Interview. Dieudonné Ngangura Mweze : « Travailler avec Papa Wemba était vraiment un plaisir »

Mardi 5 Décembre 2017 - 17:15

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La vie est belle, le réalisateur congolais s’en souviendra toute sa vie, parce que ce fut la première fiction qu’il a conçue car il en a écrit le scénario du début à la fin ou « de A à Z », comme il le déclare dans cette interview exclusive avec Le Courrier de Kinshasa. Cette fiction repose en partie sur l’amitié qui le liait à son personnage principal, Papa Wemba, alias Kuru, et du tournage auquel celui-ci s’est prêté sans aucun caprice comme l’on aurait pu s’attendre de la part d’une star de son rang.

Dieudonné Ngangura MwezeLe Courrier de Kinshasa :  Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs  ?

Dieudonné Ngangura Mweze : Mon nom est Dieudonné Ngangura Mweze. Je suis cinéaste congolais depuis plusieurs années.

L.C.K. : Votre nom est attaché à une œuvre notable. Pourriez-vous nous en parler par vous-même  ?

D.N.M.  : Oui ! Comme je suis à Kinshasa, c’est surtout le film La vie est belle qui vient à l’esprit des gens lorsque l’on prononce mon nom. J’ai d’abord conçu ce film, parce que j’en suis le scénariste. Je l’ai écrit de A à Z et, ensuite, j’étais coréalisateur dans la mesure où, pour des raisons pratiques et financières, surtout de production, j’ai dû le coréaliser avec le cinéaste belge, Benoît Lamy. Cet ami malheureusement décédé aujourd’hui, fut, il y a très longtemps, quelques années auparavant, mon professeur à l’Institut des arts et diffusion où j’avais étudié. Et, la dernière chose qui n’est pas la moindre, j’ai été aussi, à travers ma société Sol’Oeil films, coproducteur du film dans la mesure où une partie des financements a été obtenue par elle. Voilà, j’ai donc travaillé sur ce film à trois niveaux en tant que scénariste, coréalisateur et coproducteur, la production principale étant assurée par Lamy films qui était la société de mon défunt ami.

L.C.K. : Quel regard Papa Wemba portait-il sur La vie est belle ? Lui était-il arrivé d’y trouver des similitudes avec sa propre vie ? 

D.N.M.  : En effet,  Papa Wemba m’a lui-même affirmé avoir reconnu sa vie dans le personnage de Kuru qui pourtant venait de mon imagination. Il m’a dit : « C’est vraiment ma vie là-dedans. Ce film raconte ma vraie vie, beaucoup d’éléments de ma vie ». Il ne m’a pas dit lesquels exactement. Ce n’est peut-être pas seulement la sienne, mais celle de plusieurs musiciens congolais car, je me rappelle qu’à la vue du film, le vieux Tabu Ley m’a confié : « C’est aussi ma vie à moi ! ». Alors, je ne sais pas dire si tous les musiciens congolais se retrouvent dans ce portrait du jeune Kuru qui quitte le village pour la ville et passe par toutes les étapes qui l’emmènent à s’imposer comme star de la chanson.

L.C.K. : Pourriez-vous nous parler de la genèse de La vie est belle ? À quel moment de l’écriture de votre scénario avez-vous pensé à Papa Wemba pour le rôle principal  ? Un extrait de La vie est belle avec Papa Wemba habillé en maillot de corps

