Dzon Delarge: "Le centre, la passe décisive, c’est dans l’ADN de mon poste"

Samedi 9 Avril 2016 - 17:38

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Depuis son arrivée, en janvier, à Osmanlispor, Dzon Delarge s'éclate et son nouveau club cartonne. Régulier en club depuis des années, mais rarement appelé en sélection nationale, l'attaquant international a répondu à toutes nos questions sans faux-semblants. 

Les Dépêches de Brazzaville : Dzon, vous venez de faire match nul sur le terrain de Fenerbahçe ce week-end. Et depuis ton arrivée le 1er février, vous avez pris 18 points sur 24 possibles. Tous les voyants sont au vert…

Dzon Delarge : Bonjour et merci de la tribune que vous m’offrez. Oui, nous sommes dans une bonne dynamique, avec une seule défaite en 2016 (ndlr : avant son arrivée, le 16 janvier à Kayserispor). Osmanlispor a été promu en première division l’été dernier, donc c’est une situation remarquable d’être aujourd’hui si haut au classement. Mais on reste serein, en évitant l’euphorie, tout en étant conscient de nos qualités.

LDB : Cinquième au classement avec 40 points, Osmanlispor n’est qu’à quatre points d’une place européenne, à sept journées de la fin du championnat. Que vise le club ?

D.D : Quand je suis arrivé, l’objectif était le maintien. Mais avec la bonne série en cours (ndlr : 6 victoires, 3 nuls et 1 défaite en 2016), notre position est bien plus favorable. Donc, dans l’entourage du club, chez les supporters, on nous parle de plus en plus de Ligue Europa, même de podium… C’est normal, l’appétit vient en mangeant. Et nous aussi on a faim. Mais pour autant, on ne veut pas se laisser griser et on essaye de garder les pieds sur terre. Dans l’effectif, il y a des joueurs expérimentés, comme mon grand frère Achille Webo. On sait que dans le football, cela va très vite : on fait une bonne série, mais on peut aussi en faire une mauvaise… Donc, on ne s’enflamme pas et on garde les valeurs qui nous ont permis de faire nos bons résultats.

LDB : A titre personnel, tout va bien aussi pour toi : en huit apparitions, dont 3 comme titulaire, tu cumules déjà 4 passes décisives. Tu sembles t’épanouir dans cette équipe d’Osmanlispor.

D.D : Oui, j’ai bien trouvé ma place. Je crois que l’entraîneur Mustafa Ackay ne m’a pas fait venir pour le plaisir de faire un transfert : il avait étudié mon profil et a estimé que j’avais un rôle dans son effectif. Le niveau est relevé, avec plusieurs internationaux (le Roumain Rusescu, le Nigérian Lawal, le Croate Sharbini, le Tchèque Prochazka…) et les places sont chères. Donc je me bats à l’entraînement, chaque jour. Parfois je suis titulaire, parfois non, mais à chaque minute qu’il m'offre (ndlr : 338 minutes au total), je me donne à fond. Nous sommes six à postuler aux places offensives et le coach fait jouer sainement cette concurrence. En tout cas, les résultats lui donnent raison, non ?

LDB : A Osmanlispor, tu joues essentiellement dans le couloir gauche. Quelles sont les consignes de ton entraîneur ?

D.D : J’ai aussi joué à droite, en fonction de l’autre ailier aligné par le coach et aussi en fonction du défenseur adverse. Par exemple, à Trabzonspor, j’ai débuté à gauche, mais j’éprouvais des difficultés face à José Bosingwa. Le coach l’a vu et m’a mis sur le côté droit : j’étais mieux et j’ai donné une passe décisive à Rusescu. Après la mi-temps, sur un ballon côté gauche, j’ai gagné un duel contre Bosingwa et j’ai offert un autre but à mon coéquipier. L’entraîneur me demande d’alterner : utiliser le couloir, faire des appels en diagonale pour ensuite centrer en retrait, voir repiquer pour tourner autour de l’attaquant. Il attend de nous que nous prenions la meilleure décision rapidement, avec une certaine polyvalence. Cela implique de ne pas rechigner au travail défensif pour compenser les déplacements des coéquipiers. Le coach essaie de s’adapter aux adversaires et en fonction de ce qu’il analyse, il n’hésite pas à faire utiliser tel ou tel joueur. Et comme la concurrence est saine, tout le monde adhère à cela, en donnant tout à l’entraînement, puis en acceptant ses choix le jour du match. Quand les résultats suivent, c’est plus facile.

