Numéro spécial Francophonie : Francophonie, une chanceSamedi 15 Novembre 2014 - 16:15 Je considère la francophonie comme une fenêtre ouverte, une invitation à la rencontre de l’Autre. Qu’est-ce que la Francophonie, sinon la fierté de participer désormais à une histoire commune, la résolution de se consacrer désormais à l’édifice d’un genre humain nouveau, plus tolérant, plus sociable ? Il serait erroné de réserver le terme de francophonie aux seuls autres pays qui parlent la langue française, à l’exclusion de la France qui, on l’oublie souvent, est un pays francophone à part entière. Le combat à mener consiste à expliquer comment la francophonie est une chance pour tous, pas seulement un moyen pour la France de se rassurer du rayonnement de sa culture et de sa langue au-delà des mers. Une culture et une langue qui ne lui appartiennent pas exclusivement d’ailleurs ! Il y a longtemps que la France n’est plus le centre de gravité de la langue française. L’apport des auteurs originaires des pays qui ont en partage cette langue est souvent rappelé. C’est par les écritures venues de « la périphérie » que la langue anglaise prospère : Rushdie, Walcott, Zadie Smith, etc. Le monde anglophone l’a réalisé bien avant, la France commence à le constater. Et il n’est pas encore trop tard ! Un autre constat : l’Amérique est sans doute le lieu où se défend désormais la francophonie. À la différence de ce qui se passe en France, la plupart des universités américaines comptent un département d’études francophones. Les professeurs de ces disciplines sont regroupés dans des associations, dont la plus connue est le Conseil international des études francophones avec plusieurs milliers d’adhérents. Il tient un congrès annuel dans un pays différent chaque année (celui de cette année se déroulera à Ottawa, et en Roumanie l’année prochaine. Il y eut déjà, entre autres, les congrès d’Abidjan, de Sousse (Tunisie), de La Nouvelle-Orléans, de Bruxelles…). Les études francophones gardent encore leur prestige aux États-Unis. En tant que professeur, combien de fois n’ai-je pas vu mes collègues enseignant l’allemand ou le russe m’envier le privilège d’avoir autant d’étudiants intéressés aux lettres francophones ? Un jour, je me suis risqué à dire au cours d’un débat : « L’Amérique est le plus grand pays francophone du monde ! » Cela avait au départ fait rire. À la fin, le constat était clair : les instances francophones ne doivent pas négliger le créneau américain. Quel est donc l’ambition de ce pays en recrutant les plumes francophones les plus réputées ? Je pense à Maryse Condé, Assia Djebbar, Édouard Glissant, Emmanuel Dongala, pour ne citer que ceux-là. Et que dire de tous ces étudiants américains qui m’ont fait relire Paul Fort, Voiture, Vauvenargues ? Pourquoi un cours sur « les écrivains américains et la ville de Paris » draine-t-il autant d’inscriptions ? Les chances de la francophonie sont aussi ailleurs. Si les anglophones sont supposés grignoter d’année en année l’espace du discours, ce n’est qu’une illusion. Nous devons mener notre combat là où on nous attend le moins, et avec le génie d’une culture de plus en plus riche, grâce à la variété des individus qui composent cet espace dit francophone, et l’Afrique est, à n’en pas douter, l’avenir de cette « bataille »… Alain Mabanckou est prix Renaudot et lauréat de l’Académie française Alain Mabanckou |