D.N.M.  : En fait, j’ai pensé à Papa Wemba avant même de commencer l’écriture. Je me rappelle que j’étais un grand fan de Viva la Musica, j’allais pratiquement tous les samedis à ses concerts à Vis-à-vis. Et comme nous avions déjà sympathisé, je faisais partie des rares personnes à qui Papa Wemba avait donné la libre entrée aux répétitions qui avaient lieu les mercredis et vendredis après-midi, à Vis-à-vis même, si ma mémoire est bonne. Les personnes étrangères à l’orchestre n’étaient pas acceptées, je faisais partie des rares privilégiés. Je le voyais assez souvent et quand j’ai commencé à avoir l’idée de faire ce film, je pensais que Papa Wemba pouvait bien correspondre au personnage que je prévoyais de lui donner. Je lui ai dit que j’avais une idée que je comptais concrétiser au cinéma avec lui comme acteur. Connaissant son penchant pour la sape et les beaux vêtements, je lui ai dit à l’avance : mais ce n’est pas un film où vous serez toujours bien habillé. A un moment vous ressemblerez à un paysan qui vient du village, puis à un autre comme un domestique et même à un jeune gigolo qui essaie de se débrouiller, fait tout pour s’en sortir. Et, je précise qu’à cette époque-là, le titre du film était : Article 15, débrouillez-vous. Mais il m’a répondu qu’il n’y avait pas de problème car s’il se trouvait habillé d’une façon ou d’une autre, ce ne serait pas lui-même mais Kuru et qu’il faisait bien la distinction entre l’acteur et sa propre personne. Fort de cela, j’ai continué mon écriture. Et, entre-temps, j’avais obtenu un stage d’écriture de scénario à Paris par le ministère de la Coopération française et son accord m’a encouragé. Plus tard, j’ai parlé de Papa Wemba à celui qui devait être mon producteur et finira comme mon associé coréalisateur, Benoît Lamy. Il m’a dit qu’il ne le connaissait pas mais il avait des amis belges qui avaient réalisé un documentaire sur Papa Wemba qu’il a vu. Alors il m’a dit : « Mais il me semble un peu vieux pour ce rôle-là, ton acteur ». Cela me mettait dans une situation inconfortable, parce que j’en avais déjà parlé avec Papa Wemba, je l’ai dit à Benoît Lamy. Lorsque j’en ai fait part à Papa Wemba, il a vu mon air embêté et m’a rassuré que ce n’était pas grave et qu’il pourrait au moins signer seulement la musique du film. Mais le problème s’est réglé quand, de retour du Japon, il nous a donné rendez-vous chez lui à Bruxelles, il était torse nu. Quand Benoît Lamy l’a vu, alors que nous avions déjà passé quelques auditions au Centre Wallonie-Bruxelles ( elles n’avaient, d’ailleurs, rien donné de concluant), il m’a dit qu’il lui semblait que Papa Wemba pourrait bien finalement incarner le rôle. Son côté coquin et malicieux ferait bien l’affaire et que l’on ne remarquerait pas qu’il était âgé. Cela m’a évidemment soulagé que le problème soit résolu, parce que Benoît Lamy avait à la fois la casquette de producteur –délégué et de coréalisateur et, donc, son avis importait beaucoup plus que le mien. Tout était résolu, il ne restait plus qu’à régler les questions d’ordre pratique, le calendrier. Mais ce n’était pas rien, parce que pendant toute la période de tournage, l’on a dû couper Papa Wemba de son gagne-pain, ses concerts hebdomadaires au Vis-à-vis pour qu’il ne soit pas sur deux fronts à la fois.

Un extrait de La vie est belle avec Kuru vêtu de l’abacost de son patron et jouant à l’homme fortunéL.C.K. : Comment avez-vous vécu le moment du tournage  ?

D.N.M. : Le fait du tournage a été une très grande surprise. Je dois dire que travailler avec Papa Wemba était vraiment un plaisir, il ne reculait devant rien. Je me rappelle une scène qui a dû être pénible. Il devait tomber de dos dans une mare d’eau. Il avait une telle souplesse physique que j’ai vu qu’il n’était pas qu’un bon acteur, il était aussi bon cascadeur. Il est tombé de dos dans le trou plein d'eau et s’est blessé quelque peu, il avait l’omoplate éraflée. Il fallait désinfecter la plaie, nous lui avons versé un peu d’alcool. Il l’a supporté très stoïquement. Il y en a une autre que j’imaginais déjà pas facile. Il s’agit de la montée du jeune Kuru dans le véhicule qui le transporterait en ville, il devait sauter dans une camionnette en marche. Et, il l’a fait à la manière des jeunes débrouillards, il a couru, attrapé une des barres de fer de la carrosserie et est monté dedans tout seul. D’habitude, ce genre de choses, on ne l’impose pas aux acteurs. En général, l’on trouve des personnes aguerries qui peuvent faire des cascades. Papa Wemba était très, très surprenant, parce qu’il faisait tout de sorte que cela n’a jamais posé de problème de travailler avec lui. C’était beaucoup plus un plaisir qu’un labeur.

Propos recueillis par

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Dieudonné Ngangura Mweze Photo 2 : Un extrait de "La vie est belle" avec Papa Wemba en maillot de corps Photo 3 : Un extrait de La vie est belle avec Kuru vêtu de l’abacost de son patron et jouant à l’homme fortuné

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