Stéphane Forbin : "un groupe de trois ou quatre personnes qui verrouillent le système à leur profit"

Samedi 17 Octobre 2015 - 8:46

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Au lendemain de l'élimination des Diables rouges dames handball aux Jeux africains, le Français Stéphane Forbin a contacté Les Dépêches de Brazzaville pour dénoncer les dysfonctionnements qui ont lieu dans la gestion du handball congolais. Dans cet entretien, le technicien français, engagé en décembre 2014, lance de graves accusations que semblent corroborer le bureau de la Fécohand qui a, depuis, exigé la tenue d'un Congrès fédéral extraordinaire. Qui n'a pas encore eu lieu.

Les Dépêches de Brazzaville : Stéphane Forbin, vous nous avez contactés, au lendemain de l’élimination des Diables rouges dames aux Jeux africains, pour dénoncer des dysfonctionnements importants au sein de la Fécohand. Pouvez-vous d’abord nous expliquer quel était votre rôle au sein de la Fédération congolaise de handball ? 

Stéphane Forbin : J’ai été recruté en décembre 2014 par le président Parra pour assurer la détection de joueuses dans la perspective des Jeux Africains et de la CAN 2016, mais également pour collaborer avec les techniciens congolais. Enfin j’avais une mission de développement du handball congolais pour les deux ans à venir. Dans l’ensemble je suis intervenu auprès de tous les techniciens, des équipes féminines mais également masculines. Je tiens d’ailleurs à souligner la collaboration exceptionnelle que nous avons pu mettre en place avec le DTN, les entraîneurs de l’équipe nationale garçons, le STAFF des clubs d’Abo et d’interclub. 

Combien de temps a duré votre mission ? 

De décembre 2014 à fin juillet 2015, date à laquelle un ami m’a appelé de Brazzaville pour me prévenir qu’un entraîneur angolais  était intervenu pour diriger des séances (Eduardo Francisco Vivaldo, NDLR), un mois avant la compétition ! Je n’ai reçu ni coup de téléphone ni lettre de la Fécohand.  

Parmi les documents que vous nous avez envoyés figure une lettre de vos avocats pour dénoncer l’absence de contrat de travail et de rémunération durant vos six mois de collaboration. Vous avez donc un litige avec la Fécohand ? 

Oui, il y a un litige juridique et financier avec le président Parra et le vice-président, Tanguy Yoka, qui étaient mes deux interlocuteurs. Durant ces six mois, je n’ai reçu aucune rémunération, et les frais que j’ai engagés ne m’ont pas été remboursés malgré des ordres de mission signés du président Parra.  

Pourquoi avoir continué à travailler sans contrat pendant six mois ? 

Avant de commencer avec le Congo, je connaissais déjà la plupart des joueuses de la diaspora, dont presque une dizaine que j'ai eues sous mes ordres à Val-de-Boutonne où je suis également entraîneur. J’avais donc une idée précise du potentiel congolais qui est, je le rappelle, une nation qui a longtemps compté au niveau africain. Pour moi, les Diables rouges sont capables de retrouver les compétitions mondiales qu’elles fréquentaient jusqu’en 2009. Par ailleurs, je ne suis pas de nature méfiant : ayant un président de fédération comme interlocuteur, je ne me suis pas inquiété outre mesure de l’absence de contrat pendant les premiers mois. 

Quels sont les dysfonctionnements que vous dénoncez aujourd’hui ? 

En six mois d’observation, j’ai cerné les raisons de la disparition du handball congolais des sommets africains. Il y a un manque évident de rigueur dans l’encadrement des handballeuses. À titre d’exemple, j’ai accompagné à Libreville (en mai 2015, NDLR) les équipes congolaises au championnat d’Afrique des clubs pour évaluer le niveau des participantes. J’ai donc organisé l’évaluation de quelques séances d’entraînement d’Abo-Sport, avec lequel tout s’est bien passé. En revanche, avec Étoile du Congo, j’ai constaté le manque de rigueur du staff technique : les séances commençaient en retard, voire souvent annulées. Un après-midi, j’ai attendu trois heures au bord du terrain pour finalement voir les joueuses arriver seules. Les entraîneurs sirotaient des bières dans un bar. Voir des entraîneurs nationaux traîner dans les bars pendant la préparation d’une équipe de haut niveau, c’est impensable. C’est un problème grave, mais pas le seul, malheureusement. 

Quels sont les autres ? 

Le cas du tournoi d’Almaty est révélateur. Le Congo a été invité à remplacer l'Algérie dans ce tournoi qualifiant pour le Mondial 2015 (du 5 au 20 décembre au Danemark, NDLR), l’occasion était inespérée de renouer avec la compétition après six ans d’absence. Le Congo s’est finalement classé deuxième, derrière le Kazakhstan. Mais notons que la délégation avait passé plus de deux jours à Istanbul, car les billets d’avion avaient été achetés à destination de Kazan, en Russie ! C’est inadmissible : il est impensable de laisser dormir des sportifs de haut niveau dans un terminal d’aéroport pendant deux nuits. Les joueuses sont arrivées à Almaty à 8h du matin le jour de leur premier match (à 20h), finalement perdu face au Kazakhstan. Les Diables rouges ont ensuite battu l’Australie et le Mexique. Nous avions la possibilité de revenir au mondial ! C’est un immense gâchis. Et ce n’est pas tout… 

C’est-à-dire ? 

