Interview. Maître Katako Okende Nicolas : « Il est plutôt question de rédiger la Constitution définitive du Congo postcolonial »Mercredi 2 Avril 2014 - 18:30 Premier vice-président de l’Alliance des mobutistes (AMO) et juriste de son état, Me Katako Okende va au-delà du débat classique sur la possibilité de réviser la Constitution de la RDC en vue des prochaines élections et propose plutôt une totale rédaction de ladite loi fondamentale répondant à la volonté du pouvoir constituant originaire. Cela aura le mérite de fermer définitivement la longue parenthèse de l’imbroglio constitutionnel. Les Dépêches de Brazzaville : La présentation de la feuille de route de la Commission électorale nationale indépendante a suscité des vives réactions dénonçant une tentative de révision de la Constitution. Qu’elle est votre opinion à ce sujet? Katako Okende Nicolas : La gymnastique de la Commission électorale nationale indépendante est une preuve, de plus, de l’inadaptation des textes constitutionnels mimés de l’Occident à nos réalités africaines spécifiques et de la profonde difficulté de leur application. Cinquante-quatre ans après la décolonisation de notre pays, nous devons nous arrêter pour voir d’où nous venons, où nous sommes et où nous allons. LDB : Une nouvelle révision de la Constitution après celle de 2011 n’aurait-elle pas des conséquences fâcheuses sur les prochaines élections ? KON : Pour nous, les néo-mobutistes, c’est-à-dire les mobutistes débarrassés des pesanteurs de la guerre idéologique, il n’est pas question de procéder à une quelconque révision de la Constitution du 18 Février 2006, qui n’est qu’un faux, comme toutes les Constitutions ayant régi le Congo-Léopoldville après la Loi Fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo. Il est plutôt question de rédiger la Constitution définitive du Congo postcolonial, qui n’a jamais été adoptée conformément à la volonté du pouvoir constituant originaire du Congo ex-Belge. En effet, la Constitution est l’acte fondateur de l’État. C’est le document dans lequel l’individu ou le groupe d’individus disposant du monopole de la contrainte physique légitime procède à l’aménagement du pouvoir (politique) dans l’État qu’il fonde. Dans le cas d’espèce, le pouvoir constituant originaire du Congo Indépendant c’était le Parlement belge, qui adopta la Loi Fondamentale, fruit d’un consensus avec la classe politique congolaise à la Table-Ronde belgo-congolaise de Bruxelles en 1960. Constitution provisoire, la Loi Fondamentale a institué le pouvoir constituant dérivé qui devait adopter la Constitution définitive du nouvel Etat, et a défini la procédure d’adoption et de l’entrée en vigueur de cette Constitution définitive. Hélas, quelques jours après l’installation des chambres parlementaires élues en 1960, le président Kasa-Vubu révoquera le Premier ministre Lomomba au mépris de la Constitution, et de manière franchement antidémocratique. S’étant saisi du dossier, le Parlement renouvela sa confiance au Premier ministre. Sous la pression des dirigeants occidentaux, le chef de l’État rejeta le vote du Parlement, le déclarant « précipité », et mettra, sine die, les deux chambres en congé. Paralysé, le Parlement congolais ne siégera pas en assemblée constituante et ne mettra pas en place les novelles institutions du pays conformément aux prescriptions du pouvoir constituant originaire. LDB : D’où et comment serait alors venue la première Constitution du Congo indépendant ? KON : Après tous les évènements précédemment décrits, c’est plutôt une « commission constitutionnelle » qui, au mépris flagrant de la volonté du pouvoir constituant originaire, siégera à Kananga et octroiera au peuple congolais la Constitution de la République démocratique du Congo du 1er août 1964, dite Constitution de Luluabourg. De fraude en fraude, on en est arrivé à la Constitution du 18 février 2006, en passant par la Constitution du 24 juin 1967, l’Acte constitutionnel de la transition, le Décret-loi constitutionnel n°003 du 27 mai 1997 relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir en République démocratique du Congo, et, enfin, l’Acte global et inclusif, Constitution de transition de Sun city. « Fraus omnia corrumpit », dit un célèbre adage juridique. Le faux n’engendrant que le faux, l’ex-colonie belge se trouve dépourvue de Constitution depuis le 1er août 1964. La question étant d’actualité ce jour, il est temps d’y répondre une fois pour toutes par la rédaction et l’adoption de cette Constitution répondant aux prescriptions du pouvoir constituant originaire. L’on fermera ainsi définitivement la longue parenthèse de l’imbroglio constitutionnel, mais aussi, nous l’espérons, de ses incessantes violations délibérées. Dans tous les cas, il ne sert à rien de réviser un faux texte, encore moins de le maintenir. LDB : Comment contourner les