Interview. Emmanuel Argo : « Le Bassin du Congo constitue une zone économique de développement potentiel sans précédent »

Jeudi 5 Novembre 2015 - 15:30

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Emmanuel Argo est représentant de la société civile internationale et expert  en économie sociale. Ancien conseiller à la Sadc et au gouvernement de Mozambique, il estime que l’inter-régionalisation est un nouveau paradigme, vecteur de co-développement international. 

Les Dépêches de Brazzaville : existe-t-il des exemples d'interrégionalisation réussis en Afrique ?

Emmanuel Argo : Le plus significatif est celui du partenariat développement économique entre l'Afrique du Sud et le Mozambique appelé Corridor de développement de Maputo, du nom de la capitale du Mozambique. Pour permettre l’exportation de produits manufacturés depuis le Gauteng,  province  industrielle et commerciale la plus riche et la plus densément peuplée du pays et moteur de l'économie du nord de l'Afrique du Sud où se situe la capitale Johannesburg, il fallait une ouverture maritime sur l'Océan Indien. Sur toute la zone concernée appelée corridor s'est développée une série d'infrastructures pour la logistique et l'acheminement de marchandises à l’international. J'ai participé à ce projet comme conseiller du ministre des Transports et Communication du Mozambique au début des années 2000.

Par ailleurs, il existe des  entreprises privées  de pays de la Sadc qui cherchent à établir avec  certains pays voisins francophones comme le Gabon, des partenariats plus élargis  allant jusqu’au MERCOSUR associant la zone Méso-Amérique  en créant un axe dit : Sud-Sud en lien avec l’Union européenne.

LDB : On vous connaît également pour avoir soulevé le poids économique que représentent les envois d'argent de migrants. Faut-il faire un lien entre les deux ?

EA : Vous connaissez mon implication sur la question des migrations et de la manne financière que les envois d'argent (que j'appelle Remitt@nces) représentent pour les sociétés de transferts d'argent, cette question de l'interrégionalisation se trouve être, premièrement, la réponse au maintien des populations sur un territoire à développer et au retour des migrants dans leur pays d'origine et, deuxièmement, l'occasion d'un nouvel apport culturel et technique dans une région déjà développée. Quand je parle de migrants, je parle de tous les individus quelle que soit leur nationalité, qui partent comme on dit « chercher fortune ailleurs » ! Cela vaut pour un Français qui va à Dubaï, à Londres ou en Californie, pour un Polonais, un Grec, un Indien, un Danois, un Nigérien ou un Malien.  Mais la réflexion que je conduis avant tout tente de concilier deux niveaux : le premier qui est celui des très petites entreprises (TPE), petites et moyennes entreprises (PME)  et entreprises de tailles intermédiaires (ETI) et le second qui est celui des échanges internationaux. Les échanges économiques ne doivent pas principalement concerner les grandes entreprises mais celles qui, de loin les plus nombreuses, constituent le maillage économique local, la mise en valeur de la production et des technologies régionales garants de stabilité, de cohésion et de paix sociale. Les TPE, PME et ETI constituent en bonne partie l’ossature des économies locales et contribuent à la revitalisation économique. Cependant, elles peinent à exporter car elles ne bénéficient généralement ni de carnets d’adresses ni de réseaux commerciaux suffisants et influents à l’étranger, à l’instar des sociétés de plus grandes tailles, dotées de logistiques performantes y compris de personnels spécialement affectés à l’export. Il faut donc partir de la dimension régionale et développer des partenariats avec d'autres régions sur la base de complémentarité.

LDB: Pourquoi dites-vous que le Commonwealth, l’Afrique francophone, le MERCOSUR et la Méso-Amérique, sont aussi une chance pour le développement des nouvelles régions françaises ? Pouvez-vous en dire davantage sur les pôles que vous proposez ?

