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Pierre Bodo : « Je suis plus connu que Werrason ! »07-09-2013 08:45 Le Musée du Montparnasse consacre jusqu'au 15 septembre une exposition à l'artiste peintre Pierre Bodo. Il y sera l'invité le 9 septembre de la rencontre Bistro-Culture au tour du thème Fleuve Congo : le bistro des deux rives, de 17 heures à 19 heures Les Dépêches de Brazzaville : Comment s’est organisée cette exposition qui vous est consacrée au Musée du Montparnasse ? Pierre Bodo : Jean Digne, le directeur du Musée du Montparnasse, que je connais depuis 1998, m’a souvent demandé de travailler au Musée du Montparnasse. J’y ai fait un atelier durant un mois pour préparer l’exposition. Nous avons choisi les thèmes ensemble et ajouté une partie appelée « les parcours de l’artiste » dans laquelle figurent des toiles qui abordent des thèmes qui me sont chers. LDB : Pouvez-vous nous décrire votre style ? PB : Je peins ce que je vois, ce que j’entends, ce que je pense et ce qui est inspiré. Depuis le début de ma carrière artistique, j’ai exploré le surréalisme. Mes premières toiles traitaient de la sorcellerie, qui se retranscrit plus facilement avec ce style de peinture. J’ai essayé d’exprimer « Ndoki zoba ». Ce genre de peinture a beaucoup intéressé les consommateurs d’œuvres d’art. LDB : À quoi correspondent ces hommes-oiseaux et ces femmes-arbres que l’on retrouve dans vos toiles ? PB : L’oiseau est la créature qui avec son plumage exprime « le moi ». Il représente totalement la Sape car ses plumes constituent des habits d’élégants : les oiseaux sont bien habillés. Mes toiles sont des messages qui circulent et volent comme des oiseaux, tels que les pigeons voyageurs. Ils transmettent soit des messages normaux, soit des messages bibliques qui circulent avec les toiles. Les femmes-arbres évoquent le thème des femmes surchargées. La femme a des responsabilités extraordinaires, elle assure en tant que maman la nativité, la croissance, l’éducation des êtres humains, c’est ce qui lui donne sa valeur. Les oiseaux et les reptiles habitent dans les arbres, dont le serpent qui a fait chuter le monde entier dans la malédiction. Les femmes doivent garder leur propre valeur et ne pas se laisser réduire à des objets de convoitise qu’il faut dévaloriser. LDB : Le Congo est une terre d’artistes, comment cela s’explique-t-il, selon vous ? PB : Dieu seul sait pourquoi il a choisi ce pays et décidé de le remplir d’artistes ! Pour moi, l’art est un don inné, c’est ma passion depuis la naissance. Personne ne m’a appris mais dès le plus jeune âge au village, je sculptais. C’était ma façon à moi de m’amuser. À l’école, je dessinais mes camarades, cela m’a d’ailleurs souvent valu des punitions. En 1970, à l’âge de 17 ans j’ai quitté mon village pour venir m’établir à Kinshasa, et j’ai commencé à travailler dans les ateliers. Je n’ai pas trouvé d'artiste auquel me référer et j’ai créé mon propre atelier au bout de neuf mois. Mes enfants marchent dans mes traces : Amani Bodo, mon fils, est célèbre dans la musique et la peinture. J’ai moi-même été musicien avant, je chantais dans la chorale de l’église dont je suis devenu pasteur. LDB : La peinture est-elle reconnue au Congo ? PB : À Kinshasa et au Congo en général, je n’ai pas vu de mouvement de personnes qui s’intéressent beaucoup à la peinture, elle est oubliée. Nous les peintres, nous sommes connus à l’extérieur mais pas dans le pays. Avant la guerre, nous dénoncions ce qui se passait dans le pays en parlant du vécu quotidien avec nos œuvres. Cela a suscité des changements mais les personnes qui vivent aujourd’hui ne tiennent pas compte du travail de ceux qui ont provoqué ces évolutions dont ils bénéficient. Aujourd’hui je peux dire que je suis plus connu que Werrason car on voit mes œuvres dans les catalogues partout dans le monde alors que les musiciens ont souvent un rayon plus limité qui ne dépasse pas le cercle des Congolais. Mais l’État ne valorise pas cela alors que l’art est un véhicule culturel. Chaque artiste défend les couleurs de son pays. LDB : Vous avez un fort engagement social en faveur des « enfants-sorciers », parlez-nous de ce travail… PB : Depuis 1998, je recueille des enfants car je ne pouvais pas supporter leur misère. Nombre d’entre eux sont orphelins de la guerre mais leur famille leur impute les malheurs qu’ils connaissent. Certains étaient brûlés… J’ai moi-même des enfants qui sont à l’université, qui travaillent et gagnent leur pain. J’ai décidé ce créer une école de rattrapage scolaire où en trois ans d’étude les élèves peuvent acquérir le niveau de l’école secondaire. J’ai des élèves de 15-16 ans en première année, qui n’ont jamais été à l’école. L’école accueille 500 enfants chaque année et j’ai 4 classes. La scolarité ainsi que la cantine sont gratuites. Un bel exemple est celui de la jeune Fallone qui est passée par les rangs de cette école et qui aujourd’hui vit de son métier de couturière. J’ai le projet d’installer un centre d’arts et de métiers avec le soutien des anciens élèves afin qu’ils transmettent aux autres ce qu’ils ont reçu.
Rose-Marie Bouboutou Légendes et crédits photo :Photo 1 : Pierre Bodo présente son travail à Jean Digne, directeur du Musée du Montparnasse et Edwige Laure Mombouli, présidente du Rice. (© Adiac) ;
Photo 2 : Les deux monstres sacrés de la peinture populaire congolaise, Pierre Bodo et Chéri Samba à la soirée de vernissage. (© Adiac) |