Matteo Renzi en Afrique pour une coopération « nouveau style »

Lundi 21 Juillet 2014 - 10:29

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L’économie est au centre de cette deuxième visite d’un Premier ministre italien en Afrique

Sortir des vieux schémas, braquer les projecteurs sur cette Afrique dont on parle peu : la tournée-marathon du Premier ministre italien a été chargée de beaucoup de symboles. Mais ce deuxième voyage en Afrique d’un Premier ministre italien s’est voulu aussi l’expression d’une volonté de sortir des schémas classiques d’une coopération reposant sur le misérabilisme et l’humanitaire de commisération. Le 29 janvier 2007, l’alors Premier ministre Romano Prodi était venu à Addis-Abeba avec une préoccupation : que l’Afrique se joigne au camp des abolitionnistes de la peine de mort.

Matteo Renzi ne met pas de côté les questions humanitaires. Il a même indiqué samedi à Maputo que l’immigration, thème de brûlante actualité dans son pays et pour laquelle l’Afrique continue d’être considérée comme la terre de provenance de la majorité des désespérés qui viennent frapper (ou mourir) aux portes de l’Europe, sera une des priorités en ce semestre de présidence italienne de l’Union européenne. Et son gouvernement continue, au milieu de mille tiraillements au sein de la coalition qui le compose, de faire tout son possible pour sauver de la noyade les milliers de téméraires qui continuent, envers et contre tout, de venir s’échouer sur les côtes de Sicile.

Mais c’est d’abord à l’enseigne de l’économie que Matteo Renzi a décidé de placer son séjour de samedi à Maputo (Mozambique), dimanche à Brazzaville (Congo) et lundi à Luanda (Angola). Une économie qui repose le trépied de la paix, des investissements et de la coopération. C’est ce qui donne sens au choix des trois pays visités, qui ont tous une longue tradition de coopération plus particulièrement dans le secteur énergétique avec le groupe ENI en navire amiral. Au Mozambique, ENI vient de découvrir un gisement gazier fabuleux. Le Congo est le pays où cette activité remonte avant l’indépendance de 1960. Et l’Angola constitue un partenaire de poids et constant depuis la fin de la guerre civile dans ce pays.

« L’Afrique n’est plus le continent perdu. Nous avons besoin de l’Afrique comme point de redémarrage d’un nouveau dessein politique, économique et civil européen », a soutenu le Premier ministre au Mozambique, où il a promis cinquante milliards de dollars d’investissements sur les six prochaines années. Il y a apprécié le travail conduit par ENI ; une œuvre qui englobe aussi bien l’humanitaire, les projets de développement que le business propre à garantir l’indépendance énergétique de l’Italie pour les trente à quarante prochaines années. Stratégique !

Le concept d’une coopération gagnant-gagnant est porté par un esprit volontariste, Matteo Renzi ne passant d’ailleurs pas pour être plus un « diseur » qu’un « faiseur », comme dirait l’homme de la rue à Brazzaville. La délégation qui l’accompagne dans cette tournée, menée littéralement au pas de course, en dit assez de la volonté italienne de s’engager dans cette nouvelle vision des rapports avec l’Afrique. Ce sont en tout une vingtaine d’entrepreneurs de haut profil qui sont dans le sillage de Matteo Renzi : l’administrateur délégué d’ENI (pétrole-gaz, énergies renouvelables) Claudio Descalzi, mais aussi celui de la Finmeccanica (aéronautique) Mauro Moretti, ou encore de la Saipem (constructions métalliques, plateformes, etc.) Umberto Virgini.

Un supplément d’âme

La tournée de Matteo Renzi aura pour retombées probables un resserrement des relations bilatérales dans des domaines aussi divers que le commerce, l’import-export, la petite et moyenne industrie, l’agro-alimentaire et une présence toujours aussi efficace de l’Italie en Afrique. De nombreux étudiants mozambicains, congolais et angolais fréquentent aujourd’hui les instituts et facultés d’Italie. Ils font, eux aussi, partie de cette coopération qui entend s’intéresser à différentes facettes, de plus en plus de cadres africains revenant dans leurs pays avec un savoir-faire acquis en Italie en médecine, en ingénierie, en architecture ou dans le domaine de la chimie pétrolière.

L’Italie acquiert une visibilité sur le continent grâce à cette volonté proclamée de donner sa chance à qui veut la saisir, dans les deux sens, sans paternalisme ni esprit de préjugé parasitaire.  En d’autres termes, Rome entend se démarquer des schémas qui placent en des positions figées les donateurs de toujours face à la main des « quémandeurs » éternels. Le monde évolue : il suffit de changer de lunettes ou de perspective pour en faire le constat. Le rapport 2013 de la Banque mondiale indique que sept des dix pays ayant enregistré une forte croissance dans le monde sont africains. La République du Congo aura cette année un taux de croissance annoncé qui tutoiera les 10% !

Les propos sont de la présidente de la Chambre, l’Assemblée nationale italienne, Laura Boldrini : l’Afrique est un continent qui évolue et qui peut, sans même parler de ses richesses minières, apporter beaucoup au monde occidental ; un supplément d’âme par ses valeurs d’accueil et d’ouverture. La décrire comme le continent de la seule misère et des guerres est un raccourci qui ne tient pas compte de sa fantastique mutation. « Mais que font nos médias, même quand l’Afrique croît à un rythme soutenu et que des villes naguères détruites par les conflits renaissent aux yeux de tous? Ils semblent plus intéressés par les guerres, les virus létaux et les flux migratoires se dirigeant vers l’Europe. »

Langage de convenance sans doute, mais Mme Boldrini, c’est vrai, s’adressait à un public de convertis. C’était vendredi dernier à Rome, à la veille de la tournée africaine du Premier ministre italien. Ce jour-là c’est une conférence Italie-Afrique qui a rassemblé tous les ambassadeurs africains en Italie, dans le cadre du Mandela Day. En l’absence de leur doyen Mamadou Dékamo Kamara, revenu au Congo pour y préparer l’accueil de Matteo Renzi, les ambassadeurs africains ont tenu à donner un éclat particulier à cette journée mondiale où on est invité à poser un acte en concordance avec le grand esprit de tolérance et de pardon qui a caractérisé Nelson Mandela. Le grand homme, décédé en décembre dernier, aurait eu 96 ans ce vendredi-là très exactement !

« Les dernières images [de l’Afrique] que je me rappelle avoir vues au journal télévisé concernaient les jeunes filles nigérianes enlevées par Boko Haram et les tentatives pour endiguer la transmission de l’épidémie d’Ebola. Pourtant, il se passe beaucoup d’autres choses en Afrique », a regretté Laura Boldrini. C’est cette vision figée que la visite de Matteo Renzi entend aider à changer. Et d’abord dans son pays, où il n’est pas sûr aux yeux de tous que l’Afrique évolue ou qui ignorent même qu’il existe deux Congo, trois Guinée et deux Soudan sur ce continent. « Nous jetons les bases du futur de nos enfants. Ce sont des choses qu’il faut envisager longtemps à l’avance », a dit M. Renzi au Mozambique. Quant au problème de l’immigration, il a soutenu qu’il fallait l’affronter à la base, et pas seulement à partir des ports et aéroports européens.

Lucien Mpama