COP21. Fabienne Keller : « Il faut un dialogue plus équilibré entre les pays victimes des effets du changement climatique et ceux qui sont émetteurs »

Samedi 14 Novembre 2015 - 14:45

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Sénatrice française, Fabienne Keller est également présidente déléguée du groupe France-Afrique centrale pour la République démocratique du Congo. Très engagée sur les questions environnementales, elle est membre des groupes de travail du Sénat français sur les négociations climatiques internationales et sur les conséquences géopolitiques du changement climatique dans les espaces maritimes en perspectives de la COP21. 

Les Dépêches de Brazzaville : Vous venez de publier le rapport « Aide publique au développement et climat », en faveur des pays les moins avancés. Quelles en sont les grandes lignes ?

Fabienne Keller : Dans le cadre de mon travail à la commission des finances, j’ai analysé l’aide publique française au développement qui concernait les changements climatiques et en particulier les questions d’adaptation (Ndlr. Les stratégies, initiatives et mesures individuelles ou collectives visant, par des mesures adaptées, à réduire la vulnérabilité des systèmes naturels et humains contre les effets réels ou attendus des changements climatiques). Cette dernière ne représentait qu’un petit dix pour cent de l’ensemble des engagements de l’Agence française de développement qui sont comptabilisés au titre du climat. En outre, j’ai également recherché les volumes d’aide Nord-Sud toujours comptabilisés climat et qui concernent toujours les pays les moins avancés. Là aussi, d’une année à l’autre, on est toujours inférieur à 10%. Sur ces deux objectifs, j’ai proposé que l’on se fixe un objectif à échéance assez rapprochée, par exemple en 2020, que l’on atteigne de 20% de financement climat consacrés à l’adaptation, 20 % de financement climat ciblés sur les pays les moins avancés. Dans la perspective de la COP 21, le rapport se proposait de faire une analyse des financements climats, adaptation-atténuation. Le rapport est centré sur les pays du Sud qui sont victimes de la double peine. Ils ne contribuent pas beaucoup à l’effet de serre mais ils sont les premiers à en subir les conséquences : élévation du niveau de la mer, salinisation des terres par remontée du sel dans les fleuves, désertification des zones, difficultés d’accès à l’eau, aggravation variations et des accidents climatiques notamment des pluies. C’était la première fois qu’on mettait en avant les chiffres sur l’adaptation et l’aide climatique pour les pays les moins avancés.  

LDB : quelles solutions préconisez-vous au regard des points cités ci-haut ?

FK : La solution réside en une volonté publique de cibler les aides plus particulièrement sur l’adaptation, c’est-à-dire la préparation à cette remontée des eaux, à la salinisation. Il faut privilégier les projets qui permettent de se préparer à ces changements climatiques. C’est toute la question de l’accès à l’eau et de la limitation de l’effet des catastrophes et des accidents climatiques. C’est une question de volonté et d’objectifs qu’il faut exiger ou imposer notamment à l’Agence française de développement.

LDB : Pensez-vous que la COP 21 sera un succès

FK : Je crois que ce sera, dans tous les cas, une belle étape, puisque plus de 150 pays ont déjà déposé leurs propositions, il y a une magnifique mobilisation des acteurs non gouvernementaux : villes, acteurs non gouvernementaux, etc. Une mobilisation des acteurs dans leur diversité. Mais cela ne doit pas masquer la responsabilité spécifique des gouvernements. C’est là que l’on va suivre avec attention leur volonté ou non de s’engager. Mais le point le plus important pour moi, et c’est pour cela que j’ai rédigé un rapport à ce sujet, c’est le financement et en particulier le financement du fonds vert pour lequel il n’y a aujourd’hui que des promesses et peu d’engagements qui ne portent beaucoup que sur des prêts et pas assez sur des dons. Or, on sait très bien que pour l’adaptation, c’est-à-dire pour se préparer à des catastrophes climatiques, ce ne sont pas des investissements qui sont rentables tout de suite. Ils reconstituent juste l’état des lieux tels qu’il n’aurait jamais dus être modifiés par l’élévation des températures. Ces financements doivent se faire principalement sous forme de dons. La seule manière réaliste est de le faire à la bonne hauteur de manière suffisamment puissante, est de créer une ressource, et la planète est la bonne échelle.

LDB :      En quoi les sujets qui seront développés lors de la Cop 21 sont essentiels pour l’Europe et les pays émergents ?

FK : L’Europe est un acteur important et a déposé ses propositions très tôt. Nous avons une politique européenne très intégrée sur des objectifs de moindre émission, de meilleure efficacité énergétique et de parts plus importantes des énergies renouvelables. On avait pris les premiers engagements depuis 2008 avec le paquet énergie-climat pour 2020. On a repris des engagements plus importants l’année dernière pour 2030. L’Europe est dans une dynamique d’exemplarité dont je suis très heureuse et qui va dans le bons sens, même s’il reste des débats au sein de l’Union. Pour les pays émergents, c’est à la fois stratégique et compliqué puisque ils acceptent de s’engager sur le contenu carbone de leur croissance mais pas sur un niveau absolu car ils ne souhaitent pas que leur croissance soit plafonnée par des engagements en tonnage qui les bloqueraient. Le positionnement des opinions publiques nationales est important notamment dans les pays émergents pour accepter ces contraintes environnementales et mieux les prendre en compte.

LDB : vous faites partie du groupe d'amitié France-Afrique centrale du Sénat. Est ce que l'Afrique à quelque chose a dire sur l'écologie ?

FK : Je suis certaine que les nombreux pays d’Afrique, leurs représentants et les maires de grandes villes sont un message à porter. Jai rencontré un certain nombre de responsables du Sénégal, dans le cadre de mes fonctions, je connais assez bien le Cameroun et je suis engagé en RDC. Un des sujets-clés va être celui de construire un dialogue plus équilibré entre les pays qui subissent les effets du changement climatique et ceux qui sont émetteurs. Cela doit se faire dans un partenariat respectueux des positions et des contraintes de chacun.

LDB : Finalement, l’Afrique n'est- elle pas plus légitime que l'Occident qui a connu un développement très rapide mais sans prendre en compte la dimension écologique ?

FK : Les pays d’Afrique subsaharienne ou d’Afrique centrale ont une vision sur le changement climatique. Il existe une conscience forte et une mobilisation pour se préparer et éviter cet avenir inquiétant. On progressera tous dans un respect des postures de chacun et dans une relation équilibrée. Cette élévation de la température qui n’est pas causée par les pays africains est clairement un défi mondial et il est normal que l’on crée une ressource mondiale pour le financer.

LDB : Quels rôles peuvent jouer les villes dans la lutte contre le réchauffement ?

FK : Je suis convaincue de l’efficacité de l’action des villes. La ville de Bordeaux est exemplaire dans ce domaine. Les villes ont noué des partenariats avec d’autres villes et les différents services (eaux, production d’énergie, etc.) se mettent facilement en synergie les uns avec les autres. Un travail très constructif et très concret est déjà à l’œuvre et peut être amplifié. La prise de conscience de l’importance des acteurs locaux est un élément important de tout ce débat sur la Cop 21.  

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Fabienne Keller

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