LDB : Tu n’as pas encore marqué, mais tu ne te sens pas obnubilé par ça. Les images te montrent que tu privilégies la passe, le centre…

D.D : Je suis un joueur de couloir. J’aime marquer et faire marquer. Le centre, la passe décisive, c’est dans l’ADN de mon poste. Mes passes décisives, elles sont logiques : c’était le bon choix, le bon geste. Je ne veux pas dénaturer mon jeu en forçant un tir alors que la passe s’impose.

LDB : Tu as déjà joué au Cameroun, en Slovaquie, en Tchéquie, dans des clubs de haut de tableau. Mais avais-tu déjà connu de telles ambiances comme celle du stade Sürkü Saracoglu (ndlr : de Fenerbahçe) et ses spectateurs, réputés pour leur ferveur ?

D.D : Au niveau national, non, je n’avais jamais vu ça. Après, en Coupe d’Europe, j’ai eu la chance de vivre de belles ambiances en Ligue Europa avec le Slovan Liberec : à Séville, Zurich ou Split. Mais c’est vrai que dimanche soir, à Fenerbahçe, c’était impressionnant avec 27 000 spectateurs chauffés à blanc.

LDB : La Turquie est un pays de football, où la passion est omniprésente, où le football est presque une religion, comme en Afrique. Tu le ressens au quotidien ?

D.D : C’est clair. Les supporteurs sont comme en Afrique : perdre est un pêché, la défaite est très mal vécue et les succès font vibrer les foules. C’est parfois poussé à l’excès, mais j’aime cette ambiance. Ça motive, ça met la pression.

LDB : La Turquie, pays limitrophe de la Syrie, vit une période compliquée, avec des attentats, des flux de migrants. Comment le vis-tu au quotidien ? Crains-tu pour ta sécurité ?

D.D : La Turquie est touchée de plein fouet par la violence et ça ne laisse pas indifférent. Surtout à Ankara, ciblée par plusieurs attentats très meurtriers ces derniers mois (ndlr : 102 morts en octobre 2015, 29 en février, 26 en mars). Pour être honnête, je me suis posé des questions à ce sujet au moment de signer mon contrat en janvier. Et puis, je me suis dit que dans le contexte actuel, l’insécurité est omniprésente dans le monde entier : en Turquie, à Paris, à Bruxelles, au Cameroun, en Côte d’Ivoire… Alors, il faut vivre avec, tout en faisant attention. J’ai l’avantage d’être footballeur : après l’entraînement, je rentre chez moi, jusqu’au prochain entraînement. Je ne me disperse pas, pour rester concentré sur ma progression. Ça réduit les risques, même si le risque zéro n’existe pas.

LDB : Après Delvin Ndinga (27 matchs), tu es le Congolais le plus expérimenté sur la scène européenne (19 matchs). Et pourtant, tu ne comptes que 5 sélections avec les Diables rouges. Comment l’expliques-tu ?

D.D : Je ne l’explique pas vraiment. Comme chaque joueur congolais, j’attends avec attention les listes pour savoir si j’aurais le privilège de représenter mon pays. Et presque à chaque fois, je fais partie des déçus, car la sélection nationale est le but ultime d’un footballeur. Mais je ne me plains pas, ce sont les choix des sélectionneurs, peut-être parfois de leur entourage technique ou administratif. Ça ne m’empêche pas de rester supporteur de la nation, que j’essaie de porter haut à chaque fois que j’entre sur un terrain avec mon club. Je me dis que peut-être que le fait de jouer en République tchèque m’a handicapé en termes de visibilité. Parfois, j’ai l’impression qu’il vaut mieux jouer en France, que ce soit en Ligue 2 ou en National, que d’être au haut niveau ailleurs. Je ne veux manquer de respect à aucun Diable rouge, car ce sont mes frères, mais j’ai parfois vu des joueurs de CFA ou de Ligue 2 être sélectionnés alors que je jouais la Ligue Europa…et que je n’étais pas appelé.

LDB : Kamel Djabour te sélectionnait en « bouche-trou », Claude Le Roy t’a fait venir sans vraiment te faire jouer : ton histoire avec la sélection n’est pas simple.

