Interview. Jacques Djoli : « Le MLC assume son choix contre le dialogue »

Jeudi 1 Septembre 2016 - 15:57

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Dans un entretien avec les Dépêches de Brazzaville, le sénateur et inspecteur général du Mouvement de libération du Congo (MLC) justifie l’option levée par la direction de son parti de ne pas participer au dialogue qu’il considère comme un stratagème de la majorité visant à contourner la Constitution via un accord politique de partage de pouvoir censé déboucher sur une autre transition.   

Les Dépêches de Brazzaville : Le MLC dit ne pas être concerné par le dialogue. Pour quelle raison ?

Jacques Djoli Eseng’Ekeli : Le refus du MLC à prendre part à ce forum politique s’explique par le fait qu’en 2006, nous avons adopté dans la douleur et presque à l’unanimité la Constitution du 18 février 2006 qui est le pacte fondamental qui nous régit et organise tout. Pour nous, en lisant la Constitution, nous ne trouvons pas de problème susceptible de nous amener à un dialogue politique qui, manifestement, veut aboutir à un accord politique de partage de pouvoir pour aboutir à une autre transition. Nous ne comprenons pas pourquoi nous devons donner une prime à un gouvernement qui a refusé d’organiser les élections pour créer une crise artificielle alors que depuis 2011 que les institutions sont là, nous avons voté des budgets pour l’organisation des élections, nous avons donné des moyens à la Céni pour les organiser, mais parce qu’on veut absolument prolonger un pouvoir limité formellement de manière impérative par la Constitution aux articles 73, 70 et 220 qu’on en est là  aujourd’hui. Nous ne voulons pas faire partie de ceux qui veulent violer la Constitution intentionnellement. Voilà pourquoi nous avons dit non à ce dialogue. Et par contre, nous avons proposé un dialogue technique entre la Céni et les parties prenantes. Nous avions commencé les discussions avec l'abbé Apollinaire Malumalu de manière encore une fois mal intentionné et dans la perspective de saborder le processus électoral pour arriver à un glissement de pouvoir. Et finalement, on nous amène à ce forum pour élaborer des échafaudages qui n’ont pour but que de tordre le cou à la Constitution.

L.D.B : Vous refusez le dialogue et que proposez-vous comme alternative ?

J.D.E : Nous voulons le respect de la Constitution parce qu’elle n’est pas muette. Elle demande à la Céni de convoquer l'élection présidentielle quatre-vingt-dix jours avant la fin du mandat du chef de l’État en exercice. Et la Céni ne l’a pas fait. Donc, à partir du 19 septembre 2016, le pouvoir actuel entre dans un schéma de préavis qui va aboutir le 19 décembre. À la fin de cette échéance constitutionnelle, nous entrerons dans ce qu’on appelle l’empêchement définitif. Et à partir de ce moment là, c’est l’article 75 de la Constitution qui s’applique, c’est-à-dire que le président actuel aura accompli ses deux mandats. Techniquement, politiquement et juridiquement, il ne pourra plus continuer. Il devient sénateur à vie. Et nous entrerons dans un pouvoir d’intérim qui aura alors la charge d’organiser les élections dans les cent vingt jours. Donc, tout est prévu dans la Constitution. Nous ne voyons pas pourquoi nous devons aller dans les accords et les arrangements politiques extraconstitutionnels.

L.D.B : C’est dire que vous allez subir tout ce qui se dira au dialogue et les recommandations qui en résulteront.

J.D.E : Là, nous entrons dans l’illégitimité. Et dans cette Constitution, il est dit dès le préambule que la cause des malheurs qui frappent notre pays, c’est l’illégitimité. L’État de droit commence par le respect de la Constitution. Comment ceux qui ont manifestement fait de la Constitution un chiffon de papier peuvent avoir l’honnêteté de nous dire qu’ils vont respecter un accord politique ? Le but ultime de la manœuvre est de bâtir un accord politique ayant pour finalité de contourner la Constitution.

L.D.B : L’on vous accuse d’être les partisans du chaos.

