Dossier spécial 15-Août : la mécanisation de l’agriculture est le pilier du développement de ce secteur, selon Rigobert MaboundouMardi 13 Août 2013 - 13:00 Le ministre de l’Agriculture et de l’Élevage explique, dans cette interview exclusive, la vision gouvernementale pour la mécanisation et la modernisation de l’agriculture congolaise Les Dépêches de Brazzaville : L’agriculture est un volet très important de l’industrialisation et de la modernisation du Congo. Comment, à l’heure actuelle, entrevoyez-vous le processus de mécanisation et le développement de ce secteur dans le cadre d’une économie intégrée ? Rigobert Maboundou : Le président de la République, qui a mis en œuvre le Chemin d’avenir que le gouvernement a converti en Plan national de développement, insiste pour que notre agriculture, qui est une agriculture de transition, arrive à féconder ces deux branches. La première branche, c’est la branche paysanne, la deuxième est ce qu’on peut appeler l’agrobusiness, donc l’agriculture industrielle. En ce qui concerne la branche paysanne, la modernisation passe par la mécanisation, la formation puis la vulgarisation sans oublier l’utilisation de semences améliorées qui peuvent permettre d’avancer plus vite dans le développement de cette agriculture. C’est ce que nous faisons avec le programme de mécanisation que nous avons commencé directement sur le budget de l’État ou indirectement à travers le partenariat que nous avons signé avec une ONG américaine appelée International Partnership for Human Development (IPHD). Nous allons également, dans le cadre de cette modernisation, soutenir les initiatives privées, paysannes ou néo-rurales, à travers le Fonds de soutien à l’agriculture. LDB : Justement, de matière concrète, comment l’État entend-t-il impulser cette dynamique en dépit des faibles capacités des paysans ? RM : Ce fonds a été initié pour aider les populations à élever leur niveau de production. Nous avons également des formations que nous développons avec le Centre de démonstration des techniques agricoles et la vulgarisation que nous développons au niveau du ministère. Dans le cadre de cette agriculture paysanne à développer, nous avons la filière nouveaux villages agricoles et à ce niveau nous recevons des jeunes qui n’ont pas pu accéder à des emplois salariés pour les former à la culture de fermier, afin qu’ils deviennent des agriculteurs à part entière et travaillant dans le cadre de la modernisation. L’autre composante est agroindustrielle. Nous la faisons avec les entreprises, des investisseurs étrangers, qui développent des plantations industrielles à grande échelle avec l’utilisation de la machine, des nouvelles technologies. Cela nous permet d’évoluer plus vite dans la production de valeur ajoutée manufacturière. Car, c’est bien d’avoir des produits mais c’est aussi bien d’assurer la durabilité de ces produits avec l’agroindustrie afin de conditionner ces produits. LDB : Cette agroindustrie ne va-t-elle pas écraser les petits producteurs ? RM : Cette agroindustrie est le maillon par lequel on va densifier la modernisation, de sorte que nous créerons des pôles de croissance afin que les paysans tirent profit à travers leur prise en charge dans la commercialisation des produits, ainsi qu’à travers la diffusion de connaissances nouvelles provenant de ces grandes entreprises. Voilà comment nous voyons l’évolution de cette agriculture en faisant évoluer la production paysanne, les nouveaux villages agricoles et l’agroindustrie. Nous avons beaucoup de terres disponibles, pas seulement pour la production agricole, mais aussi pour l’installation de complexes agroindustriels qui nous permettront de transformer localement cette production. Ces différentes formes de production dans notre pays tiendront compte à la fois du niveau de développement de la classe paysanne et de notre ambition d’être en 2025 un pays où la sécurité alimentaire sera assurée. LDB : Vous avez parlez du Fonds de soutien à l’agriculture, qui existe depuis quelques années déjà. Quel a été selon vous son apport au développement agricole ? RM : Le Fonds de soutien à l’agriculture nouvelle version existe depuis 2009. Et quatre ans d’existence, c’est effectivement un délai suffisant pour faire le bilan de l’existence de ces activités. À l’évidence, nous avons connu quelques avancées. Un opérateur économique basé à Pointe-Noire a pu augmenter sa capacité de production grâce à l’intervention du Fonds de soutien à l’agriculture. Nous en avons financé un autre dans la partie nord de Brazzaville qui n'avait que deux porcs ; à présent, il approvisionne les marchés de manière importante. Le Fonds de soutien a été d’un certain intérêt pour le développement de notre production, l’accroissement de l’offre agricole. Mais en même temps il faut, à la vérité, dire que nous avons également connu des déboires. LDB : Lesquels ? RM : Ils relèvent de trois ordres. La question de la responsabilité dans le rapport à l’argent est l’une des difficultés