Changement climatique : la mousson africaine menacée par le Groenland

Dimanche 23 Juillet 2017 - 11:39

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C’est une question à 135 millions. Pas en euros, dollars ou roubles, mais 135 millions de personnes vivant dans la partie occidentale et centrale du Sahel, du Sénégal au Soudan. À l’incertitude s’ajoute le risque climatique interdisant une stratégie d’adaptation.

L’alimentation de ces populations provient pour l’essentiel des productions agricoles et de l’élevage. Or, cette production alimentaire dépend presque exclusivement de l’apport en eau de pluie lors de la mousson, durant l’été. Un article paru dans les PNAS, la revue de l’Académie nationale américaine des sciences, y apporte une réponse nouvelle et très inquiétante. Question : la mousson africaine sera-t-elle affectée par le changement climatique provoqué par nos émissions massives de gaz à effet de serre ?

Jusqu’à présent, cette question laisse perplexe les climatologues. Leur seul moyen disponible pour s’attaquer au sujet consiste à simuler sur ordinateur le climat futur, en le soumettant à différents niveaux de concentration en gaz à effet de serre. Certains modèles prévoient une meilleure mousson, montant plus au nord et provoquant des pluies plus abondantes qu’aujourd’hui. Mais d’autres affichent l’inverse, des pluies qui remontent moins au nord, et sont moins abondantes. Impossible, alors, de conseiller aux populations et gouvernements de ces pays une stratégie de long terme fondée sur une anticipation du futur climatique.

De nombreux climatologues sont persuadés que l’une des faiblesses de tous ces modèles réside, en particulier dans l’ampleur et la rapidité de la fonte des calottes, du Groenland surtout. Les observations des 15 dernières années ont, en effet, montré que la perte de glace du Groenland est bien plus rapide que celle prévue par les simulations numériques. En période glaciaire, il y a 15.000 à 100.000 ans par exemple, des décharges massives d’icebergs, depuis la calotte recouvrant le Canada (dite Laurentide), ont provoqué des coups de froids violents sur l’Atlantique Nord… accompagnés d’affaiblissements de la mousson africaine, asséchant le Sahel et provoquant l’extension vers le sud du désert saharien. Un phénomène analogue, mais moins intense puisque seule subsiste la calotte du Groenland.

Un million de km² perdus

Pour mieux estimer ce risque, une équipe de climatologues s’est associée à des chercheurs en sciences politiques et humaines, spécialistes du risque climatique afin d’explorer les conséquences d’un scénario intégrant une perte de glace importante du Groenland. En pratique, il s’agit d’imposer « à la main » aux simulations numériques du climat, fondées sur un scénario d’émissions de gaz à effet de serre en ligne avec le rythme actuel, une perte de glaces allant de l’équivalent de 0,5 mètre à 3 mètres du niveau marin global, explique Dimitri Defrance, le premier auteur de l’article. Un coup de pouce concentré sur la période 2020 à 2070, puis d’observer le comportement de la mousson africaine dans les simulations numériques.

Le résultat est net. En raison de connexions entre le refroidissement de la surface des eaux de l’Atlantique nord, le ralentissement de la circulation profonde de l’océan et les changements qui en résultent dans la circulation atmosphérique, la mousson africaine s’étiole. Si la perte de glace reste en dessous de 0,5 mètre du niveau marin global, on n’observe pas de changement significatif.

En revanche, au-delà, et dès que la perte correspond à 1 mètre de niveau marin supplémentaire, les simulations prévoient de 20% à 60% de précipitations en moins entre 2030 et 2060 par rapport à la moyenne climatique actuelle. Il y aurait donc un effet de seuil, un peu au-delà de 0,5 mètre de contribution au niveau marin de la perte de glace du Groenland. L’aire cultivable du Sahel pourrait diminuer de plus d’un million de km² sous l’effet de la diminution de la mousson alors que mil et sorgho, les céréales majeures, feraient face à un besoin en eau accru par les températures en hausse. Même si les projections démographiques à un siècle demeurent délicates, elles pourraient atteindre 360 millions en 2100, le tiers de la population totale du Sahel si l’on suit l’hypothèse haute de l’évolution démographique.

Le doute demeure sur l’avenir de la mousson africaine, l’état de la science climatique ne permet pas de l’anticiper de manière sûre. Elle permet néanmoins de mieux mesurer l’ampleur des menaces que le changement climatique fait peser sur les sociétés en explorant l’un des possibles climatiques. Un possible que les dernières évolutions ont rendu plausible.

Josiane Mambou Loukoula

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