Cet amateurisme paraissait trop invraisemblable pour être vrai. J’ai finalement découvert que Tanguy Yoka, vice-président en charge des déplacements de la Fécohand, est le propriétaire d’une agence de voyages, créée pour l’occasion, qui fournit tous les billets des délégations de la Fécohand. L’amateurisme confine aux conflits d’intérêts, voire aux pratiques mafieuses ! Il s’agit clairement d’un détournement d’argent public à des fins personnelles.  

Au niveau sportif, vous pointez également de graves problèmes en termes de sélection des joueuses… 

Les meilleures ne sont pas sélectionnées, quand elles ne sont pas tout bonnement écartées. Dans le cadre des Diables rouges, c’est presque toute une génération de joueuses qui est écartée. Pour le Kazakhstan, j’avais créé une liste de seize joueuses, dont douze professionnelles évoluant en France et en Angola et quatre joueuses locales à fort potentiel. L’avant-veille du départ, le président Parra m’appelle pour me dire que dix joueuses n’avaient pas obtenu leur visa. Et, alors qu’il est plus facile pour les joueuses établies en France d’avoir des visas pour voyager en Europe, j’apprends que les dix visas manquants concernaient des professionnelles de la diaspora. Le lendemain, le président m’informe que des joueuses locales, qui n’étaient pas sur ma liste, avaient eu leur visa. La volonté d’écarter les joueuses de la diaspora au profit d’éléments de niveau inférieur était manifeste. Et cela au détriment de la compétitivité de l’équipe nationale du Congo, en régression constante depuis 2008 et son dernier podium en Coupe d’Afrique des nations. Les critères de sélection sont douteux : copinage, mais aussi les fameux 10%, comme me l'ont confié en aparté plusieurs joueuses locales.  

Selon vous, ce n’est pas seulement une « opposition » entre les joueuses locales et celles de la diaspora puisqu’une « ségrégation » s’opère entre les éléments des différents clubs, qu’il s’agisse de joueuses ou d’entraîneurs…  

Je voudrais tout de même préciser que tout n’est pas « pourri » à la Fécohand et dans le handball congolais : la plupart des gens avec qui j'ai travaillé aiment leur sport. C’est un groupe de trois ou quatre personnes qui verrouillent le système à leur profit en plaçant leurs joueuses et leurs entraîneurs. J’ai effectivement constaté que les joueuses et les entraîneurs d’Étoile du Congo, dont Tanguy Yoka est le président, étaient mis en avant au détriment des autres, en particulier ceux d’Abo-Sport. Pourtant, il n’y a aucune logique sportive dans cela. Et les résultats parlent d’eux-mêmes puisqu’Abo-Sport a terminé à la troisième place du championnat d’Afrique et que l'Etoile a été éliminé en quart de finale.  En championnat, Abo-Sport a été champion alors qu’Étoile du Congo a fini cinquième, et Cara dernière. Du coup, on se retrouve avec un entraîneur national, Patrice Pahpa, qui a terminé dernier et son adjoint, Simon Tissé, au sixième rang, alors que l’entraîneur du champion du Congo est écarté. Pourtant j’avais recommandé Jean-François Malonga, dont le travail à Abo-Sport est de grande qualité, et je souhaitais qu’il devienne mon adjoint. Et vous savez, je n’étais jamais venu au Congo avant cette mission, je n’avais donc aucune affinité a priori. Je ne juge que les compétences pour mener à bien l’objectif de redonner du lustre au hand congolais. Mais je pense que Malonga, qui vient d’ailleurs d’être diplômé par l’IHF (fédération internationale de handball), aurait gêné car dans tout système mafieux, on ne peut faire entrer des gens honnêtes sous peine de voir le pot aux roses dévoilé.  

Pensez-vous avoir été écarté car vous deveniez gênant pour ceux qui ont mis en place ce système ? 

Dans les faits, je suis toujours en place puisque je n’ai reçu aucun message ou courrier me démettant de mes fonctions. Le dernier message reçu du président Parra, que j’ai conservé, me disait : « Stéphane, l’argent est arrivé du ministère. Nous allons pouvoir travailler. » Le lendemain, j’apprenais qu’un entraîneur angolais était venu diriger des séances, 1 mois avant la compétition. Donc, oui, je pense que j’ai posé un problème avec ma rigueur et mon professionnalisme. J’ai été formé à Toulouse par Claude Onesta (triple champion olympique, triple champion du monde et triple champion d’Europe à la tête de la France, NDLR), je vis pour la victoire et je suis venu pour gagner avec le Congo. Oui, ma soif de vaincre était en opposition avec les intérêts individuels de certains. 

