Henri Djombo : "Le réchauffement moyen de la planète à plus de 2 degrés à l’horizon 2050 aura des conséquences terribles sur la vie humaine et l’environnement"

Mardi 14 Juillet 2015 - 18:15

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Lors des ateliers de la Terre de la Global conférence, tenue à Chantilly du 6 au 8, le ministre Henri Djombo a accordé un entretien sans concessions aux Dépêches de Brazzaville.

 

 

 

 

Les Dépêches de Brazzaville : Monsieur le ministre, en quoi les initiatives telles que les Ateliers de la terre peuvent-elles contribuer à renforcer la lutte contre le changement climatique et quel est l'intérêt pour le Congo d'y prendre part ?

Henri Djombo : La global Conference est une bonne initiative. Elle permet de rassembler les décideurs, les membres de la société civile, les entrepreneurs pour discuter de sujets spécifiques, liés particulièrement au développement et au climat. C'est une occasion de sensibilisation aux enjeux et à la nécessité de relever les défis relatifs au changement climatique. Notre pays est ouvert à toute initiative qui vise la gestion durable de l'environnement. Invités à participer à cette conférence, nous sommes venus contribuer, participer, mais aussi informer cette assemblée sur nos prouesses, nos préoccupations, nos besoins. Souhaitons que cette tribune contribuera à l’amélioration de notre action et nous offrira des opportunités nouvelles.

DB : Des conférences, colloques, séminaires, sommets se multiplient sur le changement climatique et le développement durable, ce qui témoigne de l'importance de ces questions. Percevez-vous des avancées importantes... et des blocages ?

HD : Quelques progrès ont été réalisés dans le cadre des négociations sur le climat. À Copenhague, les pays du Nord ont accepté de mettre en place des financements innovants en faveur de l’environnement dans les pays en développement (10 milliards de dollars chaque année en 2010, 2011 et 2012). Ils ont marqué une volonté d'avancer même si, en réalité, la promesse n’a pas été tenue. Un autre engagement fut pris à la même occasion, de débloquer 100 milliards de dollars chaque année en faveur de l'environnement dans la période de 2015 à 2020. Cette volonté, même si elle ne se concrétise pas, exprime au moins une obligation d’aide. Les négociations de Paris porteront sur les principales questions qui n'ont pas encore fait l'objet de consensus comme la révision des engagements et les niveaux des contributions de réduction des émissions, le statut des différentes parties dans l’accord, le lien avec les Objectifs de Développement Durable, la prise en compte de l’adaptation et des pertes et préjudices subis du fait du changement climatique, l’accès aux financements, les modalités de mise en œuvre des dispositions du MNV et leur portée, la nature de l’accord de Paris et son processus de ratification.

Les contributions volontaires des pays buttent encore sur certains aspects, car les engagements comportent des effets qui peuvent porter atteinte à la compétitivité économique. Pour l’instant, on applique la politique des petits pas dans ce domaine. Le Fonds vert pour le climat a été ressourcé en décembre 2014 à Berlin, malheureusement pour seulement 10 milliards de dollars. Bien sûr, c'est déjà un premier pas franchi, qui en appellera sans doute d’autres. Restons optimistes. Il s'agit de continuer de secouer l'arbre pour que plus de fruits en tombent ! Nous ne devons pas nous décourager, mais parler encore plus fort pour que les sourds finissent par entendre.

DB : La global conference prône le dialogue entre acteurs de tous horizons, le partage des bonnes pratiques, la valorisation de solutions concrètes... Est-ce une utopie ?

HD : Il s'agit là d'une forme de gouvernance et d’occasions à saisir pour faire évoluer le débat sur certaines thématiques. Bien sûr, tout le monde n'est pas présent ici à Chantilly et on ne peut pas, logiquement, penser qu'il y aura une influence sur l'évolution des situations globales. Il est bien de rassembler des personnes de bonne volonté qui prennent conscience d'un certain nombre d'enjeux, qui s'engagent et qui œuvrent individuellement et collectivement à relever les défis en question.

