Les Dépêches de Brazzaville : Quels sont les départements qui sont directement concernés par ces signes ?
Gérard Ébami-Sala : Principalement le département des Plateaux. L’ethnie téké présentait différentes formes de scarifications, plus précisément à Lekana, Djambala, Ngo et dans la partie nord d’un autre département, le Pool. Dans les Plateaux koukouya, par exemple, les balafres étaient fines ; chez les Baboma et les Dzikou, elles étaient plutôt apparentes, assez visibles. Les balafres incarnaient la richesse, la noblesse et la beauté de ces tribus. Il existe certes d’autres Tékés dans la Cuvette-Ouest, dans le Pool, dans la Bouenza, la Lékoumou. Néanmoins, c’est dans les Plateaux en particulier que l’on retrouve encore des Tékés balafrés. Ces signes distinctifs montraient bien que l’on était originaire des Plateaux si on en portait. Mais cela ne sous-entendait pas que, originaire de ces régions, on était supérieur.
Les Dépêches de Brazzaville : Les Tékés se trouvent également en dehors de nos frontières. Quels sont les autres pays concernés ?
GES : En dehors du Congo, on retrouve l’ethnie téké dans des pays limithophes. Le royaume téké s’étend du Congo, à la RDC jusqu’au Gabon. Cependant, on trouvait particulièrement les balafrés au Congo, dans les Plateaux et aussi en RDC.
LDB : Quels étaient les symboles représentés par ces scarifications ?
GES : Les marquages signifiaient la richesse, la noblesse et la beauté. Nous qui n’en en avions pas, on disait de nous que nos joues ressemblaient à la cuisse d’un pygmée (les pygmées sont appelés aujourd’hui populations autochtones). Pour nous défendre, nous disions que ceux qui avaient des balafres cachaient par là une certaine laideur (rires). Parce que porter des balafres, c’est beau tout simplement.
LDB : Pourquoi, vous particulièrement vous ne portez pas de balafres ?
GES : La raison principale est que mon père travaillait à l’époque avec des colons, il a dû subir l’influence des colons. Cette pratique était à l’époque combattue. Je crois que l’approche de l’homme blanc avait changé sa vision. D’ailleurs dans notre lignée, c’est la première fille qui en porte, on privilégiait les jeunes filles à cause du mariage.
LDB : Que pensez-vous de la scarification ? Quel âge pouvaient avoir les enfants que l’on scarifiait ?
GES : Dans l’art de la scarification, ce que j’admire ce sont les personnes très ingénieuses qui le pratiquait. Comment expliquer que ces marquages étaient faits avec précision, les lignes, pas trop grandes, équidistantes l’une de l’autre et avec quel matériel ? Avec un outil que l’on appelait « sama », une espèce de bistouri. Mais le procédé de la scarification n’est pas loin de celui de la circoncision. On neutralisait l’enfant de moins dix ans et sans anesthésie moderne comme aujourd’hui, on marquait les enfants les plus jeunes. Toutefois, parmi mes nièces, il y en une à l’âge adulte qui a souhaité se faire marquer, il existe forcément d’autres cas. Le remède pour cicatriser les plaies était aussi tout simple : des feuilles de bananiers passées légèrement au feu. Cela marche aussi pour d’autres types de plaies, incroyable !
LDB : Des cette culture qui vous a marqué, qu’avez-vous appris à vos enfants ? Sont-ils balafrés ?
GES : Non ils ne le sont pas. Mes enfants ne portent aucun signe distinctif de la culture téké, cela ne se pratique plus. La question, je ne me l’étais même pas posée. Mais ce que j’ai tenu à concrétiser, c’était d’épouser une femme qui porte des balafres, et Dieu m’a exaucé ! (rires)
LDB : Vous dites que l’époque des balafres n’existe plus ? C’est un mal ?
GES : C’est une culture qui a marqué son temps, et comme beaucoup d’autres apports culturels, elle tend à disparaître. La scarification est interdite de nos jours, et l’on peut comprendre, autres temps autres mœurs ! Il nous revient de faire connaître aux autres cette richesse parce qu'on y reste, quelles que soient les circonstances, attaché. Avec ou sans marques, c’est un lien que je souhaite conserver, c’est ma richesse.