Interview. Jacques Djoli Eseng’Ekeli : « Nous n’avons pas de différence de fond avec le Rassemblement »Jeudi 3 Novembre 2016 - 16:23 L’inspecteur général du Mouvement de libération du Congo (MLC), le sénateur Jacques Djoli Eseng’Ekeli, vient de briser son silence. Dans un entretien avec les Dépêches de Brazzaville, il scrute le ciel politique congolais et émet des avis techniques sur le processus électoral tel que relancé à la faveur de l’accord issu du dernier dialogue. Les Dépêches de Brazzaville : Le MLC et ses alliés viennent de créer une nouvelle plate-forme politique dénommée Front pour le respect de la Constitution. Quelles en sont les motivations ? Jacques Djoli Eseng’Ekeli : Parmi les quatre éléments constitutifs de l’État, il y a un élément central qui le distingue de tous les autres espaces, infra ou supra étatiques, c’est l’existence de la Constitution. L’histoire de la RDC, c’est celle de violation permanente de la Constitution. Ce qui fait que ce beau et grand pays se trouve aujourd’hui à la queue de tous les autres pays du monde. Et lorsque, tirant les leçons de cette histoire, nous avons, après un référendum qui a mobilisé presque toute la communauté internationale, adopté ce texte à plus de 80%, l’on s’est dit : voilà, nous avons maintenant un cadre, un socle, un fondement, une refondation qui va faire que nous allions de l’avant parce que, comme le dit l’exposé de motif, la cause des crises ou l’une des causes fondamentales, c’est l’absence de la légitimité. Et c’est la Constitution qui donne la légitimité aux institutions. Mais voilà qu’en 2005, nous avons adopté cette Constitution promulguée par le chef de l’État solennellement. Nous construisons patiemment un État de droit démocratique, une démocratie constitutionnelle. Et on arrive en 2016 dans un élan de construction d’une vraie démocratie par l’alternance. Voilà que ceux qui ont la charge constitutionnelle de veiller sur le respect de la Constitution, en l’occurrence le chef de l’État, qui en est le garant, et la Cour constitutionnelle nous amènent dans une danse, dans un glissement qui nous remet encore dans les incertitudes des gouvernements d’union nationale, bref dans des systèmes où, finalement, nous ne savons où nous allons. Prenons force et pieds sur l’article 64 de la Constitution qui dispose que « tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation de la présente Constitution ». L.D.B : Quels sont les actes concrètes que les institutions ci-haut citées ont posé et qui seraient contraires à la Constitution ? J.D.E : Le droit, c’est une science de constat. Il y a une norme qui doit être respectée. La norme, ce que l’article 73 de la Constitution impose la convocation du scrutin 90 jours avant l’expiration du mandat du président en exercice. Et il appartient à l’exécutif national de mettre à la disposition de l’institution attitrée, à savoir la Céni, les moyens pour organiser les élections conformément à la Constitution. Mais c’est la Céni qui est allée dans sa requête 089 dire à la Cour constitutionnelle que, voilà, je n’ai pas reçu les moyens pour organiser les élections. Donc, il y a là une volonté manifeste de contourner la Constitution. Et cette volonté s’est cristallisée depuis 2013 à travers des écrits, des actes. On a déposé des lois pour réviser la Constitution, pour changer le mode de scrutin. Alors que nous devrions canaliser toutes nos énergies pour que le cycle de renouvellement des institutions puisse se dérouler normalement. Et là, en acceptant d’aller dans des transitions, dans des régimes d’exception et autres, nous rentrons dans le mode de gouvernance qui a fait dérailler ce pays depuis 1960. L.D.B : Qu’allez-vous faire au Front citoyen pour le respect de la Constitution pour protéger et défendre la loi fondamentale ? J.D.E : La protection de la Constitution se fait à plusieurs niveaux. Et l'article 64 ne nous dit pas comment « faire échec ». La première protection, c’est celle institutionnelle par le chef de l’État. Aujourd’hui, nous avons l’impression que de ce côté-là, il ne faut pas attendre grand-chose. Le deuxième niveau, c’est la protection de la Constitution par le juge constitutionnel qui en est le gardien. Il reste la troisième démarche parce que la Constitution, c’est ce qui nous