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Dimanche 30 Mars 2014 - 6:30

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La Commission européenne (CE) est en train d’augmenter la pression sur la Communauté des États d’Afrique de l’Est pour qu’elle signe l’accord de libre-échange appelé accord de partenariat économique (APE) avec l’Union européenne (UE)

Patrice PassyPatrice Passy est consultant en intelligence économique et communication d’influence, directeur associé de DB Conseils. Il a été conseiller du Premier ministre de la République démocratique du Congo.

Jacques Wunenburger, chef de l’unité APE à la Communauté Européenne, a déclaré à l’Agence Inter Press Service (IPS) : « Si aucun APE n’était conclu, ces pays seraient logés soit sous le système de préférences généralisé soit sous l’option tout sauf les armes, puisqu’il n’existe aucun autre instrument commercial disponible. » Ces deux options entraîneraient plus de règles d’origine strictes et des droits plus élevés sur les importations de l’UE qu’un APE, a-t-il affirmé, accablant les entreprises qui achètent des machines et des biens d’équipement de l’Europe.

L’APE provisoire, également appelé APE-cadre, est la première étape juridiquement contraignante vers un APE complet, un nouveau cadre commercial qui remplace le système commercial préférentiel non réciproque entre l’UE et les États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) qui a expiré en 2007.

Les négociations sont longtemps restées bloquées en raison des craintes des pays africains, à l’exception du Ghana, de la Côte d’Ivoire, du Cap-Vert et du Nigeria, concernant la réduction de l’espace politique, la baisse des recettes tarifaires, et les dommages causés à l’industrie locale du fait des importations de l’UE. L’aide de compensation a été également une source de conflit.

Les intérêts en présence : l’UE

L’Union européenne, en tant qu’acteur et initiateur du mouvement de partenariat économique, ne peut tirer de la signature d’un APE avec l’Afrique que des avantages, d’où l’impatience face à la montée en puissance de la Chine, de l’Inde, du Brésil. Il semblerait en effet que la signature d’un APE avec les pays ACP soit économiquement, culturellement et politiquement très intéressée de la part de l’UE.

La mise en place d’un APE régional, avec notamment l’Afrique de l’Ouest, constituerait une excellente façon pour l’UE de maintenir sa présence et son poids à la fois culturel et économique en Afrique.

L’APE en cours de négociation avec les pays ACP devrait modifier en profondeur le régime commercial jusqu’alors en vigueur entre l’UE et les pays ACP. En effet, la coopération commerciale entre l’UE et les ACP tire ses origines des accords de Yaoundé (Cameroun). Ces accords ont été négociés dans la foulée des décolonisations. Ils visaient à prolonger les relations commerciales privilégiées entre les puissances coloniales et leurs anciennes colonies. Ils permettaient donc de sécuriser l’approvisionnement de l’Europe dans certaines matières premières tout en sécurisant les débouchés des anciennes colonies.

Ces accords ont été suivis par les conventions de Lomé signées pour la première fois en 1975. Quatre conventions se succéderont afin d’adapter la coopération entre la CEE, à l’époque, et les pays ACP aux variations du système mondial. Ces conventions ont avant tout cherché à promouvoir des relations privilégiées entre les deux régions, mais en affirmant vouloir bâtir un nouvel ordre économique international. Le régime commercial alors instauré s’est appuyé sur des concessions commerciales accordées par la CEE aux pays ACP alors même que les marchés des pays industrialisés restaient, à l’époque, très protégés par des droits de douane.

Les pays africains sont-ils prêts à relever le défi ?

La question centrale à laquelle l’Afrique devrait répondre avant de s’engager dans un accord commercial de libre-échange avec la première puissance commerciale du monde, quel que soit le niveau d’asymétrie et de réciprocité, les programmes d’accompagnement ou l’assistance financière promis, est de savoir si ses structures de production industrielles sont suffisamment matures pour s’ouvrir définitivement à la compétition avec l’Europe, si son agriculture est prête pour ce niveau de libéralisation, si son secteur des services peut se payer le luxe d’être ouvert à l’Europe dans un contexte où les régions du continent n’ont même pas encore de réglementations communes dans de nombreux domaines.

Pourtant, un dirigeant du continent y a déjà apporté une réponse satisfaisante, à laquelle nous devrions prêter attention : « Les nouveaux APE prétendent démanteler les protections tarifaires et instaurer une parfaite égalité de compétition entre des économies européennes et africaines totalement asymétriques. En clair, cela revient à consacrer et accentuer un déséquilibre de fait et à livrer totalement les marchés africains aux produits européens subventionnés. Non seulement l’industrie africaine n’a pas la capacité ni les structures qui lui permettraient de répondre même à une forte demande européenne, mais ce nouveau dispositif de désarmement tarifaire imposé par le libre-échange entraînerait immédiatement d’énormes pertes de recettes douanières pour nos pays ; or les recettes douanières constituent entre 35% et 70% des budgets des États africains. Selon une simulation du Centre d’étude et de recherche sur le développement, entre 2008 et 2015, les pertes de recettes fiscales du Sénégal, si notre pays adoptait ce système, passeraient de 38 à 115 milliards FCFA. Récemment, le président du Nigeria, opposé aux APE, m’indiquait que son pays perdrait près de 800 millions d’euros par an. » (cf président Abdoulaye Wade, in Passerelles, Vol. VIII, n° 5, Nov-Dec 2007)

Les programmes de développement que les experts du continent s’évertuent à élaborer pour les annexer à l’accord sont ce que les communautés régionales doivent de toute manière réaliser, avec ou sans APE. Le développement des régions et du continent sera un processus nécessairement endogène et auto-entretenu. Du plan d’action de Lagos au NEPAD, de nombreuses initiatives ont été prises à l’échelle du continent pour jeter les bases de l’intégration, de la croissance et du développement. L’Europe y a contribué bon an mal an, à la mesure de ses ambitions, de ses stratégies et de ses intérêts pour le continent.

Le résultat est aujourd’hui ce qu’il est. Il serait illusoire cependant de penser que ce que l’Europe n’a pu réussir à réaliser, dans un contexte autrement plus favorable, elle pourrait le faire maintenant. Sa contribution, comme par le passé, viendra seulement compléter les efforts autonomes du continent pour financer son propre développement.

Patrice Passy