Finances : des « rapports incestueux » responsables de la contreperformance des banques

Samedi 23 Avril 2016 - 15:52

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Nombre d’experts sont convaincus que le secteur bancaire entretient des relations coupables avec les entreprises qui sont, pour certains établissements bancaires, à l’origine de leur création. Les critiques fusent un peu de partout depuis le déclenchement de la crise qui a secoué la Banque internationale pour l’Afrique au Congo (Biac). Une rupture de la confiance entre les institutions bancaires et les clients serait le pire scénario pour la RDC.

Après les guerres qui ont endeuillé la RDC, beaucoup de grandes banques internationales ont préféré quitter le pays. Profitant du vide et de la situation de faillite des banques publiques, les entrepreneurs ont profité du créneau pour continuer à gérer leurs transactions financières. C’est la naissance des banques familiales : Raw Bank (famille Rawji), TMB (famille Lévy), BCDC (famille Forrest), Biac (famille Blattner) et BIC (à l’époque famille Kinduelo avant son rachat). Aujourd’hui, ces banques familiales contrôlent plus 70 % du marché bancaire. Par la suite, il y a eu une vague constituée des banques professionnelles régionales qui peinent d’ailleurs à arracher des parts de marché.

Aujourd’hui, il y a une obligation pour les banques familiales de travailler en respectant scrupuleusement les normes en vigueur sous l’œil vigilant du régulateur. Certes, au fil des années, la situation bancaire a connu une évolution. La concurrence à 18 n’est pas facile pour les banques commerciales qui multiplient les produits et services pour ne pas disparaître. Entre 2001 et 2013, en l’espace donc de douze ans, le volume du crédit a été multiplié par 40, avec une augmentation moyenne de 33 % l’an. Mais beaucoup restent à faire en termes de créativité pour stimuler le développement du crédit d’investissement et même arriver à une meilleure intervention du secteur bancaire à l’essor économique de la RDC. Or, l’on déplore non seulement le faible financement de l’économie par le secteur financier mais également le peu de diversité de l’offre. À ce jour, le taux de bancarisation se situe à un niveau insignifiant, à peine 6 %. Il y a donc une épargne populaire à collecter. D’où l’intérêt porté ces dernières années sur les micro, petites et moyennes entreprises. Malheureusement, les faiblesses institutionnelles des institutions de micro-finances les empêchent de tirer leur épingle du jeu.

Combattre les mauvaises pratiques

Avec l’avènement de la Biac et les informations en notre possession sur une montée des retraits dans d’autres grandes banques du pays, le débat sur les banques prend désormais une toute autre tournure. Émile Muadimanga Ilunga a réalisé une profonde réflexion sur « les risques bancaires et dispositifs prudentiels de gestion en RDC » dans son dernier livre paru aux éditions L’Harmattan. Réagissant à ce livre, un éminent économiste congolais, le Pr Kabuya, a confirmé que le grand risque actuel pour les banques est le crédit. Paraphrasant l’auteur, le Pr Kabuya s’inquiète du fait que les banques cherchent à se protéger en recourant à des taux d’intérêt élevés. Et c’est là également qu’il pose la problématique des « rapports incestueux ». « Il arrive de plus en plus chez nous, en RDC, un autre type de risque. Le risque de voir le propriétaire lui-même tirer profit justement de ce que la banque lui appartient. La banque s’occupe en priorité de ses propres activités au détriment des autres clients ».

Mais il y a moyen d’améliorer et de protéger les banques à travers des mesures, notamment, de redressement financier à prendre dans les délais appropriés et d’augmentation du capital minimum des banques établi actuellement à 10 millions de dollars américains. Rompant sa réserve, le Pr Tshiunza Mbiye, membre du conseil d’administration de la Banque centrale du Congo, a passé une partie de sa carrière à étudier la monnaie et la banque. Et il fait un constat accablant. « Par le passé, sur dix banques créées, cinq sont appelées à disparaître, dit l’auteur. La situation n’a pas changé aujourd’hui. Il y a des éléments de risque qui justifient ce constat. Il faut que chaque acteur, le régulateur et le gestionnaire des banques, joue son rôle ». Pour lui, les propriétaires des banques doivent arrêter de considérer l’épargne publique comme leur argent. « Des crédits énormes sont octroyés aux entreprises apparentées et aux proches. On va même jusqu’à restructurer les crédits octroyés. On donne un moratoire, on réduit le taux d’intérêt ou alors on allonge le délai de remboursement. Entre-temps, ces pratiques dégradent la structure financière de la banque. Il faut nécessairement capitaliser pour couvrir les pertes. Ce qui n’est pas fait », conclut-il. Une affaire à suivre.

Laurent Essolomwa

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