J.D.E : L’opposition ne gouverne pas et a accepté d’accompagner la majorité qui a pris la charge constitutionnelle de conduire le pays. Rappelons d’abord que la Constitution n’est pas un vulgaire accord politique, elle est une impérativité. On ne fait pas de la Constitution un outil d’amusement. L’opposition ne cherche pas le chaos. Les planificateurs du chaos sont de l’autre côté. Nous, nous savons que depuis 2011, le mécanisme de l’alternance avait été mis en place. En 2013, lorsque le nouveau bureau de la Céni arrive, on sent déjà la volonté de s’écarter de la Constitution.  On nous propose d’abord un calendrier ponctuel consacré aux élections locales. Nous disons non. On en vient avec un calendrier global qu’on accompagne de plusieurs contraintes. Nous disons malgré tout allons-y parce que ce calendrier avait prévu une date conforme à la Constitution. Et nous avons commencé à travailler. On a même eu des candidatures pour les élections provinciales. Et les candidats ont payé des cautions. Subitement, en octobre 2015, on rejette ledit calendrier pour dire qu’il n’y a plus de fichier. En un mot, l‘opposition est là pour attendre les élections mais c’est la majorité qui bloque.

L.D.B : Qu’est-ce que vous perdrez en allant à ce dialogue qui aborde les questions liées à l’organisation des élections ?

J.D.E : Ces questions là ne sont pas celles du dialogue. La Constitution demande à la Céni de publier le calendrier électoral. Savez-vous qu’on est en train de procéder à l’enrôlement des électeurs sans un calendrier ? J’appelle un enrôlement sauvage. On va prendre trois mois dans le nord-Ubangi. Vous imaginez un président de la Céni qui entre en fonction en octobre 2015, lui qui est à la Céni depuis 2013 et qui vous dit que je vais me donner seize mois pour enrôler. Et dans ces seize mois, on se donne six mois pour faire un appel d’offre pour l’acquisition des matériels dans un pays où l’on achète des avions cash à 25 millions de dollars. Croyez-vous vraiment que le peuple congolais ne comprend pas que toutes ces manœuvres dilatoires visent à contourner la Constitution. Nous sommes choqués de constater qu‘en RDC, le dialogue qui est une vertu démocratique soit utilisé chaque fois pour contourner la Constitution et donner une prime à ceux qui ne la respectent. Si le dialogue sert à servir de soupe ou de partage de l’Etat en dépouille, le MLC ne s’y impliquera pas. C’est ce qui a tué cette République pendant cinquante six ans. Dix-sept rencontres extraconstitutionnelles n’ont permit finalement que d’asseoir l’illégitimité du pouvoir et, partant, l’inefficacité des institutions. Je rappelle que le MLC a été parmi les mouvements politico-militaires qui ont pris les armes pour qu’on revienne à un Etat de droit démocratique qui passe par le respect des règles. Et maintenant, vous nous invitez  à aller partager l’État pour engranger des postes  ministériels. Pourquoi nous nous sommes battus alors ? Il y a une institution qui devait organiser les élections et, depuis deux ans, elle s’amuse à créer elle-même des obstacles et pensez-vous que nous allons cautionner cette dérive en participant à ce Dialogue ! S’il faut que le MLC reste seul dans sa position contre le dialogue, nous sommes prêts à assumer notre choix.

L.D.B : Que dire alors des députés MLC qui prennent part à ces assises ?

J.D.E : Le fait pour la facilitateur d’accepter des électrons libres non mandatés par leur parti vise à institutionnaliser le débauchage et la transhumance qui ont élu domicile sur la scène politique congolaise. Edem Kodjo qui est un diplomate sait que dans toute assemblée, il faut commencer par le contrôle des actes d’accréditation des organisations qui vous ont mandatés. Le Comité préparatoire aura été un rassemblement des personnes recrutées pour accompagner la majorité dans son plan. De la fraude, il est donc impossible de bâtir la décrispation politique et la réconciliation nationale. Cette stratégie de fraude institutionnalisée se dégage aussi par la création d’une quatrième composante dénommée « personnalités politiques » dans une discussion qui devrait être strictement tripartite. Ce dialogue va donc poser un sérieux problème de représentativité et d’inclusivité. D’où son inutilité.

L.D.B : Si les préalables de l’opposition étaient tous satisfaits, le MLC pourrait-il revenir sur sa décision ?

J.D.E : La résolution 2277 insiste sur le respect de la Constitution et de l’organisation des élections dans le délai constitutionnel en précisant la date du 28 novembre 2016. Ceux qui, par mauvaise foi ou par calcul politicien, veulent faire dire aux articles 70 et 73 autre chose, porteront la responsabilité de ce qui adviendra à la fin du dernier mandat du Chef de l’Etat et en assumeront les conséquences éventuelles. Les préalables sont des mesures d’accompagnement et de cohérence pour une passation pacifique du pouvoir. Ici aussi, la mauvaise foi est très manifeste. Il faut donc des mesures globales et holistiques. 

Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Le sénateur Jacques Djoli

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