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Interview : Tchicaya U Tam’si, le mauvais garçon de la littérature congolaiseMercredi 6 Novembre 2013 - 14:30 À l’occasion de la sortie du premier volume des Œuvres complètes de Tchicaya U Tam’si aux éditions Gallimard « J’étais nu pour le premier baiser de ma mère », nous avons rencontré celui qui est à l’initiative de cette publication : Boniface Mongo-Mboussa, universitaire et critique littéraire. Il a accepté de répondre à nos questions. Les Dépêches de Brazzaville : Quel est le point de départ de ce projet ? Boniface Mongo-Mboussa : Ce projet de publication est né du constat que Tchicaya U Tam’si, considéré par beaucoup comme l’un des plus grands poètes africains, reste méconnu et peu lu, à la fois en Europe et sur le continent africain. Patrice Tchicaya m’avait fait part de son regret et sa tristesse de ne pas trouver les livres de son père en librairie. C’est ainsi que nous nous sommes lancés, sa fille et moi-même, dans l’aventure. Cela nous a pris plusieurs années, car c’est après une longue bataille juridique concernant les droits et l’aide de plusieurs mécènes que le recueil a finalement vu le jour. LDB : Comment décririez-vous Tchicaya U Tam’si ? B.M.-M. : C’est un personnage très particulier. Il a été arraché très tôt à sa mère et a été élevé par la nouvelle épouse de son père à Pointe-Noire. Il part ensuite en France à l’âge de 15 ans car son père, Jean-Félix Tchicaya, est élu député du Moyen Congo à l’Assemblée constituante. Il suit une scolarité chaotique et va décevoir les espoirs que son père plaçait en lui en sa qualité de fils ainé car il ne deviendra pas magistrat. Il boite, il bégaie, tout ceci fait qu’il s’est construit dans la solitude. Il exprimait ce mal être dans sa poésie et incarnait parfaitement la figure du poète maudit, sur les pas d’Arthur Rimbaud. Et il était vraiment maudit ! Il a par exemple été finaliste pour le Prix Nobel de littérature en 1986, et c’est finalement le Nigérian Wole Soyinka qui l’a obtenu…. LDB : Comment a-t-il marqué son temps et la poésie en général ? B.M.-M. : Il a produit une œuvre capitale qui a inspiré toute une génération : s’il n’avait pas écrit, il n’y aurait pas de littérature congolaise ! Lui qui signait ses textes d’un pseudonyme afin de ne pas être confondu avec son père (Gérald-Félix Tchicaya devenu Tchicaya U Tam’si, « La petite feuille qui parle pour son pays », en 1957) a inspiré le pseudonyme de Sony Labou Tansi par exemple. Son œuvre est placée sous le signe de la rupture. Rupture avec la négritude : il a osé, en voyou, en mauvais garçon qu’il était, s’opposer très tôt aux pères fondateurs de la négritude, « Sale tête de nègre, voici ma tête congolaise » (Feu de brousse). Il se situe en rupture car il met ses tripes sur la scène publique, ce n’est plus une blessure collective mais une blessure individuelle qui est exposée. Et quand il parle de lui, il parle aussi du Congo. C’est aussi une rupture dans l’écriture elle-même : le charme de sa poésie réside dans le mélange des registres, surprenante alternance entre le trivial et le sublime. Beaucoup se retrouvaient chez lui à l’époque, dans son insolence, son sarcasme. Senghor l’aimait beaucoup, il a écrit : « J’ai découvert un poète bantou » en préface de la première édition d’« Épitomé » en 1962. Et c’est un poète des deux Congo, il a rejoint Patrice Lumumba après l’avoir entendu à la radio et a écrit « Épitomé » et « Le Ventre » à sa mort. LDB : Quelle est la suite pour cet ouvrage ? B.M.-M. : Nous allons essayer d’en faire parler ! Et que cela devienne une affaire nationale au Congo. Aimée Gnali, proche de Tchicaya U Tam’si, va organiser le lancement de l’ouvrage à Pointe-Noire. Deux autres volumes sont en projet, l’un consacré aux romans de Tchicaya et l’autre à son théâtre et ses nouvelles afin de célébrer la mémoire de celui qui disait « mon apostolat, c’est magnifier le Congo ». « Si Tchicaya U Tam’si n’avait pas écrit, il n’y aurait pas de littérature congolaise » Pauline Pétesch Légendes et crédits photo :Couverture du livre « J'étais nu pour le premier baiser de ma mère » / Œuvres complètes I de Tchicaya U Tam'si. © DR |