EA : Ces pôles que j'appelle « synergies pour des développements régionaux économiques et sociaux (Sydres) sont créés à partir de réseaux régionaux, supra régionaux et internationaux de différentes régions du monde. Ces Sydes ont  pour but d’organiser des échanges de savoirs et savoir-faire que des entreprises régionales et supra régionales possèdent afin d'établir entre elles des complémentarités dans des domaines aussi différents comme la recherche et le développement, les pêcheries, l'agriculture et l'élevage et tout le domaine agro-alimentaire, les technologies de pointe, la pharmacie et la santé, etc. Ces pôles faciliteront la commercialisation export-import de marchandises  dans différents secteurs d’activités de l’économie et du commerce. Je dois ajouter que l’une des fonctions principales de ces Sydres sera de promouvoir le développement économique et socioculturel. Par ailleurs, en préconisant le principe de subsidiarité, cela permettra de favoriser une plus large autonomie financière régionale. Il s’agit d’une manne financière qui va générer des ressources financières (taxes, impôts) non négligeables qui se substitueront pour une partie aux désengagements de l’État français qui va diminuant. Des ressources budgétaires pourront s’établir non pas sur des aides à la carte et volatiles de l’Étatmais sur des anticipations fondées sur des  carnets de commandes bien remplis. À cela s'ajoute un autre point fort dont est doté la France. Il s'agit des régions ultra périphériques françaises situées dans tous les océans de la planète qui pourraient constituer des Sydres-relais pour faciliter l'ouverture sur des marchés et opportunités extérieurs répertoriés notamment dans des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Asie-Pacifique) du Commonwealth ainsi que de la zone des Méso-Amérique avec le MERCOSUR.

LDB: Comment coordonner et piloter les projets à l'échelle internationale ?

EA : Un pôle international pourrait être basé en Normandie ou en Aquitaine.  Il coordonnerait, par exemple, des projets suprarégionaux entre des pays de l’Afrique australe via la Sadc (Southern African Development Community) membres du Commonwealth et des pays francophones. Le cas du bassin du Congo et du Golfe de Guinée peut illustrer mon propos. Comme vous le savez, cette zone géographique est particulièrement riche en matières premières mais leur exploitation pose un problème de gestion des ressources et de protection de l'environnement. La protection de l’environnement représente un intérêt économique et social majeur tant pour les populations qui y vivent que pour l’enjeu mondial de préservation de la biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique. Ici, c’est le Gabon qui a décidé de prendre les mesures qui s’imposent en s’associant à une société Franco-italienne pour  la surveillance de son patrimoine forestier et de ses ressources minérales.Ces espaces géographiques constituent une zone économique de développement potentiel sans précédent avec  une porte océane sur l’Océan Atlantique. Appuyés par l’Angleterre, les pays de la Sadc nourrissent la volonté de s’associer à cette zone afin de créer l’un des bassins mondiaux les plus denses et  à  fortes potentialités économiques et commerciales. Autre exemple, c'est celui d’un autre groupe français qui a récemment  lancé les travaux d’un chantier de réhabilitation du chemin de fer ouest-africain pour désenclaver certains pays du Sahel comme le Burkina Faso et le Niger. Ce dernier est tributaire des infrastructures routières et portuaires de ses voisins pour ses échanges commerciaux qui transitent par le Bénin et le Togo. Ce qui incontestablement freine toute velléité de développement économique. De tels chantiers qui rappellent celui du « corridor de Maputo » dont j'ai parlé plus haut s'accompagnent  généralement du développement d'une économie locale. En réalisant des partenariats entre TPE, ETI et PME de ces régions et étrangères, les pôles Sydres peuvent donc faciliter le développement des échanges dans une configuration dite win-win (gagnant- gagnant). Je reprécise qu’il s’agit d’interfaces qui s’avèrent  indispensables pour la réalisation de certains projets sur la base de réseaux s'appuyant sur des bourses de marchés commerciaux inventoriés et localisés à l'étranger. L’intérêt pour les régions françaises  est aussi la prise en compte par les Sydes de leur rayonnement pour promouvoir les différentes filières artisanales, industrielles et touristiques.

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Emmanuel Argo. Crédit photo Droits tiers

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