Vous n’êtes pas le seul à pointer du doigt le fonctionnement en cours à la Fécohand puisque plusieurs membres (vice-présidents, SG, trésorier…) ont demandé, par lettre ouverte, la tenue d’un congrès fédéral extraordinaire. Cela vous réconforte-t-il ? Pensez-vous que la Fécohand puisse sortir grandie de cette situation ? 

Je suis certain que le Congo peut être la deuxième nation africaine. Et avec du travail et de la rigueur, je pense même que les Diables rouges peuvent devenir la première puissance du continent. Parce que la Tunisie est vieillissante et que l’Angola n’évolue plus depuis quelques années. À l’inverse, le Congo a une génération expérimentée qui peut encore briller quelques années en incorporant la génération suivante. Aujourd’hui, il y a dix-huit joueuses de haut niveau en France et quelques éléments dans d’autres championnats. Avec le travail nécessaire pour tirer les joueuses locales vers le haut, il y a un gros potentiel. En juillet, j’avais alerté le ministre des Sports (par un rapport), car je sentais déjà que l’on courait à la catastrophe aux Jeux Africains. En septembre, l’équipe a terminé première de son groupe en gagnant deux fois contre le Burkina, qui est inexistant sur l’échiquier continental. En quarts, face à un Sénégal composé uniquement de joueuses évoluant en France, l’équipe a échoué. Ce que je voulais mettre en place, une équipe de professionnelles complétées par les plus forts potentiels locaux, c’est le Sénégal qu’il l’a fait. Et le Sénégal, qui est une nation émergente en handball, a terminé à la troisième place du podium. Alors que le Sénégal a débuté sa préparation en décembre 2014, les Diables rouges ne sont parti en stage, au Cameroun puis en Angola, qu'au mois d'août. Les échos que j'ai eus sur le contenu du stage étaient négatifs et se sont confirmés avec des joueuses épuisées dès l'entame du tournoi. S'y sont ajoutés des problèmes de primes non versées, une liste d'où les professionnelles avaient été écartées (seulement 4 étaient aux Jeux)… Mais où est passé le budget versé pour le ministère des Sports? 

Si ce congrès fédéral extraordinaire trouvait une issue positive, vous imaginez-vous poursuivre l’aventure avec le Congo ? 

Avec la construction des infrastructures des Jeux Africains, le Congo s’est offert des outils formidables. Il faut admettre que le président Denis Sassou N'Guesso a frappé un grand coup, car aujourd’hui, le Congo peut tout organiser, même un championnat du monde. Maintenant, pour recevoir de telles compétitions, il faut que la fédération locale soit crédible auprès des instances internationales. Avec le fonctionnement actuel, je ne pense pas que cela soit le cas. Mais si la situation s’améliore, je serais ravi d’accompagner les joueuses et les techniciens de bonne volonté que j’ai eu le bonheur de côtoyer pendant près de six mois. Je suis persuadé qu’on a le temps de préparer une équipe compétitive pour la prochaine CAN (en Angola en 2016, NDLR). Maintenant, cela sera avec ou sans moi, mais au moins j’espère, en dénonçant tout cela, contribuer au rétablissement du handball congolais. J’avais proposé un plan de développement sur cinq ans, avec l’envoi des meilleures jeunes locales en Tunisie, avec des clubs supports et la planification des stages d’entraînement sur le long terme. Tout était bien sur chiffré (étant moi-même directeur d’un service des sports en France), les contacts et les réservations d’installations sportives étaient positionnées,  C’est toujours d’actualité. Vous savez, je suis à moitié Blanc par ma mère et à moitié Noir par mon père qui est Antillais. Au Congo, je suis moundélé, mais en France, je suis plutôt Noir. Donc affectivement, j’aimerais participer au renouveau du handball congolais. Et ce n’est pas un vœu pieux, car une fois de plus, le potentiel est énorme. 

 

Camille Delourme

Légendes et crédits photo : 

Légende 1: Stéphane Forbin dénonce de graves dysfonctionnements dans la gestion de l'équipe nationale de handball féminin (droits réservés) Légende 2: Le Président Henri Parra est directement visé par Stéphane Forbin. Et par le bureau de la Fécohand qui réclame la tenue d'un congrès fédéral extraordinaire pour demander des comptes sur la gestion du handball congolais (droits réservés) Légende 3: Après l'échec au tournoi d'Almaty, les Diables rouges ont échoué dans leur quête de médaille aux Jeux africains: tout sauf une surprise à entendre le technicien français (droits réservés) Légende 4: Champion du Congo avec Abo-Sport, Jean-François Xavier Malonga n'est pas intégré au staff de la sélection nationale: un des multiples exemples cités par Stéphane Forbin pour pointer le favoritisme qui a cours à la Fécohand (droits réservés) Légende 5: Leisie Ngavouka, "une future grande joueuse" selon Stéphane Forbin qui est également son entraîneur à Val-de-Boutonne, fait partie des joueuses de la diaspora régulièrement écartée de la sélection (droits réservés)

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