À chacun de se sentir concerné, d’écouter la voix de l'autre. Nous évoluons dans un monde de contradictions, il faut s'en accommoder, poursuivre la démarche engagée, continuer à marcher ensemble.

D.B : Les participants à la conférence de Chantilly ont appelé à la rupture en matière d'environnement et dessiné de nouveaux modèles en soulignant que des initiatives ou des réponses globales ne suffisaient plus. Qu'en pensez-vous ?

HD : Nous devons revenir à la case départ sans oublier l'essentiel. J’ai retenu, entre autres questions importantes abordées, qu’il faut assurer la cohérence des programmes nationaux conduisant au développement durable. Cela veut dire que chaque domaine d’activité doit baser son action sur une stratégie sectorielle et le pays sur une stratégie nationale, qui résulte de la mise en cohérence des stratégies sectorielles. Il doit donc exister des articulations, des complémentarités et des solidarités intersectorielles qui permettent aux différents acteurs du développement de jouer leurs rôles dans la gouvernance établie (les gouvernements qui y jouent un rôle pivot, le secteur privé, la société civile, les collectivités locales, les citoyens).

Après Rio+20, le développement durable, qui conjugue responsabilité nationale et gouvernance mondiale, est devenu la voie que toutes les nations doivent suivre pour maîtriser leur avenir.

L’absence de documents d’orientation et de méthodologie pour tous les pays et le manque de capacités nationales ont conduit de nombreuses initiatives internationales à leur échec. C’est le cas des OMD. C’est pourquoi, au moment où l’on s’engage dans les ODD, les Nations unies et d’autres organisations internationales doivent aider les États, qu’ils soient du Nord ou du Sud, à disposer de stratégies nationales de développement durable, comme instrument essentiel et obligatoire de leur planification stratégique. Il faut élaborer un guide et mettre en place une assistance afin qu’ils ne continuent pas à mettre la charrue avant les bœufs, à exécuter des projets désarticulés les uns des autres, à dépenser les ressources sans tenir compte des priorités déterminantes. Je l’ai déjà dit lors de la précédente global conference, mais, ai-je été entendu ?

D.B. : Vous avez utilisé une expression innovante lors de nos discussions la veille de la conférence : vous avez dit "il faut une diplomatie environnementale, une diplomatie du climat". Comment entendez-vous la mise en œuvre d'une telle diplomatie ?

HD : La diplomatie environnementale peut paraître une notion nouvelle mais depuis Stockholm en 1972, il se développe des relations et des négociations intergouvernementales autour du développement et de l’environnement. Des accords sont signés et mis en œuvre, des projets engagés au plan local, national, régional ou global. Des acteurs travaillent activement dans ces domaines de manière et sont en train de révolutionner la diplomatie en général. Nous sortons du cadre de la diplomatie classique pour aller vers les sommets qui regroupent les chefs d'État du monde qui prennent des décisions sur les questions mondiales de climat, d'environnement, de développement. Cette tendance se développe et mérite d'être prise en compte et appropriée par les ministères des Affaires étrangères de nos pays.

DB : Le Président du Congo a rencontré le Premier ministre français qui a rappelé que la France comptait sur Denis Sassou N'Guesso pour faire avancer les réflexions sur le changement climatique. La voix du chef de l'État avait pesé à Copenhague mais depuis, les pays occidentaux n'ont pas apporté l'aide escomptée. Êtes-vous optimiste ?

HD : L'engagement du président Denis Sassou N'Guesso dans l’environnement, le climat et le développement durable est total, permanent. Le rôle qu’il joue dans la préservation du bassin du Congo et de la biodiversité mondiale, et celui qu’il a joué á Rio+20 sont remarquables et reconnus au plan international. Que sa voix soit attendue à Paris en décembre à la 21eme Conférence des Parties n’étonne pas.

