Jeune, énergique, volontariste à l’envie, plutôt costume nœud papillon, Akinwumi Adesina, 56 ans, fait sans doute partie de ces Africains qui ont pour le continent de leurs ancêtres une idée du bien suffisamment forte. Au point de sortir des oubliettes de l’histoire tumultueuse de l’Afrique la quête d’indépendance qui fut celle des pères fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine. Certains d’entre-eux, sans parvenir à la réaliser entièrement, assumèrent en toute humilité leur audace de croire en l’avènement d’un monde plus juste pour les peuples des cinq continents. D’autres le payèrent de leur vie.
Et il avait beau être président d’une institution qui ne fait pas la politique au sens strict du terme, la Banque africaine de développement en l’occurrence, Akinwumi rêve d’unité africaine, de développement et d’épanouissement de ses habitants. Il fonde ses espérances sur les énergies dont dispose le continent et répète, à juste titre, que ces dernières ne sont pas seulement celles du sol et du sous-sol qui attirent tant de convoitises au-delà de ses frontières. Non, les énergies appelées à assurer l’indépendance de l’Afrique sont avant tout humaines.
Au long des assemblées annuelles de la BAD, qui se sont déroulées à Lusaka, la capitale zambienne, du 23 au 27 mai, au Mulungushi international conférence centre, cadre pittoresque dédié à l’Union africaine, l’optimisme du dirigeant de l’institution financière panafricaine a été à la mesure de sa détermination. Faisons un peu de politique avec lui : « Cette terre (de Zambie qui nous accueille Ndlr) est la terre des merveilles, celle des fabuleuses chutes Victoria que vous appelez Mosi-oa-Tunya « la fumée qui gronde ». Une terre d’accueil où se sont réfugiés les combattants de la liberté qui luttaient contre l’apartheid en Afrique du Sud et en Namibie ». Et de suite : « l’Afrique doit voir grand, accomplir de grandes choses et avancer à grands pas. Ne faisons jamais preuve de manque d’ambitions pour l’Afrique ».*
En rappelant la lutte de libération du continent, en particulier dans sa région australe marquée par la ségrégation raciale, et en suppliant l’Afrique de ne pas être à court d’ambitions, Akinwumi Adesina ne porte plus sa seule veste d’économiste. Il se fraye un passage vers les cercles feutrées de la politique comme matière de confrontation des idées, de choix et de définition des options à suivre pour s’assumer en homme libre. Notons que l’objet des assemblées annuelles de la BAD n’était pas de remuer le couteau dans la plaie. Il était de débattre de l’énergie et du changement climatique, deux thèmes au cœur des enjeux de développement, mais non-étrangers à la redéfinition du nouvel ordre de coopération internationale.
Des exposés de haut niveau, dont nous avons rendu compte des résultats dans Les Dépêches de Brazzaville pendant une semaine, ont montré le lien qui existe entre l’amélioration du cadre de vie, le bien-être et l’accès aux sources d’énergie ; entre l’industrialisation et l’énergie ; entre l’émergence et l’énergie ; entre la coopération internationale, l’implication du secteur privé et le financement de l’énergie. Ces exposés ont aussi relevé la préoccupation pour la préservation de l’environnement à la réalisation de laquelle tous les pays, riches ou pauvres, du Nord comme du Sud, doivent mutualiser leurs efforts au risque de précipiter l’humanité.
Lorsque le président de la BAD s’exprimait en rassembleur sur toutes ces questions, avec autant d’engagement, on avait l’impression d’écouter parler le président des Etats-Unis d’Afrique. Chacun sait que cette entité dont rêvèrent les plus optimistes des pères fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine, et même après eux, certains de leurs continuateurs à l’Union africaine n’existe pas, que portés par leur instinct nationaliste beaucoup sur le continent ne veulent pas en entendre parler.
Au moins, une chose est certaine : l’Afrique restera en marge des avancées significatives sur la voie du développement tant qu’elle ne parviendra pas à réaliser son intégration. Oui, intégrer, nourrir, industrialiser, améliorer la qualité de vie, éclairer et alimenter l’Afrique en énergie, Akinwumi Adesina et la BAD en font leur cheval de bataille pour les dix prochaines années. Pourvu qu’ils ne soient pas les seuls à y croire.
*. Extraits du discours d’ouverture du président de la BAD.