Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs l’importance que revêt l’Europe ? Dans quels domaines Bruxelles a-t-il pris le pas sur les capitales européennes ?
La construction européenne est un long processus qui a réellement commencé après la Seconde Guerre mondiale, avec les initiatives fortes de Jean Monnet et Robert Schuman. L’idée fondamentale était et reste que l’Europe ne soit plus un foyer de conflits et devienne, au contraire, un espace de paix et de coopération. Instituée à Rome en 1957, notamment par mon mentor et ami Maurice Faure qui vient de nous quitter, la Communauté européenne a non seulement créé une union douanière et un vaste marché économique, mais elle n’a cessé, depuis le traité de Maastricht de 1992, de s’élargir à de nouveaux membres et de s’approfondir sur le plan politique, monétaire, social. Pour ma part, je suis très honoré d’avoir participé aux discussions sur les accords de Schengen relatifs à la liberté de circulation au sein de l’Union européenne (UE) ainsi qu’aux débats de la convention sur la Charte des droits fondamentaux qui a représenté une avancée significative dans le domaine des droits et libertés. Certes, il reste beaucoup à faire, notamment dans le domaine fiscal, bancaire, militaire, mais les choses progressent, même si c’est trop lent à mon avis. L’idée européenne reste une valeur prioritaire, mais le fonctionnement de l’Union doit être profondément réformé.
Quelle place pour la France dans le partenariat entre l’Afrique et l’Europe ?
Pour des raisons historiques, économiques, culturelles et humaines, l’Afrique occupe une place de prédilection pour les Français qui éprouvent un profond attachement pour ce continent. C’est, personnellement, ma destination préférée, je m’y rends plusieurs fois par an. Mon pays n’a cessé de plaider en faveur d’une intensification des relations entre l’Europe et l’Afrique. C’est dans ce sens qu’il a pleinement participé aux négociations du nouvel accord de libre-échange entre l’UE et l’Afrique occidentale dont les produits auront un accès préférentiel aux marchés européens sur le long terme en échange d’une ouverture des pays africains. La France a surtout insisté pour que ce partenariat, qui revêt une importance inédite, comporte un volet capital à l’aide au développement. Elle a souligné que cet accord devait aussi avoir pour objectif de stimuler les économies nationales et assurer la sécurité alimentaire des États africains. Il s’agit d’une étape essentielle pour nouer une relation équilibrée, réciproque, moderne entre l’Europe et l’Afrique.
L’Europe accorde une grande place aux questions de gouvernance et de démocratie, qui s’oppose à ce qu’il convient d’appeler la « démocratie à l’africaine ». La démocratie à l’africaine est-elle un concept valable, selon vous ?
Comme les droits de l’homme, la démocratie est un concept universel. La démocratie n’est pas plus européenne, africaine, américaine qu’asiatique. Par contre, les voies menant à la démocratie sont multiples et variées. Et ce n’est certainement pas la France qui peut donner des leçons aux autres, en indiquant la voie idéale, elle qui a fait quatre révolutions et a connu dix régimes différents avant d’établir une démocratie stable. En ce domaine, pas plus les Français que les autres Européens ne sont habilités à prodiguer des leçons de morale. Toutefois, il y a des principes de gouvernance de base – pluralisme politique, État de droit, libertés fondamentales, constitution garantissant la séparation des pouvoirs, processus électoraux transparents, lutte contre la corruption – qu’il convient de mettre en pratique et de respecter, comme le président François Mitterrand l’avait souligné à La Baule en 1990, en affirmant : « Il n’y a pas de développement sans démocratie, et il n’y a pas de démocratie sans développement. » En définitive, il revient aux Africains eux-mêmes de trouver les chemins, parfois ardus, longs et sinueux, conduisant à l’instauration d’un système démocratique. Pour cela, la France est et sera toujours à leurs côtés.
Quel type de coopération pourrait avoir lieu en Afrique entre l’UE et Africom ?
Je tiens à préciser que la France considère la défense de l’Afrique d’abord comme une affaire africaine. C’est un changement fondamental. Depuis 2012, la France n’intervient plus que sous certaines conditions : à la demande d’un État africain, en vertu d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, en appui à une force africaine. Ce fut le cas au Mali, et c’est le cas en Centrafrique. Mais je déplore que lors de ces deux récentes opérations l’UE ait fait montre d’une pusillanimité blâmable en ne déployant pas rapidement les effectifs nécessaires sur place. Dans ce contexte, Africom joue un rôle utile, en particulier en matière de logistique et de renseignement. Ce qui me paraît le plus important est la contribution qu’Européens et Américains peuvent apporter à la stabilisation et à la sécurité des États africains, mais aussi à la formation de leurs militaires et à l’organisation de leurs armées. Car il revient aux Africains de prendre en charge leur propre défense.