Entrepreneuriat : disparition de la classe des affaires congolaise

Samedi 12 Décembre 2015 - 16:00

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Si le Guichet unique de création d’entreprise (Guce) a confirmé l’enregistrement de plus de 7 000 entreprises entre mai 2013 et octobre 2015 (60 à 70% sont l’œuvre des nationaux), ce regain risque de n’être qu’un coup d’épée dans l’eau faute d’un accompagnement de l’État et des banques, ont confié des experts lors d'un Forum sur l’entrepreneuriat local le 10 décembre à l’hôtel Memling. Désormais il faut une thérapie de choc qui exige une forte implication des institutions politiques du pays, des banques et des milieux des affaires, ont-ils conclu. En effet, les investisseurs nationaux de la trempe de Kisombe Kiaku Muisi, déjà actif dans les premières heures de l’indépendance de la RDC, et d’autres comme Dokolo Sanu et Bemba Saolona ont laissé un grand vide depuis leur disparition. Désormais, les grands patrons congolais n'existent plus.

Le défi ainsi lancé dépasse le cadre de la seule législation nationale qui s’est enrichie malgré tout de plusieurs lois importantes portant sur des matières aussi stratégiques que la promotion des entrepreneurs locaux ou le sauvetage de l’industrie en difficulté. L'on attend également avec impatience une loi spécificique sur la sous-traitance dans le secteur minier et, plus globalement, une loi sur le local content. Mais les lois ou les réformes à initier ne peuvent suffire à provoquer le déclic recherché. En effet, beaucoup d’initiatives locales ont disparu en raison de la farouche concurrence des grands groupes fonctionnant avec des moyens colossaux contre lesquels les opérateurs locaux ne peuvent pas résister. Par contre, celles qui prennent vie ne peuvent espérer prospérer faute d’accès au financement et d’accompagnement de l’État et des banques.

Concurrence proportionnée

Selon les experts, les autorités nationales pêchent en cassant toute mesure protectionniste ou toute politique de discrimination positive qui permettra d'encourager les PME locales et de créer une véritable classe moyenne. Au contraire, l'État a préféré mettre face à face des grands groupes étrangers et des investisseurs nationaux sortis des années d'instabilité sans compter la dette intérieure qui tarde à être payée. Autant parler d’un combat entre David et Goliath sauf que le précieux soutien surnaturel à l’origine de la victoire du moins favori dans l’histoire biblique n’est jamais arrivé pour la classe des affaires locale qui ne peut compter sur l’accompagnement de l’Etat et des banques, a ironisé un expert approché par la rédaction. Les entreprises étrangères dominent plusieurs secteurs de la vie nationale. Ce n’est pas par hasard. Dans le cas des transports, l’on explique la disparition des nationaux par l’arrivée d’entrepreneurs étrangers potentiels capables d’aligner une multitude de camions et ainsi de casser les prix. Leur tarification représente parfois la moitié du prix normal. Or, il est impossible aux Congolais d’aller aussi bas. « Dans le secteur publicitaire, nous sommes également dans cette bataille-là. Nous avons entamé une démarche pour obtenir un soutien de l’État. Le seul endroit où l’on peut réellement s’épanouir et créer des entreprises viables, c’est chez nous », a rappelé Felly Samuna, un investisseur national.

Promouvoir le local content

La problématique n’est pas d’interdire l’exercice aux étrangers, précise maître Marcel Malengo, juriste. Il s’agit plutôt d’une discrimination positive qui existe d’ailleurs dans plusieurs pays, y compris aux États-Unis d’Amérique qui imposent à tous les constructeurs de véhicule, sous peine de sanction, d’utiliser plus de 80% des pièces d’origine américaine dans la construction d’un véhicule. La Chine applique cette politique d’une autre manière en exigeant plusieurs autorisations aux étrangers désireux d’investir sur son sol. C’est le local content ou contenu local. Celui-ci se décline en quatre axes : la formation et le renforcement des capacités nationales, la protection de la main d’œuvre locale et le transfert des compétences et des technologies, la protection des produits et services locaux et enfin le renforcement économique local, a-t-il poursuivi.

En ordre de bataille

L’erreur serait de s’engager dans cette bataille en ordre dispersé, a mis en garde Patrick Muyaya, député national. « Il ne faut pas attendre de nous d’être technicien dans des matières qui sont les vôtres. Lorsque vous remarquez qu’il faut des décisions politiques, que faites-vous, combien de fois avez-vous appelé les députés nationaux ? ». À cette question, l’administrateur délégué de la Fédération des entreprises du Congo, Jean Justin Bononge, est revenu sur la multitude de rencontres entre le monde des affaires et les institutions politiques autour de cette menace qui pèse sur les entrepreneurs locaux. Visiblement sans résultats à ce jour. Toutefois, des pistes encourageantes existent bel et bien. Il y a, par exemple, l’instauration par le gouvernement d’un certificat pour faciliter l’accès au crédit aux entrepreneurs locaux bien identifiés. Mais il faut davantage de mesures et d'initiatives locales bancables pour arriver à des résultats probants, à l'instar de l'Afrique du Sud qui a partagé avec les participants à ce forum son expérience d'émergence d'une classe des affaires parmi les plus défavorisée sous l'Apartheid. Les intervenants ont fait plusieurs recommandations mais nous y reviendrons.

Laurent Essolomwa

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