Comment avez-vous commencé à travailler avec une clientèle africaine ?
J’avais travaillé par le passé pour une première dame africaine lorsque je n’étais pas mon propre patron. Lorsque j’ai créé ma maison, j’ai pensé à la recontacter, ignorant que le chef d’État avait entre-temps divorcé. Je me suis donc adressé à la seconde épouse, et celle-ci a répondu présente. Lorsqu’elle a vu mes créations, elle a demandé l’exclusivité de la marque pour tout le pays de façon à ce que je n’habille personne d’autre qu’elle et est restée ma plus importante cliente jusqu’à son décès. C’est elle qui m’a fait découvrir l’Afrique. Cela est arrivé tout à fait par hasard, car elle ne venait pas chez moi pour des tenues africaines mais pour des tenues européennes : robes du soir, tailleurs de ville, robes de représentation… son mari lui imposait de ne jamais remettre le même vêtement.
Qu’est-ce qui vous a amené à faire des créations en pagne ?
Un jour, alors que cette première dame était à Paris, elle a dû assister à un mariage coutumier de façon tout à fait inopinée. Elle m’a demandé si je pouvais lui fabriquer du jour au lendemain une jupe longue dans un tissu à elle. J’ai accepté. J’ai adoré le tissu qu’elle m’a apporté, que je ne connaissais pas alors, un super wax, donc un pagne. Elle n’avait pas de haut assorti, et je lui ai proposé d’en réaliser un pour le lendemain matin. Elle m’a décrit les camisoles qui se portent habituellement avec les jupes. Et c’est ainsi que j’ai réalisé ma première création en pagne africain, que je lui ai offerte. Elle a apprécié la créativité de ce que j’avais pu réaliser, et le lendemain sont arrivées à mon atelier trois valises de pagnes avec carte blanche pour réaliser ses tenues. J’ai proposé de lui réaliser des robes du soir en pagne mélangé avec de la mousseline, des incrustations de pagne, des broderies en pierreries... ce qui n’existait pas à l’époque. Aujourd’hui, c’est devenu la mode, et tout le monde copie mes pagnes. Ces créations ont eu un franc succès, et grâce à elles j’ai eu toute une clientèle de premières dames africaines.
Comptez-vous la première dame du Congo parmi vos clientes ?
J’habille votre première dame pour les 15-Août depuis 17 ans. On m’a appelé pendant les fêtes du 15 août depuis Sibiti, car il paraît que Madame a été habillée en Schaix pendant trois jours du matin au soir et elle a eu un succès fou. Elle portait également une de mes créations lors de son départ en voyage officiel pour le Zimbabwe.
Comment travaillez-vous avec ces clientes particulières ?
Mes clientes sont généralement très discrètes sur leur couturier, car elles désirent l’exclusivité. Madame Sassou, qui est une femme admirable, très généreuse, dotée d’un très grand sens du partage, est l’exception et ne s’offusque pas de femmes autour d’elle qui viennent s’habiller chez moi. En effet, elle sait pertinemment que ce que je fais pour chaque cliente est une pièce exclusive, que je ne répète pour personne d’autre même si c’est le même pagne qui revient. J’ai beaucoup de métier derrière moi, et généralement je sais après quelques minutes de discussion ce que je vais pouvoir proposer à ma cliente et qui lui conviendrait. Cela demande beaucoup de psychologie féminine. Je ne déguise pas la cliente, je reste très proche de ses souhaits, je m’inspire de sa personnalité, de ses désidératas et ensuite je l’oriente si elle fait fausse route. J’ai du caractère et sais ne pas me laisser faire par mes clientes. De temps en temps, quand elles veulent des choses et que je ne suis pas d’accord, je leur dis non.
Comment définiriez-vous votre style ?
Je suis beaucoup la mode des saisons pour le pagne, mais je suis un peu dans l’intemporel car le tissu pagne est déjà tellement fantaisie. Mon art appliqué serait plutôt le bon chic parisien à travers le pagne. Je m’amuse énormément à plisser du pagne, chose qui se fait peu en Afrique, ou à le broder. Travailler des pagnes avec de la mousseline, faire broder des pagnes en Inde, il y a vingt ans personne ne le faisait, aujourd’hui je suis énormément copié. J’estime que je reste avec un style Érik Schaix dans une vraie tradition du pagne, une vraie tradition africaine. Je détourne, c’est vrai, le pagne mais avec élégance et j’en tire la quintessence. Pour moi le pagne n’est pas un phénomène de mode, c’est un phénomène de tradition, c’est l’ethnicité de votre continent. Le plus important pour moi est de mettre la femme africaine en valeur.
Votre ligne « européenne » est également influencée par le tissu pagne cette saison…
La mode ces deux dernières années est tournée vers l’ethnique, surtout la mode africaine. Je me suis donc inspiré de mon savoir à travers les wax, les super wax, les bazins, les kitas. J’ai récupéré des idées sur des créations que j’avais déjà faites par le passé pour mes clientes africaines et que j’ai transposées pour de la mode européenne, pour de la parisienne, sur des robes de jersey de laine réappliquées et réincrustées avec du pagne, retravaillées avec des broderies, des transparences de tulle pour donner des choses de jour avec des côtés stretch très sexy. Ma clientèle européenne ne se pose pas de questions, car elle ne se rend pas toujours compte que c’est du pagne, et les clientes africaines sont ébahies.
Quels sont vos projets en lien avec l’Afrique ?
J’aimerais habiller encore beaucoup plus de femmes du continent, peut-être en créant une entreprise en terre africaine. Je serais ravi de transmettre mes connaissances et de créer une ligne fabriquée en Afrique, dont les coûts de production seraient moins élevés. Il y a beaucoup de jeunes talents africains émergents, qui ont beaucoup de choses à dire, beaucoup d’idées, mais qui manquent parfois de métier, de technique. Vous avez un énorme potentiel en Afrique.