Interview : Lucien Pambou : « Le Congo n’a pas menti »

Mardi 22 Août 2017 - 18:30

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Lors de son adresse à la nation à l’occasion de la fête nationale, le président a reconnu que le Congo faisait face à des difficultés économiques « réelles » et « préoccupantes ». Le Congo est en cours de négociation avec le FMI pour mettre en place un plan d’ajustement structurel. Selon l’institution de Bretton Woods, le pays lui aurait caché une partie de sa dette publique. L’économiste congolais Lucien Pambou fait le point pour Les Dépêches de Brazzaville.

Les Dépêches de Brazzaville : le FMI a affirmé que le Congo aurait caché l'ampleur de sa dette. Et l'on entend dire beaucoup de choses sur la toile. Qu'en est-il exactement ?

Lucien Pambou : Le Congo n’a pas déclaré tous les éléments qui permettent de décrire l’ampleur et l’importance de sa dette extérieure. Il ne s’agit pas d’un mensonge mais d’un mode de calcul qui ne retient pas un certain nombre d’éléments de la dette, comme une partie des emprunts gagés sur le pétrole.

De plus, on peut penser aussi que le Congo n’a pas intégré dans sa comptabilité le solde primaire du budget et les charges financières relatifs au paiement de sa dette extérieure. Il faut savoir que les critères du Fonds monétaire (dette/PIB = 40%, dans la zone CEMAC dette/PIB = 70%) sont très exigeants et le Congo avec 77% était largement au-dessus pour le FMI comme pour la zone CEMAC, donc il y a eu une correction qui a permis de rétablir la vérité des chiffres (soit 117% du PIB).

LDB : Si cela est avéré avec un taux de 117% de son PIB. Comment le Congo se situe-t-il par rapport à d'autres États

LP : La plupart des pays de la zone CEMAC (Gabon, Tchad, Congo, Guinée équatoriale) se trouve confrontée à des taux d’endettement élevés, ce qui permet au Congo d’être dans la zone grise de ces pays endettés de l’Afrique centrale. Ceci a des conséquences importantes pour les finances publiques et l’économie. La baisse du prix du pétrole n’est pas le seul critère d’assèchement des devises, il y a aussi la mauvaise gouvernance et la mauvaise gestion des ministères et un recours systématique à l’endettement comme facteur de financement à moyen et long terme.

LDB : Tous les États sont endettés aujourd'hui, même des grandes puissances comme les Etats-Unis. Quand peut-on dire que l'endettement d'un État est problématique ?

LP : Les Etats-Unis constituent la première puissance endettée au monde, surtout vis-à-vis de la Chine. L’endettement en soi n’est pas un problème car c’est un moyen de trouver des financements à l’extérieur pour le développement des infrastructures économiques et sociales. En revanche, l’endettement est une contrainte forte et problématique dès lors que le taux d’intérêt qui structure la charge de remboursement de la dette est supérieur au taux de croissance de l’économie. La baisse des recettes pétrolières, minières ou agricoles n’améliore pas les conditions de remboursement. C’est le cas du Congo et de certains pays de la zone CEMAC.

Pour les Etats-Unis, ce n’est pas un problème car c’est la première puissance économique du monde, tant sur le plan financier que sur le plan militaire. Les Etat-Unis constituent le premier marché mondial en termes de liquidités et de potentialité économique, à la différence du Congo qui est un tout petit pays à revenus intermédiaires et qui a beaucoup de mal à présenter une carte économique et structurelle viable à long terme. Le Congo peut s’endetter à condition de rembourser, ce qui ne semble pas être le cas actuellement.

LDB : Certains congolais, qui ont gardé un souvenir amer des plans d'ajustement structurels, remettent en cause la pertinence d'une intervention du FMI. Quelle autre alternative aurait pu s'ouvrir au Congo ? En quoi le FMI peut aider le pays à se remettre sur pied ?

LP : Il y a le pragmatisme économique de court et moyen termes qui nécessite l’accord du Fonds monétaire qui a été sollicité par Paris qui est la gardienne des réserves congolaises et des pays de la zone Franc Cémac et de la zone Franc UEMOA. Il y a un discours politique dominé par le bavardage qui refuse l’aide du Fonds monétaire pour que le Congo s’effondre et que le président Sassou N'Guesso quitte le pouvoir. C’est le discours d’une partie de l’opposition au Congo et de la diaspora en France. Avec l'assèchement des devises dans la zone Cémac, la France a demandé l’intervention du Fonds monétaire comme cela a été fait avec succès en termes d’apports financiers pour le Gabon et bientôt le Tchad. À court et moyen termes, il n’y a pas d’autres alternatives et il ne faut pas espérer un retour de la hausse du prix du baril de pétrole. À long terme, il faut que le Congo réfléchisse de façon méthodique à travers une conférence économique et budgétaire articulée autour de la diversification sur les chantiers à entreprendre en priorité.

LDB : Quels seraient ces chantiers ?

LP : L’agriculture c’est bien, encore faut-il résoudre les problématiques liées aux conditions de transfert de technologie, de formation des personnels, de valorisation des filières, etc. Le Fonds monétaire ne peut qu’apporter des fonds à court terme avec ses solutions extravagantes et difficiles (réduction des salaires, réduction des importations, privatisation de certains secteurs de l’économie, exportations et dans les cas extrêmes dévaluation du Franc CFA, restructuration du secteur public). Il faut pour cela des Congolais informés et formés pour conduire ces réformes difficiles et actives. Quelle autre alternative aurait pu s’ouvrir au Congo ? Une course effrénée et sans retour vers l’endettement extérieur ? Impossible car sur les marchés internationaux les pays et les investisseurs privés refusent de prêter de l’argent au Congo.

LDB : Le chef de l'Etat n'a pas caché les difficultés présentes du Congo, qui frappent aussi les autres pays producteurs de pétrole. Quelles réformes entreprendre pour retrouver le chemin de la croissance ? 

LP : Après le Fonds monétaire international et ses recommandations, le Congo doit :

  • organiser de toute urgence une conférence économique et budgétaire pour appliquer les décisions du Fonds monétaire en favorisant la diversification de l’économie avec toutes les contraintes et problématiques afférentes ;
  • modifier le fonctionnement et l’utilisation du budget en séparant le budget primaire finançable par le Trésor et les différentes régies financières et le budget global plus axé sur l’endettement extérieur ;
  • créer un fonds de réserve budgétaire qui serait abondé par une taxe prélevée sur chaque exportation congolaise de matières premières (pétrolières, agricoles, minières) ;
  • évaluer le contrôle et l’utilisation des ressources budgétaires de chaque ministère de façon annuelle afin de faire le point de façon systématique entre l’évolution du solde primaire du budget intérieur et la partie afférente à l’endettement extérieur.

 

 

 

 

 

 

 

Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Lucien Pambou, diplômé de Sciences Po Paris et de Paris Dauphine, chargé de l’enseignement en économie et finances à l’Université Paris XIII Villetaneuse

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