le pouvoir perdu en Somalie, ce sont les églises du Kenya qui flambent en premier les prêtres chrétiens qu’ils assassinent. Si aujourd’hui bon nombre de jeunes filles nigérianes détenues par Boko Haram depuis avril sont des musulmanes, l’activisme de cette milice armée du nord-Nigéria est avant tout dirigé vers les chrétiens. Boko Haram veut dire en haoussa « les livres sont interdits » (de ‘boko’= book et ‘haram’ = interdiction). Autrement, tout ce qui représente l’occident doit être banni sur la terre d’islam que représenterait le nord du plus grand pays peuplé d’Afrique. Résultats : des églises et des temples ont flambé à Maiduguri ou à Kano ; des fidèles en prière sont morts mitraillés un dimanche, en plein office. La situation était identique au nord du Mali lorsque des mouvements islamistes s’y sont développés, mêlant revendications identitaires et irrédentisme religieux. Plus près de nous en Centrafrique, les précautions de langage n’arrivent plus à masquer la nature profonde de la crise qui s’y joue avec, par exemple cette semaine, des manifestations contre les soldats français à Bangui accusés de « maltraiter les musulmans » et de « favoriser les chrétiens », de « diviser le pays ». Les évêques de ce pays interdisent que les antibalakas soient présentés comme une milice chrétienne : « l’Eglise n’a pas de milice ! », ne cesse de marteler l’archevêque Dieudonné Nzapalainga à Bangui. Il n’empêche : lorsque leurs adversaires en face, les Sélékas, prennent de mire églises et écoles chrétiennes avant tout, cette dénégation devient de pure forme et car la réaction qui vient a des contours nettement identitaires. Où les musulmans sont accusés, dans leur globalité, d’être les partisans des auteurs d’exactions, « ceux qui ont plongé la Centrafrique dans la crise et qui tiennent à la partition entre un nord à eux et un sud chrétien », il ne faut pas rester loin pour entendre être accusé de se servir du bouclier des interventions actuelles, le Tchad excepté justement. Il est licite d’arrêter un agresseur Dans ce contexte, que peuvent faire les chrétiens : réagir ? Courber l’échine ? Tendre l’autre joue ? Se présenter sur le champ des batailles furieuses armées des seules branches d’olivier ? La question a été posée au pape, de retour de Corée. Que peut faire la communauté des chrétiens devant le spectacle des crucifixions – au sens propre – qui se multiplient en Irak, les rapts de femmes chrétiennes, les décapitations ? « Je peux dire qu’il est licite d’arrêter l’agresseur. Je souligne le verbe : arrêter, je ne dis pas bombarder. Nous devons avoir de la mémoire : tant de fois sous cette excuse les puissances se sont emparées des peuples et ont fait une vraie guerre de conquête ! », a répondu le pape. Mais cette réponse est celle d’un leader religieux qui croit en la forte vertu de la prière dans un monde où les églises ne sont plus au centre de la cité, et où l’influence des communautés religieuses, chez les chrétiens, n’est plus aussi perceptible comme par le passé. Pas de guerre, donc, mais des moyens alternatifs que le cardinal italien, Fernando Filoni, envoyé personnel du pape auprès des chrétiens persécutés d’Irak à peine rentré de mission, a détaillés. Pas la guerre, mais comment rester indifférents devant l’horreur ? « Chacun peut au niveau civil, social et de responsabilité faire sa part dans un contexte où il n’est pas question de guerre mais où le droit des peuples doit être sauvegardé. Si nous n’intervenons pas, ce sera le génocide qui nous pèsera sur la conscience, comme cela est malheureusement arrivé dans le passé avec certaines situations dramatiques survenues en Afrique ». Mais une autre réalité contemporaine est que la paix, le droit des peuples, la sécurité peuvent se décliner aujourd’hui sous des formes diverses et même antagonistes. Ainsi qu’on le voit au Moyen-Orient, chacun peut se donner les impératifs qu’il estime nécessaires pour atteindre de tels nobles objectifs. Chuck Hagel a été on ne peut plus clair à propos des islamistes irakiens: « L'EII va au-delà de tout ce que nous avons pu connaître. Nous devons être prêts à tout ». a dit le ministre américain de la défense. Un "tout", on l’aura compris, qui ne sonne pas vraiment comme la recherche prioritaire du moyen paisible de raisonner des exaltés. Et un "Nous" qui est englobant et exclusif tout à la fois ; dans lequel le dialogue à privilégier se fera surtout à coups de bombes, de drones et d’escalades dans la violence jusqu’à ce que le vaincu plie. Sans garantie certaine que celui qui l’emportera sera celui qui aura le plus raison, favorisera la justice et laquelle. Dans son « Aventure ambigüe », Cheikh Hamidou Kane donne la parole à un personnage qui veut envoyer les enfants à l’école des Blancs « où on apprend l’art de vaincre sans avoir raison ». Le monde en est là, peut-être ; dans une phase où la raison de l’un est peut-être l’exacte opposée de la raison de l’autre mais devient la raison de tous si elle triomphe. Le pape François a téléphoné jeudi à la famille du journaliste américain James Foley, exécuté par les djihadistes de l'Etat islamique, pour lui présenter ses condoléances. Le journaliste, enlevé en fin 2012 en Syrie, a été décapité à la suite de l’intervention des bombardiers américains contre les positions djihadistes en Irak. Il y a un mois, il bénissait la famille de Meriam Yahia Ibrahim Ishag, cette jeune Soudanaise condamnée à mort dans son pays pour s’être convertie au christianisme. Et les chrétiens chassés d’Irak commencent à être accueillis par petits groupes dans divers pays européens qui leur accordent l’asile. Plus que jamais se dessine la carte du « Nous » avec le « Eux » pour une démarcation entre cette guerre sainte contre « la » guerre juste. Lucien Mpama |