que nous avons rencontrées. Il y a aussi l’inconscience de ceux qui reçoivent des crédits et qui ne les utilisent pas forcément pour le financement d'activités agricoles et, même quand ils le font, ils ne montrent pas le même empressement quand il s’agit de rembourser. La troisième difficulté, objective aussi, est relative à la nature du secteur dans lequel nous évoluons. En 2012, par exemple, nous avons connu un déficit par insuffisance de pluie. Ceux qui ont eu des crédits cette année n’ont pas eu les résultats agricoles attendus, et il se pose alors des difficultés pour le remboursement du crédit. Il y a également ceux qui ont eu des plantations ravagées par les maladies. Comme il peut y en avoir qui ont perdu leur production à cause des insectes. C’est ainsi que nous allons réformer le Fonds de soutien à l’agriculture en tenant compte du premier bilan pour que l’efficacité de la dépense publique puisse être préservée. LDB : Qu’en est-il des projets nouveaux villages ? RM : Les projets nouveaux villages, on peut aussi en tirer un premier bilan. Le premier village a été mis en exploitation le 8 octobre 2011, le second l’a été le 5 février 2012, c’est une expérience récente. Pour le premier, les résultats sont intéressants. L’objectif était de produire à peu près 6 millions d’œufs de table par an, donc entre le 8 octobre 2010 et le 8 octobre 2011. Arrivés à cette date, nous avons affiché une production de 6,6 millions d’œufs, donc nous avons dépassé la prévision. En 2012, nous avons déjà affiché 8 millions, donc on est toujours en progression et au-dessus des objectifs fixés. Il a été tiré en conclusion qu’en termes de production les choses vont dans la bonne direction. En termes de revenus aussi, puisse que les revenus mensuels s’élèvent entre 400 000 et 500 000 FCFA par famille d’exploitants. Cependant, il faut reconnaître que là aussi, nous avons quelques difficultés. Elles sont de deux ordres : l’électricité et l’eau. LDB : Pouvez-vous être plus explicite ? RM : Le nouveau village de Nkouo, qui produit des œufs de table, n’est pas connecté au réseau national d’électricité et, de ce fait, nous utilisons des générateurs, cela fait perdre aux exploitants l’avantage qu’ils ont en termes de coût. Quant à l’eau, vous savez bien que la gestion d’une production agricole nécessite une grande quantité d’eau et, sur place, nous avons des jeunes qui disposent de deux hectares de terres et s’emploient également à développer les cultures maraîchères. Nous utilisons donc l’eau des forages, normalement en matière agricole ce n’est pas l’eau de forage qui est recommandée. Voilà deux raisons qui font grimper les coûts des nouveaux villages agricoles. Le deuxième nouveau village, installé à Imvoumba, spécialisé dans la production de poulets de chair est parti avec les mêmes avantages et les mêmes inconvénients. Il bénéficie d’un segment de l’abattoir, qui nous permet de mettre sur le marché des poulets vidés et conditionnés pour la consommation des ménages. LDB : Allez-vous vous arrêter à ces deux expériences ? Sinon, comment entendez-vous poursuivre avec ces nouveaux villages agricoles ? RM : Un programme avait été établi par le président de la République, qui prévoyait la construction de trois nouveaux villages dans le premier périmètre au-delà de Brazzaville sur la RN2. Nous avons déjà les deux premiers, et nous allons construire le troisième à Odziba. Celui-là sera spécialisé dans la production de viande porcine et va aussi abriter les infrastructures de base qui permettront d’approvisionner les deux autres villages en poussins, mais aussi en aliments de bétail. Une fois que nous aurons terminé avec le premier périmètre, nous nous déplacerons vers la périphérie de Pointe-Noire pour faire la même chose. Quand nous aurons terminé avec Pointe-Noire, le président nous dira quelle direction prendre. LDB : Pour finir, êtes-vous optimiste quant aux résultats de la politique nationale de développement agricole ? RM : J’évoquerais trois choses pour conclure. Premièrement, si nous ne travaillons pas, nous ne pouvons pas espérer atteindre la sécurité alimentaire. La deuxième, le Congolais doit savoir que si nous voulons que les prix des produits agricoles baissent sur le marché, il faut augmenter la production, parce que quand l’offre est supérieure à la demande, les prix baissent. Troisièmement, enfin, le Congolais doit savoir que nous avons des terres riches et n’allons pas tout le temps continuer à importer des autres pays, car ces pays peuvent se trouver en situation de crise et ne plus être en mesure d’exporter. J’ai énuméré ces trois choses pour attirer l’attention des compatriotes. Si chacun de nous ne se mobilise pas pour la production agricole comme le font les Chinois, les Américains et les autres peuples, nous attendrons longtemps avant l’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Thierry Noungou et Josiane Mambou-Loukoula Légendes et crédits photo :Photo : Le ministre Rigobert Maboundou. (© DR) |