difficultés présentées par la Céni dans ses deux hypothèses ? KON : Pour nous, les néo-mobustistes regroupés dans l’AMO, parti cher à Alphonse Kabuassa Padjabale, son initiateur, tenter de répondre à cette question équivaudrait à se livrer à la distraction. Pendant plus d’un demi-siècle, le pays a inutilement tourné en rond. Maintenant, il faut casser ce cercle vicieux et aller de l’avant, sous la haute direction du chef de l’État, Joseph Kabila Kabange, « le funambule ». LDB : Peut-on penser à l’organisation des élections municipales, urbaines et locales dans un contexte où le processus de décentralisation demeure inachevé ? KON : Ça serait une aberration, dès lors que les tribunaux de paix, juges du contentieux électoral au niveau local, n’existent pas dans beaucoup de circonscriptions électorales. Cela, faute de personnel (magistrats) et d’infrastructures. Et c’est dans ce contexte de carence que la fameuse Constitution du 18 février 2006 éclate la Cour suprême de Justice en trois juridictions distinctes nécessitant davantage personnel et infrastructures. Sans oublier que la même Constitution prescrit la création de vingt-cinq provinces, outre la ville-province de Kinshasa. Quand on sait, par ailleurs, que chaque province doit être dotée d’une Cour d’appel, il faut être un aveugle pour ne pas voir que cette Constitution que d’aucuns s’acharnent à vouloir protéger bec et ongles nous indique une voie sans issue, à l’état actuel des choses ! LDB : Les dialogues ou conférences tenues en faveur de la paix et de la décrispation des multiples crises enregistrées depuis 1990 semblent être le mode de vie du Congolais. Quels enseignements peut-on en tirer près de 54 ans après l’indépendance ? KON : Le principal enseignement à tirer est qu’il faut une nouvelle classe politique congolaise agissant dans le strict intérêt supérieur du peuple congolais. L’actuelle classe politique est à l’âge de ménopause, après avoir engendré des monstres nommés corruption, détournements, impunité, clientélisme politique et autres, que la nouvelle classe politique sera appelée à tuer un à un, avec diligence. LDB : Quel bilan les mobutistes dressent-ils de l’avènement de la démocratie en RDC, 24 ans après le discours du Maréchal Mobutu autorisant le multipartisme ? KON : Acteur et témoin privilégié de l’histoire coloniale et postcoloniale de son pays, le maréchal Mobutu a versé les larmes le 24 avril 1990. Cela, pour deux raisons majeures : d’une part, il savait que, résultante de la dynamique interne d’une Nation, la démocratie ne se décrète pas, comme l’a fait la Perestroïka ; d’autre part, il était parfaitement conscient de la médiocrité de la classe politique congolaise. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à constater le nombre illimité des partis politiques actuels, alimentaires dans leur quasi-totalité, avec des membres s’agglutinant non autour des idéologies globalisantes, mais autour de quelques visages emblématiques pour, le moment venu, participer au partage du gâteau national. Alors que, réaliste, Mobutu suggéra le multipartisme à trois, à la fin de la guerre idéologique. En réalité, la pratique démocratique est atypique en RDC. Avec une opposition inexistante depuis 1960, car ne faisant que l’obstruction, la classe politique congolaise, égocentriste à souhait, offre au monde le répugnant spectacle de « ôte-toi de là que je m’y mette » et de « j’y suis j’y reste. Avec force ! ». C’est là une preuve, de plus, que nos textes constitutionnels ne sont pas adaptés aux réalités africaines. En effet, jusqu’à la décolonisation des années 60, l’Afrique n’a pas connu d’expérience républicaine. Depuis des temps immémoriaux, le continent noir n’a vécu que dans la monarchie. Sans transition, passer de la monarchie à la république, est une entreprise vouée à l’échec. Bien plus, sans transition, passer, dans des sociétés politiques inachevées, de la démocratie consensuelle (« l’arbre à palabre », propre aux groupements humains des dimensions réduites) à la démocratie parlementaire occidentale hypersophistiquée, propre aux sociétés politiques achevées et aux dimensions robustes, c’est ouvrir la voie à d’interminables conflits et guerres intercommunautaires. L’histoire de l’Afrique postcoloniale est assez éloquente à ce sujet. Voilà pourquoi, plus que jamais, c’est le moment d’écrire, en toute souveraineté, des textes adaptés aux réalités sociales et aux valeurs culturelles africaines, selon l’ardent vœu des pères de nos indépendances, et même du mouvement de la Nouvelle renaissance africaine. Jeannot Kayuba Légendes et crédits photo :Juillet 1997, Me Katako et le Pr Kabemba (de gauche à droite) à Los Angeles, dans le but de négocier un contrat pour le compte du gouvernement LDK aux fins de l’identification et du recensement des Congolais en perspective des élections prévues en 2000 |