constitue. C’est un pacte entre les gouvernants et les gouvernés. Les premiers acceptent d’obéir moyennant le respect des règles de jeu. Aujourd’hui, le protecteur ultime de la Constitution, c’est le peuple. Et donc pour le Front, on ne va pas nécessairement prendre les armes. Le MLC avait déjà pris les armes dans le passé. Aujourd’hui, c’est par les moyens non violents, les moyens légaux et les moyens de l'intériorisation que nous agissons. Sur ce, je vous invite à lire l’article 45 de la Constitution qui dit que « nous devons faire en sorte que tous les Congolais puissent intérioriser et s’approprier la Constitution ». Pour vous en convaincre, selon le dernier sondage publié par le groupe d’études sur le Congo, 81% des Congolais veulent que leur Constitution soit respectée et qu’on ne touche pas à l’ordre constitutionnel. L.D.B : La création du Front n’est-il pas une tentative de repositionnement pour le MLC qui cherche à sortir de l’anonymat face à la montée en puissance du Rassemblement ? J.D.E : Il faut savoir que le MLC est un parti fondateur de la Dynamique de l’opposition. Et le MLC n’a pas besoin de se repositionner parce qu’il existe comme parti politique au sein des institutions à commencer par le Parlement. Nous avons créé la Dynamique pour défendre le respect de la Constitution. Et de la Dynamique, nous sommes allés au niveau de Genval où nous avons pu convaincre les amis de l’UDPS qui étaient dans un marchandage avec nos amis qui ne respectent jamais la Constitution pour contourner celle-ci et mettre en place une transition. Le président Tshisekedi comme père de la démocratie a compris la démarche et il est revenu. Et, nous n’avons jamais eu de problèmes avec le Rassemblement. Tout simplement, nous leur avons dit que nous n’étions pas d’accord avec une architecture verticale. Nous voulions avoir une plate-forme horizontale où tous les partis politiques devraient d’abord garder leur autonomie et avoir une synergie de force. Nous en étions à ce stade là jusqu’au jour où finalement ils vont évoluer dans une perception autre que celle de mettre en place un régime d’exception. Donc, nous n’avons rien à voir avec une équipe, un gouvernement qui s’acharne depuis pratiquement cinq ans à chercher à conserver le pouvoir par toutes les voies et à tripatouiller la Constitution. Et nous avons eu notre chance que par la poitrine des Congolais morts en 2015 et qui viennent encore une fois d’être tués de manière sauvage par des délinquants constitutionnels. En termes clairs, nous n’avons pas besoin de sortir de l’anonymat. Nous ne sommes pas une plate-forme réticulaire, nous sommes avec la majorité de la population. L.D.B : Le Front et le Rassemblement ayant en commun la défense de la Constitution, pourquoi ne pas ouvrer en synergie plutôt que d’éparpiller vos forces ? J.D.E : Non, nous n’éparpillons pas nos énergies. La preuve en est qu’aujourd’hui, nous avons dit aux amis du Rassemblement qu’ils doivent faire attention à la logique du respect de la Constitution. Si vous lisez l’article 6 de notre protocole, il est stipulé que « le Front pour le respect de la Constitution à travers chacune de ses entités entend s’impliquer dans toutes les activités tendant à faire respecter la Constitution ». Lorsque l’UDPS et le Rassemblement lanceront des mots d’ordre pour la fin du mandat du président Joseph Kabila le 19 décembre, le MLC s’impliquera parce que nous sommes d’accord avec eux, sauf que nous prônons une alternance civilisée via la démission de l’actuel chef de l’État. À défaut, il faudra laisser l’article 75 de la Constitution s’appliquer dans un régime intérimaire. Donc, nous n’avons pas de différence de fond, mais nous avons une petite différence de climat et des passerelles seront mises en place. L.D.B : L’accord issu du dialogue est-il conforme à la Constitution ? J.D.E : Quand on dit que cet accord a respecté la Constitution, c’est du bluff ! Quelle disposition de la Constitution dit qu’il faut faire un marchandage (prolongement du mandat présidentiel jusqu’en novembre 2018 contre un Premier ministre issu de l’opposition) ? Cette façon de faire, c’est transformer le pays en une casserole où l’on se partage les prébendes. Alain Diasso Légendes et crédits photo :Le sénateur Jacques Djoli Notification:Non |