Il n'y a pas encore d'entente entre les parties sur les questions essentielles alors que le temps qui reste est compté et qu’il va falloir travailler durement pour infléchir les positions des uns et des autres. La diplomatie française travaille à aplanir les divergences afin qu’un accord contraignant sur le climat soit, enfin, signé à Paris.

DB : Quelle est la contribution du Congo à l'effort global de lutte contre le changement climatique ?

HD : Comme vous le savez, la forêt contribue pour 20 % environ des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. La gérer durablement aujourd’hui, comme le fait notre pays, réduit la déforestation et les émissions et accroît la capacité de séquestration de carbone. C'est une contribution inestimable à l'effort global de lutte contre le changement climatique. C'est cela un des messages que nous avons apportés ici, à Chantilly. Nous ne sommes pas responsables de la pollution. En revanche, nous sommes les victimes du développement des pays du Nord qui continuent de polluer la planète et de contribuer au réchauffement climatique. C’est pourquoi les mesures d'adaptation doivent être mises en place en vue de lutter contre les effets du climat. Le réchauffement moyen de la planète à plus de 2 degrés à l’horizon 2050 aura des conséquences terribles sur la vie humaine et l’environnement. Le temps qui reste est compté, nous devons agir maintenant. Les pays industrialisés qui en sont à l'origine doivent assurer l'adaptation des pays qui souffriront de leurs méfaits au changement climatique.

DB : Le Congo, par son engagement, ses actions, est le laboratoire pratique de gestion durable des forêts tropicales pour l'ensemble de la région. Quelles sont les grandes orientations du pays dans ce domaine ?

HD : Nous avons deux orientations. La première concerne les forêts naturelles dont le potentiel d'attribution est quasi nul aujourd'hui parce que, comme dans la plupart des pays forestiers, nous avons distribué toutes les forêts de production à l'industrie du bois. Pour créer encore des emplois et plus de valeur ajoutée, assurer un meilleur rendement de la forêt et l’expansion du secteur, nous devons travailler sur une utilisation maximale d'essences à l'hectare, la récupération des déchets de bois, l’amélioration de la qualité et la diversification des produits. L’aménagement forestier et la certification forestière constituent, à cet égard, des instruments précieux qui garantissent la durabilité et le renouvellement de la ressource. À la fin de 2016, toutes les concessions forestières devront disposer d'un plan d'aménagement et s’ouvrir la voie à la certification. Toutes ces concessions devront être certifiées à moyen terme et garantir ainsi la transparence de leurs activités. Nous avançons dans la bonne direction. Les surfaces certifiées représentent aujourd'hui 32,5% des forêts mondiales certifiées FSC* et 50 % des forêts certifiées du Bassin du Congo.

La deuxième orientation concerne les forêts de plantation. Le président Denis Sassou N'Guesso a lancé un programme visant la création de 1 million d'hectares de plantations forestières sur une période de 10 ans. Nous devons redoubler d'efforts pour obtenir les financements nécessaires de l’État, du secteur privé et des bailleurs de fonds, promouvoir ce programme, continuer la sensibilisation des acteurs sur ce grand projet vert. Les financements dédiés à l’économie verte nous échappent encore. Entre la volonté et la réalité, le fossé est grand. Nous devons investir dans l'économie verte et le reboisement en est la plus grande activité dans le pays.

 

* FSC : Le Forest Stewardship Council (FSC) est un label environnemental qui assure que la production de bois ou d'un produit à base de bois respecte les procédures censées garantir la gestion durable des forêts.

Propos recueillis par Bénédicte de Capèle et Gankama N'Siah

Légendes et crédits photo : 

1- Du bois certifié dans un parc de CIB dans le Nord-Congo@DR ; 2- Le camp de Ndoki 1 dans une forêt aménagée dans la Likouala@DR ; 3- Séance de sensibilisation des populations autochtones à Loundoungou (Nord-Congo)@DR

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