États-Unis-Europe-Russie : la crise ukrainienne relance la guerre froide

Mardi 25 Février 2014 - 15:10

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Européens et Américains ont accouru en Ukraine pour soutenir les tombeurs du président Viktor Ianoukovytch, emporté le 22 février par une vague de manifestations terminées dans le sang. « La transition est en marche en Ukraine », entend-on dire du côté de Paris, Berlin et Washington. Les Russes y voient une aberration (l’expression est du Premier ministre Dimitri Medvedev), estimant inadmissible d’accorder un quelconque crédit aux anarchistes. Sans que ce soit tout à fait le cas de la guerre froide balayée par la chute du Mur de Berlin en 1989, cette lecture diamétralement opposée des événements de Kiev par le Kremlin et les capitales occidentales, rappelle la période de tensions et de confrontations idéologiques qui caractérisa les relations internationales entre 1947 et la désagrégation complète de l’empire soviétique en 1991

Il est vrai que depuis lors, l’ex-République socialiste soviétique d’Ukraine, qui a proclamé son indépendance en 1991, gère un contentieux de fait entre l’Est et l’Ouest de son territoire, mais aussi, eu regard à sa position stratégique, entre l’Est et l’Ouest du monde qui l’entoure. Au plan intérieur, ses principaux dirigeants cristallisent la rivalité  pro-Russes/pro-Européens, en s’appuyant souvent sur le fait que l’Est et le Sud du territoire sont à dominante russophone, l’Ouest et la capitale Kiev étant eux majoritairement de langue ukrainienne. C’est sur les mêmes bases que se déroule depuis quelques années, la lutte d’influence entre la Russie et l’Occident.

En 2004, l’Europe et l’Amérique apportaient leur soutien total à la révolution orange qui peut être considérée comme l’âme de la contestation populaire dans la nouvelle Ukraine. À l’époque, un certain Viktor Ianoukovytch, alors Premier ministre, ne put jouir de sa victoire au second tour de l’élection présidentielle du 21 novembre, laissant la place à Viktor Iouchtchenko après que la Cour suprême ait annulé les résultats de cette consultation. Là est entrée en scène une certaine Ioulia Tymochenko, femme d’affaires, nommée Premier ministre par Iouchtchenko.

Tous deux pro-Européens déclarés et favorables à l’entrée de leur pays dans l’OTAN, s’accusent mutuellement de corruption et se brouillent, et la célèbre prisonnière - libérée il y a peu - est alors limogée de son poste. Suivra une période de compromis entre les anciens ennemis (Ianoukovytch et Iouchtchenko, ce dernier et Tymochenko, notamment) et aussi de crise parlementaire jusqu’à l’élection de 2010. Elle est remportée par Viktor Ianoukovycth au second tour, le 7 février,  avec 48,53% des voix, contre Ioulia Tymochenko, à 45,88%.

En même temps que le Kremlin n’avait pas gobé la révolution orange, les Occidentaux n’apprécièrent pas du tout l’arrivée au pouvoir d’un pro-Russe. Il sera chassé en milieu de mandat. Bref, une instabilité aussi forte que chez les Italiens, à la différence que ces derniers laissent de côté le feu et le canon pour mettre en exergue leur génie de la négociation politique. Depuis le mois de novembre, les Ukrainiens étaient dans la rue pour obtenir ce qui est arrivé. Le départ de celui qui rechignait à signer le rapprochement avec l’Union européenne, moyennant une centaine de morts, dont quatre-vingt cinq civils et seize membres des forces de l’ordre.

La note payée par les Ukrainiens est lourde. Nul ne sait si elle ne pèsera que ce poids car comme toutes les révolutions, celle qui a évincé l’ancien président donné en fuite ne manquera pas de désigner ses contre-révolutionnaires et au besoin leur faire payer leur complicité supposée avec l’ennemi. Au demeurant, la prise d’assaut de la résidence de Viktor IanouKovycth par les manifestants à la recherche d’indices de corruption du régime, ou encore le mandat d’arrêt pour « meurtres de masse » qui le vise, alertent sur le bras de fer qui est lancé contre les anciennes autorités. Et aussi, celui qui se dessine entre Américains, Européens et Russes. Même si tous souhaitent que l’Ukraine préserve son unité. On pourrait se demander, à quel prix ?

Gankama N'Siah