Île d’Idjwi : l’histoire du café congolais a conquis le Rwanda

Mercredi 20 Septembre 2017 - 17:39

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Le territoire RD-congolais situé au milieu du lac Kivu, plus précisément entre les villes de Bukavu (Sud-Kivu) et Goma (Nord-Kivu) à la frontière rwandaise, est décidé à faire revivre cette filière abandonnée. Sans voies d’exportation officielle depuis les années 1980, l'Île peinait à tirer profit de son café, sa principale source de revenus. Pour ne pas disparaître à leur tour, les habitants d'Idjwi ont développé des mécanismes alternatifs pour arriver à écouler le produit dans le Rwanda voisin. Mais la récente création d’une Coopérative des planteurs et négociants de café du Kivu, CPNCK, va bouleverser totalement la situation et ouvrir une nouvelle page dans l'histoire de la première île de la RDC sur le plan de la superficie.

Les habitants d’Idjwi sont en train de se réapproprier totalement la filière du café, mettant ainsi fin à plus de trente ans de confusion dans son exploitation. En effet, faute de moyens d’exporter officiellement le produit depuis les années 1980, ils ont recouru aux canots à rame pour le transporter vers le Rwanda voisin. Une fois sur place, a expliqué Ivan Godfroid, Regional Director Veco RD Congo, « ils tombaient bien souvent entre les mains d’acheteurs sans scrupules qui savaient fort bien qu’il n’existait aucune forme de protection pour ces pauvres paysans qui n’avaient d’autre choix que de s’adonner à la contrebande ». C’était donc une question de survie pour nombre d’habitants de l’Île d’Idjwi. Ivan Godfroid a livré quelques détails des conditions difficiles de la vente du café au Rwanda. D'abord, le poids du colis était systématiquement minimisé. Même lorsque le sac a indiqué dix kg en RDC, la pèse mécanique rwandaise indiquait bien moins, a-t-il relevé.

Cette situation a commencé à susciter des remous du côté des Congolais. Beaucoup de commerçants ont critiqué un mauvais réglage intentionnel visant à sous-peser leurs colis. « Quand les Congolais devenaient plus regardants, ils pesaient d’abord le café des rwandais, avec des bascules correctes, pour gagner la confiance des Congolais. Après, ils déréglaient vite la bascule à l’insu des producteurs et continuaient ainsi à voler le café congolais », a martelé Ivan Godfroid qui reprenait ainsi les propos de Raymond Bigiraneza, secrétaire du conseil d'administration de la CPNCK. Mais il n’y avait pas que cette pratique douteuse. Ivan Godfroid a évoqué également les cas nombreux de vol d’argent, d’assassinat crapuleux et de naufrage lors des violentes tempêtes sur le lac Kivu. Par conséquent, l’Île compte un grand nombre de veuves, plus de mille identifiées actuellement.

La création de la CPNCK est une bonne nouvelle car cette coopérative porte en elle les germes d’un changement structurel dans la commercialisation du café. Elle compte pas moins de 753 membres dont le quart est constitué de femmes. Toutefois, ce n’est pas la première initiative pour rentabiliser la vente du café à Idjwi. Dans les années 1987, il y a eu la création du Comité des acheteurs de café d’Idjwi, constitué d’un groupe limité d’hommes qui faisaient la traversée vers le Rwanda à bord des boats motorisés. Ce groupe regroupait tout le café des membres. « C’est de cette façon que nous avons fonctionné pendant toutes ces années ». À son actif, il y a bien entendu une augmentation des recettes. Enfin, la CPNCK a vu le jour dans les années 2011 mais elle a commencé véritablement à fonctionner une année après, en 2012.

Sa création a permis de regrouper tous les anciens "fraudeurs" et de commencer à acheter légalement le café parche des membres pour l’amener à l’usine de Goma et le vendre par la suite aux exportateurs officiels. Une tâche difficile au début mais qui a commencé à payer au fil du temps. L’État n’a pas aidé à une rapide implantation de la structure à cause des taxes officielles et informelles ainsi que les différentes formes de tracasseries. Toutefois, l’arrivée de Veco sur l’Île a permis d’améliorer la situation. « Avec son appui, nous avons été encouragés à collecter les frais d’adhésion pour co-investir dans la construction des micro-stations de lavage pour le traitement standardisé du café ». Le partenaire Veco aide notamment la coopérative à accéder au préfinancement pour l’achat du café à des conditions idéales, évitant ainsi les taux élevés des banques. Mieux, il connecte la coopérative à des acheteurs potentiels de café gourmet qui offrent bien entendu des meilleurs prix. Les trois coopératives partenaires de Veco se retrouvent une fois l’an en atelier pour faire le bilan et planifier l’avenir.

Des résultats fort encourageants

La CPNCK a réussi à améliorer la qualité du café. Cette amélioration s’est confirmée pednant la dégustation « Saveur du Kivu » en mars 2016. La coopérative a réussi à décrocher une cinquième place bien méritée. Elle a vendu 12 tonnes de café gourmet à Good Ground, obtenant un score SCAA de 85 %. Son plan d’affaires présenté pendant l’atelier de café d’Idjwi du 20 au 23 février 2017 a prévu la réalisation inédite de 320 sacs de 60 kg, soit 19,2 tonnes. La CPNCK n’hésite plus à utiliser la fibre nationaliste pour s’imposer sur le marché d'Idjwi, en rappelant la nécessité pour l’Île de figurer dans les statistiques congolaises et non rwandaises. Entre-temps, les acheteurs rwandais sont revenus également à la charge, avec des nouvelles stratégies dont le financement des producteurs au moment de la floraison pour gagner le droit de récolter le café et l’amener au Rwanda. La bataille est très acharnée dans cette île qui reste avant tout un lieu de villégiature pour ses anciennes résidences, les marchés locaux et diverses plantations (ananas, bananes, manioc) sans oublier ses paysages superbes, son réservoir de biodiversité composé de forêt primaire.

Laurent Essolomwa

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