L’Ohada et les grands défis continentaux à relever

Vendredi 6 Décembre 2013 - 10:30

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L’Afrique est sur le point de décoller, et tous les indicateurs des agences de développement l’indiquent : taux de croissance moyen de 5,5%, montée en puissance d’une classe moyenne solvable (la population urbaine solvable est passée de 25 millions en 1980 à près de 100 millions en 2010). D’après la Cnuced, les investissements directs étrangers en Afrique ont été multipliés par sept entre 2000 et 2008 pour atteindre un record de 62 milliards de dollars

Pour que cette croissance soit porteuse de développement, donc de création de richesses et d’emplois, il faut que les réformes structurelles engagées sur le continent dans le cadre de l’Ohada, outil technique d’intégration économique, fassent société. « Faire société, c’est, de manière plus exigeante, vouloir se dépasser pour s’engager ensemble, dans un projet commun, et agir ensemble », pour reprendre la belle formule du président de l’OIF, Abdou Diouf. Mais c’est également répondre aux défis majeurs qu’imposent les usagers du droit de l’Ohada pour faire de celui-ci un levier indispensable au progrès économique et à la croissance des économies africaines.

Le défi de la transparence

La vertu d’un droit commun et unifié des affaires repose sur la confiance de ses membres qui, elle-même, s’instaure à partir de la transparence qui régit leur relation. Pour rendre effectif ce droit à la transparence qui conditionne la relation d’affaires, il s’avère capital que la législation que promeut le droit Ohada soit respectée et appliquée.

L’opérationnalisation du registre du commerce et du crédit mobilier (RCCM) dans toutes les juridictions commerciales de l’espace Ohada en constitue le premier défi. En effet, il devient urgent d’instaurer un système fiable, sécurisé et transparent de l’information juridique, économique et financière sur les différents opérateurs économiques de l’espace Ohada. En l’état actuel, sur l’ensemble des dix-sept pays membres de l’Ohada, et ce, malgré les efforts accomplis par une poignée de pays, le RCCM est caractérisé par l’inaccessibilité et le peu de fiabilité de ses données qui ne sont pas mises à jour régulièrement, une gestion lourde majoritairement effectuée sur support papier et une méconnaissance générale des commerçants et des entreprises sur son utilité informationnelle.

Certes, l’informatisation est un moyen de remédier à ces dysfonctionnements. Mais la mise en œuvre du processus de modernisation des greffes ne se limite pas à l’acquisition de logiciels et à leur installation dans les juridictions commerciales des États membres ou à la Cour commune de justice et d’arbitrage. Elle nécessite un cadre cohérent et une approche qui prennent en compte les exigences de capacité technique, la sensibilisation et la formation des acteurs concernés, la mobilisation des ressources et une stratégie de pérennisation pour l’exploitation du RCCM et des fichiers connexes.

Le défi de la réduction de l’hypertrophie du secteur informel

L’Afrique possède la population la plus jeune au monde, avec plus de 200 millions de personnes âgées de 15 à 24 ans, dont le taux de chômage avoisine les 40% selon les pays. La plupart des personnes en âge de travailler opèrent dans les circuits économiques dits de survie. Pour faciliter leur insertion dans le circuit formel, les États parties à l’Ohada se sont engagés dans des réformes en matière de simplification de procédure de création d’entreprises. L’OCDE observe que la création d’une entreprise en Afrique subsaharienne coute dix-huit fois plus cher que dans les pays à revenu élevé. Le droit Ohada n’est pas en reste, puisqu’il a institué un nouveau statut de professionnel indépendant « l’entreprenant », qui peut exercer une activité civile, commerciale, artisanale ou agricole. Si le droit Ohada n’offre pas les conditions de réduction de la taille du secteur non structuré, il n’aura rempli que partiellement sa mission.

En effet, ce nouveau statut professionnel, dont l’adoption remonte à décembre 2010, peine à se mettre en place dans l’espace Ohada. Les États africains ont tendance à procrastiner quand il s’agit de prendre des mesures complémentaires ou incitatives à la loi pour mettre en œuvre ce régime juridique. Or, il apparaît comme une évidence que sa mise en œuvre pourrait donner un coup de fouet à la liberté d’entreprise et l’établissement dans les pays membres de l’Ohada des milliers de jeunes qui désirent se lancer dans l’entrepreunariat.

L’une des recommandations émises par les participants au colloque international qui a précédé les festivités du vingtième anniversaire de l’Ohada est de mettre systématiquement à la disposition des États des textes types chaque fois que l’acte uniforme requiert l’édiction de mesures nationales (formalisation du statut, renforcement des capacités des entreprenants, mise en place d’une fiscalité adaptée, accès aux services financiers et aux services sociaux…) va dans le bon sens.

Le défi du développement des infrastructures.

Le Groupe Banque mondiale est on ne peut plus formel : l’insuffisance des infrastructures de base et/ou leur vétusté, notamment les transports routiers, les télécommunications, l’électricité et l’eau prive chaque année l’Afrique subsaharienne de deux points de croissance. Par ailleurs, la médiocrité des infrastructures est la principale contrainte à l’activité économique. Elle est responsable entre autres d’une perte de productivité d’environ 40%. Dans ce domaine, le droit issu de l’Ohada devra favoriser les conditions de passation de marchés publics ou de délégation de service public en offrant des outils juridiques performants capables de créer les bases d’un développement des contrats de partenariat public-privé pour améliorer le climat des investissements et le processus d’intégration des économies africaines.

Le défi de l’ouverture vers d’autres pays du continent

En matière de cadre juridique des affaires, l’Ohada regroupe pour le moment un nombre insuffisant de pays, dix-sept, ce qui n’en fait pas encore un acteur majeur au niveau du continent africain. Et pourtant, elle a une vocation panafricaine (art. 53 du traité) et peut même accueillir des États non membres de l’Union africaine. Les contraintes sont considérables pour lui conférer ce statut. Des efforts doivent être entrepris en faveur du multilinguisme et de la traduction des actes uniformes ainsi que de la stratégie d’approche de nouveaux États pour donner à l’organisation le supplément d’âme qui lui fait défaut.

NB : Les opinions émises dans cet article sont propres à l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles du Groupe Banque mondiale.

 

NB : A.-F. Ahoyo est consultant du Groupe Banque mondiale, cofondateur de l’Association pour l’unification du droit en Afrique (Unida) et du site internet Ohada.com. A.-F. Ahoyo, franco-béninois, a apporté son concours en tant qu’expert pour l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) au succès de la révision du traité constitutif de l’Ohada et plus récemment comme assistant technique auprès du secrétariat permanent de l’Ohada détaché par le département climat des investissements du Groupe Banque mondiale dans le processus de réforme des actes uniformes.

L’Ohada en quelques mots
Née à la suite du traité de Port-Louis le 17 octobre 1993, l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) agit sur plusieurs fronts. Que contient le traité de Port-Louis qui a entraîné la création de l’Ohada ? Tout d’abord, il est l’expression même d’une volonté politique de garantir la sécurité juridique des affaires en adoptant un droit commun avec comme point de ralliement majeur la pérennité de la zone franc, qui constitue un facteur de stabilité économique et monétaire. Pour l’heure, dix-sept États ont déjà adhéré à ce traité, révisé le 17 octobre 2008 à Québec : le Bénin, le Burkina-Faso, le Cameroun, la Centrafrique, la Côte d’Ivoire, le Congo, les Comores, le Gabon, la Guinée-Bissau, la Guinée-Équatoriale, le Mali, le Niger, la RDC, le Sénégal, le Tchad et le Togo.
Rudy Casbi

André-Franck Ahoyo