Interview: Jacques Djoli : « La défense et la sécurité africaines doivent être repensées au niveau de la vision qu’on a de l’État »

Jeudi 12 Décembre 2013 - 17:30

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En marge du dernier sommet de Paris sur la paix et la sécurité en Afrique, le  Vice-président de la commission Défense et sécurité à la Chambre haute du Parlement, le sénateur Jacques Djoli, décortique l’initiative de François Hollande de mettre en place une force africaine de réaction rapide chargée d’intervenir dans des crises armées sur le continent.    

Les Dépêches de Brazzaville : Le dernier sommet de Paris réunissant les chefs d’État d’Afrique autour de François Hollande ne confirme-t-il pas la France dans son rôle de gendarme d’Afrique ?  

Jacques Djoli : Je ne pense pas. On est là face à une situation de carence stratégique et organisationnelle due à la non-application de l’architecture africaine de défense. Sur ce point, il faudra rappeler que l’Afrique avait une politique commune de défense et de sécurité depuis 2002 en prévoyant une force africaine repositionnée en attente et des brigades régionales. Douze ans après, le continent est toujours nulle part dans la concrétisation de ce projet. Actuellement, l’Afrique est transformée en un foyer permanent de conflit. Aussi bien en Afrique du nord avec ce qui se passe en Égypte avec le printemps arabe qu’en Afrique de l’Ouest avec la crise ivoirienne et la guerre en cours au Mali, les balles crépitent. À cela s’ajoute la situation de la Somalie, de l’Érythrée et de l’Est de la RDC et de l’Afrique australe avec les soubresauts de la Mozambique. Face à cette situation de crise, l’Afrique n’a pas de réponse. Très souvent, c’est la France qui a des intérêts historiques en Afrique qui intervient. C’était le cas en Côte d’Ivoire, au Mali, et aujourd’hui en République centrafricaine. Cela est la résultante de la faiblesse des États africains incapables de mettre en place des structures de défense efficaces. Et au niveau de l’Union africaine, l’absence de politique commune de défense crée un vide que la France tente aujourd’hui de combler même si elle n’a pas tous les moyens de son action. D’où cet appel de François Hollande aux africains pour la constitution de cette force africaine de réaction rapide avec l’appui de la France qui s’engage à former annuellement 20.000 hommes. Un projet qui va exiger l’apport d’autres bailleurs de fonds comme l’Union européenne. C’est à cause de cette incapacité stratégique africaine en matière de défense qui fait que des pays comme la France soient obligés d’intervenir pour régler des situations aussi complexes comme en Côte d‘Ivoire et en RDC.

 

L.D.B : Ce sommet de Paris ne signe-t-il pas le retour en force de la France-Afrique ?

J.D : Si par exemple l’État malien existait, la France ne serait pas intervenue. C’est parce qu’il se développe des zones de terrorisme, de trafic de drogue qui ont un impact sur les autres pays qu’il faut comprendre l’attitude de l’Hexagone. Vous ne pouvez pas empêcher un État de développer une stratégie internationale pour la prévention des conflits qui peuvent perturber son espace interne. Il ne faut pas faire la mythologie autour de la France-Afrique mais plutôt développer des politiques africaines de défense efficaces.

L.D.B : Est-il logique de demander aux Etats africains démunis et sans moyens de se prendre en charge ?

J.D : La politique de défense ou la vision géostratégique d’un État telle que posée par la France ne se définit pas seulement sur le plan militaire. Le volet stratégique, le volet défense et militaire participent à une vision. La France a fait d’abord le constat selon lequel l’Afrique, malgré ses conflits, est un continent d’avenir qui regorge des plus grandes ressources naturelles et minérales telles que l’Uranium et le pétrole dont elle a grandement besoin. Et ce marché africain semble échapper à la France au profit des pays comme la Chine et l’Inde. Étant  presque en récession économique avec un taux de croissance de moins de 1%, la France tient à combler cette contraction économique et veut regagner le marché africain. D’où sa contribution en matière de défense pour réaffirmer son rôle au sein du Conseil de sécurité de l’Onu et défendre ses intérêts stratégiques et économiques en Afrique.

L.D.B : Au-delà de la question de manque des moyens, l’Afrique ne souffre-t-elle pas aussi d’une absence de leadership à même d’organiser efficacement sa défense ?

J.D : Mettre en place une armée requiert également une vision politique. La politique de défense fait partie de la politique globale de sécurité. Il y a là une dimension politique qui répond à la question fondamentale ; quelle armée et quel État pour quel type de régime ? Si on ne sait pas pourquoi on a l’armée, celle-ci peut devenir un danger pour le régime. Pour définir une armée républicaine, il faudra d’abord s’interroger si vous voulez installer un régime démocratique ou dictatorial. Et l’armée viendra soutenir les valeurs républicaines. Si dès le départ, il n’y a pas clarification du rôle de l’armée, sur son rôle de défense, nous aurons forcément toutes ces contradictions qui posent aujourd’hui problème. En d’autres termes, lorsque vous avez des politiques restrictives en matière des droits de l’homme, des libertés individuelles, c’est-à-dire, la non-convergence entre les intérêts des dirigeants et ceux de la population, vous aurez forcément des armées nationales faibles introverties qui, au lieu de défendre le territoire national, deviendront tracassières. Au niveau de l’Afrique, il n’y a pas une volonté commune d’asseoir une véritable union africaine en termes de vision. C’est pourquoi Mandela a beaucoup souffert pour tenter de mettre en place cette vision commune. Et l’Afrique du Sud a connu pas mal de déboires notamment en Centrafrique où son armée a été chassée par les rebelles de la Séléka pour se réfugier en RDC. Il y a donc un problème de volonté politique.

L.D.B : Votre mot de la fin

J.D : On doit dire que la défense et la sécurité africaines doivent être repensées au niveau de la vision qu’on a de l’État, ou mieux, à partir de la définition de l’État, de ce qu’en RDC nous appelons la « restauration de l’autorité de l’État » ou encore cohésion nationale. C’est à partir de ces concepts qu’on pourra définir quel type d’armée nationale républicaine et professionnelle mettre en place dans une région à démocratiser située aux antipodes des États à vocation fasciste.   

 

 

 

 

 

 

      

              

Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Jacques Djoli<img src="/sites/default/files/jacques_djoli.jpg" width="480" height="338" alt="" />