Numéro spécial Francophonie – Abdou Diouf : « En cette ère d’un monde où les repères bougent continuellement, l’enjeu linguistique et culturel est devenu une donnée majeure »

Dimanche 16 Novembre 2014 - 13:45

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Il y a deux ans, c’est au cœur de l’Afrique centrale, épine dorsale de cette langue bien africaine, que nous tenions assises. Or il se trouve que c’est aussi là-bas, sur les rives du majestueux Congo, que le poète et homme d’État Léopold Sédar Senghor avait, au cours d’une conférence qu’il donnait à Kinshasa, dessiné à grands traits ce qui, un an plus tard à Niamey, allait être la physionomie première de la Francophonie institutionnelle

Abdou DioufEn cette année 2014, c’est à Dakar, sur le sol natal du poète visionnaire, que nous nous sommes donné rendez-vous pour le XVe sommet de la Francophonie. C’est là aussi un bel hommage que nous rendons à celui qui, aux côtés de ses compagnons Diori, Bourguiba, Sihanouk et bien d’autres soldats de l’ombre, s’était très tôt engagé dans un combat novateur en plaidant pour que la communauté francophone se structure et s’organise pour occuper la place qui doit être la sienne afin de contribuer à l’édification d’un système international plus ouvert et plus généreux, parce que plus respectueux des histoires, des langues, des mémoires, des trajectoires et des identités de ceux qui la composent. Et la langue française, surgie des décombres de la colonisation, apparut comme un outil permettant d’assurer ce commun vouloir de vie commune, mais aussi de servir comme outil de créativité, de dialogue et de paix.

Il est vrai que voir juste et loin trop tôt peut coûter déceptions et frustrations. Mais le poète, n’est-il pas, comme l’a défini Arthur Rimbaud, celui qui est conçu pour voir et sentir ce que les autres ne voient pas ? Hugo, ne dit-il pas du poète qu’il un prophète, c’est-à-dire celui qui vient préparer l’avenir ? Le poète est assurément celui qui est porteur d’une parole devancière.

Aussi, face aux bouleversements d’une société internationale où l’homme s’inquiète et s’interroge encore, il me semble plus que jamais urgent de revitaliser la force des idées des pères fondateurs, mais aussi de méditer la persévérance de quelques hommes de conviction qui ont maintenu le flambeau.

Que de chemins parcourus depuis Niamey 1970 jusqu’à Dakar 1989, jusqu’à Dakar 2014 ! Long et difficile chemin sur lequel nous avons gagné cohérence et efficacité, longue et difficile marche au cours de laquelle nous avons gagné en visibilité et en audibilité ce qui nous a permis de donner toute la mesure de notre utilité face aux grands défis du xxie siècle.

Si la langue française que nous avons en partage – depuis belle lurette devenue africaine – est le fer de lance de notre mouvement, notre ambition ne saurait se réduire à une simple finalité linguistique. Il est vrai que la langue exprime la diversité des cultures et des langues, tout comme il est vrai qu’elle porte des valeurs et des convictions. En cette ère d’un monde où les repères bougent continuellement, l’enjeu linguistique et culturel est devenu une donnée majeure, mais avec ses spécificités et ses priorités la Francophonie dispose d’atouts considérables pour contribuer à bâtir un monde plus juste. Et ces atouts passent par les femmes et les jeunes comme vecteurs de paix, mais aussi acteurs incontournables du développement.

Abdou Diouf, Secrétaire général de la Francophonie

Légendes et crédits photo : 

Photo (©) Cyril Bailleul/OIF