 D.D : L’équipe du Congo, c’est pour tout le monde, pour tous les footballeurs congolais. Après, les sélectionneurs font leur choix, selon leurs considérations et leurs critères sportifs. Donc, je ne peux que m’incliner. Sur le banc, à Khartoum, j’ai vécu le plus beau moment de ma carrière de joueur, lorsque l’on s’est qualifié pour la CAN 2015. Malheureusement, Claude Le Roy ne m’a pas appelé pour la compétition. J’ai donc suivi ça comme le premier supporteur de la sélection. Avec Kamel Djabbour, c’était aussi compliqué. Deux fois, il m’a appelé au dernier moment pour remplacer un joueur forfait (ndlr : contre l’Angola en amical puis pour le Gabon et le Burkina). Une fois, il m’a fait venir alors que j’étais déjà en vacances. Mais à la liste suivante, je n’étais pas dans le groupe. C’était blessant.

LDB : Y-a-t-il un problème « Delarge » chez les Diables rouges ?

D.D : La seule chose que je peux dire, c’est que je n’ai pas de problème avec mes coéquipiers. Ou alors, ce sont des problèmes que j’ignore. Maintenant, il y a un nouveau coach, Pierre Lechantre, et le jour où il m’appellera, je répondrais présent. En attendant, je fais mon job en club, comme je le fais depuis des années.

LDB : Tu n’étais pas sélectionné contre la Zambie, mais en conférence de presse, Pierre Lechantre a déclaré qu’il allait désormais avoir le temps de regarder ce qui se passe en Turquie, en Israël ou ailleurs en Europe…

D.D : Je serais honoré que le sélectionneur national vienne nous voir en Turquie, car il y a aussi mes compatriotes Ganvoula et Litsingi.

LDB : En janvier, tu as été l’objet d’un transfert un peu étrange : ton contrat a été racheté par les Autrichiens de l’Admira Wacker, qui t’ont prêté dans la foulée à Osmanlispor. Peux-tu nous expliquer cela ?

D.D : Comme vous le savez, ma situation au Slovan Liberec était compliquée : j’arrivais en fin de contrat en juin 2016, après 4 saisons au club, durant lesquelles j’ai vécu de belles choses : la Coupe d’Europe, la lutte pour le titre, une victoire en Coupe de République tchèque. Mais j’aspirais à autre chose pour la suite de ma carrière. Seulement, le Slovan était trop gourmand : dès l’été dernier, ils demandaient beaucoup trop d’argent, alors que j’avais des offres en France et en Turquie. Au lieu de faciliter mon départ, le club m’a demandé de prolonger, ce que j’ai refusé. Donc ils m’ont retiré de la liste pour l’Europa Ligue, alors que j’avais joué les tours préliminaires, puis on m’a mis au placard en championnat. J’ai rongé mon frein en attendant le mercato d’hiver. Mais là encore, le club avait mis la barre très haute, alors des clubs me voulaient. Et puis, je ne sais pas pourquoi, ils ont accepté de me vendre à l’Admira Wacker pour une somme plus raisonnable (ndlr : les sites spécialisés évoquent la somme de 225 000 euros), alors qu’aux autres, ils demandaient 500 000 euros. Comme l’Admira est proche d’Osmanlispor, ils m’ont prêté pour 18 mois avec une option d’achat de trois ans. Donc, pour eux, c’est du business, mais pour moi, c’était la meilleure porte de sortie.

LDB : Le Congo vit une période post-électorale agitée. As-tu un mot à adresser aux Congolais qui liront cette interview ?

D.D : Je tiens à m’associer à mes frères et sœurs de tout le Congo pour que la paix l’emporte. Et j’en appelle à tous nos dirigeants politiques pour qu’ils fassent en sorte que l’on ne vive plus jamais ce qu’on a connu dans les années 90. Nous voulons la paix pour tous les Congolais.

 

 

Camille Delourme

Légendes et crédits photo : 

A Osmanlispor, Dzon Delarge n'a pas encore marqué, mais le Congolais a déjà donné quatre passes décisives en 8 matchs (droits réservés) Aligné dans les couloirs, Dzon Delarge aime attaquer, mais ne rechigne pas à défendre: deux qualités appréciées par son entraîneur (droits réservés) Delarge sous le maillot congolais: une image trop rare, ce qui interpelle les observateurs et supporteurs congolais (droits réservés)

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