Lire aussi : |
Catherine Vidal : « Hommes, femmes, avons-nous le même cerveau ? »Lundi 3 Mars 2014 - 0:00 À la lumière des progrès des connaissances en biologie, une réflexion a été développée récemment pour traiter de l’origine innée ou acquise des différences entre les sexes. Pour les tenants d’un déterminisme génétique de l’identité sexuelle, les femmes et les hommes seraient par nature différents dans leurs comportements et leurs personnalités. D’après ceux qui s’appuient sur cette thèse, nos aptitudes, nos émotions, nos valeurs sont câblées dans des structures mentales immuables Neurobiologiste, directrice de recherche à l’Institut Pasteur, auteur d’Hommes, femmes, avons-nous le même cerveau ?, Catherine Vidal donne à comprendre le rôle de la biologie, l’influence de l’environnement social et culturel dans la construction de nos identités d’hommes et de femmes. Si le cerveau de la femme est plus petit que celui de l’homme, les capacités intellectuelles se situent ailleurs, dans les neurones. À la naissance, seulement 10% de nos 100 milliards de neurones sont connectés entre eux, les 90% restant « vont se fabriquer après la naissance, en interaction avec notre environnement familial, social, culturel qui va contribuer à forger nos cerveaux ». La plasticité cérébrale : un déterminant pour tout individu, homme ou femme À écouter Catherine Vidal, le cerveau fabrique de manière illimitée de nouveaux circuits de neurones en fonction de l’apprentissage et de l’expérience vécue. Ces propriétés de « plasticité cérébrale » ont révolutionné la conception du fonctionnement du cerveau. Elle considère que dans ce domaine, rien n’est figé ni programmé à la naissance. C’est donc la notion de plasticité du cerveau qui détermine tout. Les différences entre les individus d’un même sexe sont si importantes qu’elles dépassent les différences entre les sexes Cette plasticité cérébrale apporte donc un éclairage nouveau sur le processus contribuant à forger nos identités. Le nouveau-né humain ne connaissant pas son sexe, apprendra à distinguer très tôt le masculin du féminin. Or depuis la naissance, il évolue dans un environnement sexué : « On lui fait une chambre rose ou une chambre bleue. On lui donne des vêtements différents, des jouets différents. » C’est l’interaction avec l’environnement qui va orienter ses goûts, ses aptitudes et contribuer à forger ses traits de personnalité en fonction des normes du masculin et du féminin données par la société. Lorsqu’on regarde deux cerveaux, il n’est pas possible de deviner s’il s’agit d’un cerveau d’homme ou de femme, explique Catherine Vidal. Car « il n’existe pas de traits anatomiques spéciaux qui différencient les deux sexes », les différences entre les individus d’un même sexe étant « tellement importantes qu’elles l’emportent sur les différences cérébrales qui pourraient exister entre les sexes. » Par conséquent, les vieilles idées prétendant entre autres que les femmes sont naturellement douées pour le langage ou que les hommes sont naturellement doués pour faire des maths sont « caduques ». Les cerveaux ne pensent, ne décident et ne gouvernent pas, ce sont les individus Catherine Vidal appelle à la lutte contre les stéréotypes qui limitent les ambitions des garçons et des filles dans leur vie : « C’est-à-dire que lorsqu’on dit aux filles qu’elles ne sont pas capables de faire des maths, par la suite elles ne vont pas s’engager dans des filières pour devenir des ingénieures. De même pour les garçons, les stéréotypes vont faire qu’ils ne vont peut-être pas aller s’engager dans les langues ou dans les métiers artistiques. » Elle invite à ne pas réduire les individus à leur cerveau, c’est-à-dire à une machine chimique et électrique qui guiderait leurs conduites. Elle appelle à prendre garde aux descriptions simplistes, car « ce ne sont pas les cerveaux qui pensent, décident ou gouvernent, ce sont les individus qui possèdent ces cerveaux ». Mais si la science se traduit dans des réalités sociales, la société influence aussi la science. « Ce qui est encore plus vrai quand on travaille sur le cerveau », dit-elle. Elle s’oppose à la vision « fixiste » du fonctionnement du sexe en totale contradiction avec les progrès des connaissances, et se dit en « lutte contre les stéréotypes » grâce au nouvel éclairage neurobiologique qu’apporte le concept de plasticité cérébrale sur les processus de construction sociale et culturelle des identités de femmes et d’hommes. « Si longtemps la réponse est venue des dogmes religieux, l’évolution de la société vers la laïcité explique de nouvelles raisons à ces différences », il est donc important de donner « au grand public les moyens de se forger un esprit critique à la lumière des connaissances scientifiques, mais aussi philosophiques, historiques, sociologiques… », a relevé Catherine Vidal. Neurobiologiste, directrice de recherche à l’Institut Pasteur, auteur de plusieurs ouvrages, membre du conseil scientifique de la Mission pour la mise en place des femmes au CNRS, Catherine Vidal mène des recherches fondamentales, notamment sur le rôle du cortex cérébral dans la mémoire. Elle porte aussi un intérêt particulier aux rapports entre science et société, en particulier les préjugés idéologiques sur le cerveau, le sexe et le déterminisme en biologie. Noël Ndong Légendes et crédits photo :Catherine Vidal, neurobiologiste, directrice de recherche à l’Institut Pasteur ©DR |