Les Dépêches de Brazzaville : En quelques mots, qu’est-ce que le Cercle Richelieu-Senghor ?
Anne-Marie Cordelle : Une des originalités de la Francophonie institutionnelle, représentée par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), réside dans son partenariat permanent et constructif avec la société civile. Ces liens innovants favorisent sa « diplomatie d’influence ». Ils contribuent à la création de normes qui construisent le futur au travers de valeurs partagées, du respect de la diversité culturelle et du renforcement de l’État de droit. Le Cercle Richelieu-Senghor de Paris est un cercle culturel, un laboratoire d’idées qui milite pour le rayonnement francophone. Il constitue un relais d’actions, d’expertise et un espace de concertation dans la diffusion des valeurs francophones, en complémentarité d’autres organisations. Au travers de ses dîners-débats mensuels et de ses colloques, en France – « Une langue vivante dans une Afrique en mouvement, enjeux et perspective du français dans l’Afrique de demain » Paris, 4 juin 2013 – ou à l’étranger – « Senghor et la Francophonie » Dakar, 29 novembre 2013 –, le Cercle Senghor est un collecteur d’informations et un moteur d’anticipation. Il l’interpelle sur les attentes des francophones. Comme l’a très bien dit Dominique Wolton, directeur de la revue internationale Hermès, « la Francophonie est la possibilité de conjuguer autrement culture, économie, démocratie et société ».
Quelles sont les actions du Cercle en direction des jeunes ?
La jeunesse joue un rôle crucial dans l’espace francophone. Nous y attachons une grande importante. En 1999, nous avons organisé un colloque sur Francophonie et Jeunesse, suivi d’un second en 2013 à Paris sur le thème « En quoi la langue française est-elle un atout pour les jeunes ? » Des jeunes de plusieurs pays (Kazakhstan, Liban, Sénégal, Chine et Bulgarie) ont expliqué pourquoi parler, étudier et travailler en français est important pour eux. Les échanges d’expériences, nos publications et les recommandations que nous formulons renforcent la mission de plaidoyer de la Francophonie. La diplomatie d’influence de l’OIF repose sur une appropriation volontaire par ses membres des valeurs qui la structurent, à charge pour eux de proposer des solutions pour faire face aux évolutions de nos sociétés. La Francophonie se doit d’être à l’écoute des attentes de la société civile de pays confrontés à des mutations et des crises importantes, y compris en France.
Quelle place occupera l’Afrique, selon vous, au sein de la Francophonie ?
L’Afrique y joue un rôle grandissant. Trois rapports passionnants – La Francophonie et la Francophilie, moteurs de croissance durable, Jacques Attali ; La Francophonie, action culturelle, éducative et économique, Pouria Amirshahi ; La Promotion du droit continental du Conseil économique social et environnemental – révèlent les multiples bénéfices culturels, économiques et juridiques de la Francophonie. La langue française est un trait d’union et un formidable levier de croissance pour les francophones. Encore faut-il qu’elle bénéficie d’un enseignement efficace, adapté aux besoins et utile aux jeunes. En 2014, la langue française est, selon l’OIF, la cinquième langue la plus parlée au monde avec 274 millions de locuteurs, en hausse de 7% entre 2010 et 2014, plus 15% en Afrique subsaharienne. Du fait de son accroissement démographique, ce continent deviendra le centre du français à deux conditions : l’existence d’une volonté politique d’enseigner le français ; l’appropriation par les jeunes d’un bagage de connaissances leur permettant une insertion professionnelle particulièrement dans le secteur des entreprises. La formation est l’un des défis actuels, essentiels et durables pour l’avenir de l’Afrique et plus largement des pays francophones. Elle est la pierre angulaire de toute projection à la condition de « coller » à la réalité des besoins constatés. Certaines universités africaines manquent de moyens, d’infrastructures et de ressources financières pour dispenser un enseignement approprié à la réussite des étudiants et répondre seules aux besoins actuels du continent en termes d’innovation ou de compétitivité. L’université Senghor d’Alexandrie réalise cet ajustement de l’offre de formation notamment en matière de gouvernance, de patrimoine culturel, d’économie. La Fondation franco-africaine et le Conseil des investisseurs en Afrique, avec leur Programme RH-Excellence Afrique, procèdent du même esprit.
La francophonie de demain sera-t-elle africaine ?
La crise que nous vivons a été porteuse de mutations et de bouleversements dans la géographie économique mondiale. L’Afrique est bien placée, avec un taux de croissance de plus de 5% en 2014 qui devrait se maintenir grâce à la hausse des investissements et de la demande intérieure. L’importance stratégique de l’économie au sein de la francophonie a été confirmée à Québec (2008), à Montreux (2010) et Kinshasa (2012). Construire un espace économique respectant les identités culturelles tout en partageant une vision du monde, fondé sur la même langue et le même droit est un enjeu majeur de la Francophonie. Un tel espace peut aider les entreprises africaines à remporter des marchés sur les scènes régionale et internationale. La création de grappes d’entreprises en Afrique francophone répond à cet objectif. Cette coopération fondée sur la mutualisation des services, les complémentarités dans les stratégies de production et de commercialisation montre la capacité d’innovation des acteurs de la francophonie économique.