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Vendredi 6 Décembre 2013 - 10:21
Homme politique français, maire, député, plusieurs fois ministre, Philippe Douste-Blazy est le secrétaire général adjoint des Nations unies chargé des sources novatrices de financement du développement. Il préside Unitaid depuis sa création
La solidarité sauvera le monde est le titre de votre dernier livre, une alerte à l’intention du monde occidental sur les dangers de demain. De quels dangers parlez-vous ? L’un des plus importants sujets de politique étrangère est le fossé qui ne cesse de se creuser entre riches et pauvres. D’un côté, les besoins explosent puisque le nombre des très pauvres augmente pour des raisons démographiques ; de l’autre, les pays occidentaux, qui donnaient jusque-là une aide publique au développement, sont tous dans des situations économiques faites de déficits abyssaux. Il n’y a rien de plus dangereux que de laisser ce phénomène d’extrême pauvreté s’aggraver à un moment où le smartphone se généralise dans le monde. Le jour où les populations les plus pauvres seront connectées, elles feront la comparaison entre leur mode de vie, leurs souffrances, et les nôtres. Elles découvriront que leur réalité n’est pas celle du monde occidental. J’ajoute que ces populations sont le terreau de l’extrémisme. Pour des raisons politiques ou religieuses, ces centaines de millions de gens qui n’ont rien à perdre sont une cible pour n’importe quel fanatique.
Le monde occidental côtoie cette pauvreté depuis longtemps. En quoi la donne a-t-elle changé ? Sauver le monde par la solidarité n’est finalement pas qu’une question de morale. La solidarité sauvera le monde, mais ce n’est pas du tout une affaire humanitaire ! Bien évidemment, il faut le faire pour des raisons morales, mais au-delà il s’agit bien d’une affaire politique. Parce qu’il s’agit de paix, de cercle vertueux. Si nous donnons à ceux qui n’ont rien la nourriture, l’eau potable, les soins, l’éducation et l’assainissement, c’est-à-dire des biens publics mondiaux, ces populations seront en meilleure santé, pourront se former, exercer des métiers, créer des richesses. Il s’agit bien d’un cercle vertueux, car une fois développés économiquement, ces pays verront une classe moyenne émerger, consommatrice de biens que l’Occident pourra leur vendre. L’Occident, qui est dans une croissance atone, verra un nouveau marché émerger. Ne rien faire serait une faute morale, éthique, une faute politique, et enfin une erreur pour notre économie.
L’Europe traverse une crise économique sans précédent. Quelles solutions peut-on apporter sans moyens financiers ? Les financements innovants sont une réponse. Ces nouvelles sources de financement ciblent des activités économiques qui profitent le plus de la mondialisation, en l’occurrence le tourisme, aujourd’hui fortement démocratisé. Depuis le 31 juillet 2006, tout voyageur qui quitte le territoire français paye un euro par billet d’avion. Grâce aux quatorze pays qui appliquent cette taxe, dont le Congo-Brazzaville, nous avons récolté plus de trois milliards de dollars en l’espace de six ans, que nous avons affectés à la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Unitaid finance aujourd’hui le traitement de huit enfants sur dix atteints du sida dans le monde parmi les enfants soignés. Nous soignons 350 millions de personnes contre le paludisme, 8,5 millions contre la tuberculose. Enfin, nous finançons le traitement des femmes enceintes atteintes du sida pour éviter la transmission du virus de la mère à l’enfant.
Quatorze pays dans le monde appliquent la taxe sur les billets d’avion, c’est peu. Où trouver de nouvelles sources de financements innovants ? En prenant un euro par billet d’avion dans quatorze pays, nous avons prouvé que cette solidarité était non seulement Nord-Sud, mais aussi Sud-Sud : la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Congo-Brazzaville appliquent cette taxe. Unitaid travaille sur l’augmentation du nombre de pays adhérents. Mais c’est difficile. Au-delà de l’égoïsme de nos sociétés, nous sommes dans le piège de la démocratie, avec des hommes politiques qui s’intéressent en priorité à leur élection et à leurs électeurs. Nous cherchons d’autres financements innovants. Il y en a beaucoup : internet, la téléphonie mobile, les transactions financières profitent de la mondialisation. Qu’est-ce qu’un monde dans lequel ceux qui créent la richesse ne donnent pas un peu à ceux qui n’ont rien ? Les ressources extractives sont également une piste. Je présente actuellement aux chefs d’État africains le projet d’un financement innovant à partir de ces ressources extractives. Je suis persuadé que celui qui porte le plus les financements innovants sur le continent depuis le début, Denis Sassou N’Guesso, sera à même de le comprendre. Trois chefs d’État ont dit oui. J’espère que le président du Congo nous rejoindra pour annoncer un jour, à quatre ou à cinq, une contribution de solidarité sur les ressources extractives.
Unitaid travaille également sur l’accessibilité au médicament. Les brevets sur les médicaments sont protégés pendant vingt ans, puis ils passent dans le domaine public et peuvent être génériqués. Aujourd’hui, nous proposons aux laboratoires pharmaceutiques, pour le sida et pour les pays les plus pauvres, tout en gardant la propriété intellectuelle des brevets des nouveaux médicaments, de signer dès la sortie de ces médicaments des accords juridiques contre royalties avec des génériqueurs. Cet accord permettra à ces derniers de produire des médicaments 98% moins chers dans les pays très pauvres. Le seul risque pourrait être de créer un marché parallèle, mais c’est impossible pour le sida puisque les malades en Occident reçoivent ces médicaments gratuitement. Les premiers accords viennent d’être signés, et pour la première fois de l’histoire de l’humanité les pauvres auront les mêmes médicaments que les riches.
Pour conclure, Unitaid a un mode de gouvernance très particulier. Comment fonctionnez-vous ? La gouvernance d’Unitaid est unique, avec une partie publique représentée par les présidents de la France, du Brésil, du Chili, les Premiers ministres norvégien, britannique, espagnol, le président de l’Union africaine, de l’ONU, la Corée du Sud, les ONG, la France, la communauté de malades du Sud, les fondations privées, Bill Gates, ainsi que moi même en tant que président. Les décisions sont prises à l’unanimité, et l’argent va vers des partenaires. Nous ne sommes pas sur le terrain. Nous n’avons pas voulu créer un acteur de plus au côté des agences onusiennes, associations et ONG. Nous finançons nos partenaires qui font un vrai travail de terrain : la Fondation Clinton, l’Unicef, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose, le paludisme, etc. Par son statut, sa mobilisation, Unitaid permet de prouver que de nouvelles sources de financement, qui n’étaient pas attendues au départ, sont capables de nous aider à atteindre les objectifs du millénaire.
Repères - 1,5 milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable, à la santé, à l’éducation, à l’assainissement et, pour la moitié d’entre eux, à la nourriture ; - 3,5 millions d’enfants dans le monde ont le sida, seuls 700 000 sont soignés ; - un enfant meurt d’une maladie curable et évitable toutes les trois secondes ; - une mère meurt toutes les minutes pendant la grossesse ou l’accouchement par manque de soins.
Le sida recule, mais l’accès au soin doit encore s’uniformiser
L'Onusida, programme commun des Nations unies sur le VIH-sida a livré le 20 novembre ses dernières données concernant la pandémie. Selon l’agence onusienne, 2,3 millions de personnes ont été infectées en 2012 dans le monde, soit une chute de 33% par rapport à 2001, dont 52% pour les enfants. Les décès liés au virus (1,6 million l’an dernier) ont quant à eux reculé de 30% depuis 2005. Les résultats prouvent que le déploiement d’une prévention à échelle mondiale, la volonté des politiques, l’augmentation des dépenses publiques et un meilleur accès aux traitements antirétroviraux, reçus actuellement par 9,7 millions d’individus, sont effectifs.
Les chiffres annoncés traduisent de réels progrès dans cette lutte et présentent des signes optimistes pour les prochaines décennies. Pour autant, le sida est loin d’être éradiqué et les inégalités alimentent la pandémie. Le nombre d’infections continue de progresser en Europe de l’Est et en Asie centrale, il a même doublé en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Dans ces régions, les populations les plus exposées – homosexuels, toxicomanes, transsexuels et travailleurs du sexe – ont rarement accès aux services de santé appropriés.
« Chaque individu compte. Si nous souhaitons honorer notre promesse de n’oublier personne, nous devons garantir l’accès aux traitements antirétroviraux pour tous ceux qui en ont besoin », affirme le directeur exécutif d’Onusida, Michel Sidibé, dans un communiqué de presse.
L’ONU se montre préoccupée par la pandémie chez les enfants. Dans le monde, la couverture moyenne d’accès aux traitements s’élève à 64% pour les adultes et à 34% pour les moins de 15 ans. « Nous avons constaté un formidable engagement pour réduire la transmission de la mère à l’enfant, mais nous échouons à atteindre les enfants qui sont infectés », a déclaré mercredi M. Sidibé.
Le 1er décembre aura lieu la journée mondiale du sida, abritée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Depuis 2011 et jusqu’en 2015, le thème de l’événement traduit la volonté d’en découdre avec ce fléau : « Objectif zéro : zéro nouvelle infection au VIH, zéro discrimination, zéro décès lié au sida ». Pour cette nouvelle campagne, l’OMS entend sensibiliser la communauté internationale à une amélioration de l’accès aux soins et aux services de prévention des 10-19 ans, groupe parmi les plus vulnérables. L’OMS publiera à l’attention des adolescents de nouvelles lignes directrices de lutte contre le VIH.
Au Congo, une vingtaine d’enseignants et responsables administratifs de l’École normale des instituteurs de Dolisie ont reçu en octobre dernier une session de formation sur les programmes d’enseignement du VIH-sida. Vingt-huit écoles primaires et quinze de niveaux secondaires sont concernées par ce programme.
Morgane de Capèle
Propos recueillis par Bénédicte de Capèle
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