Interview. Philippe de Moerloose: « Aujourd’hui, le défi est d’industrialiser les pays africains comme la RDC»Mardi 5 Décembre 2017 - 12:45 Philippe de Moerloose est le fondateur et le CEO du groupe SDA, une holding spécialisée dans la distribution de matériel roulant dans plusieurs pays africains, dont la République démocratique du Congo (RDC). L’entrepreneur belge dirige également la holding African Equities qui détient notamment le Pullman Kinshasa Grand Hôtel (ex-Grand Hôtel de Kinshasa) et le Pullman Lubumbashi Grand Karavia. Le Courrier de Kinshasa (L.C.K) : Quelles sont les activités que vous développez en RDC ? Philippe de Moerloose (P.d.M) : Nous sommes présents en RDC dans la distribution des poids lourds avec la marque Volvo ainsi que dans la distribution des engins pour le génie civil et pour les mines. Nous distribuons également la marque John Deere dans le secteur agricole. La RDC est un pays qui s’est rendu compte, à travers les différentes crises qu’il a traversées, que l’agriculture était sous-exploitée et qu’il fallait remédier à cela, dans un contexte où les cours des matières premières sont bas. L’agriculture est un secteur-clé car elle permet de réduire les importations de denrées alimentaires et de répondre directement à la demande de la population congolaise, notamment en période de crise où les importations sont plus coûteuses ou compliquées à cause de la rareté des devises. L’agriculture est vraiment au cœur des activités de notre groupe. Nous sommes également présents dans le secteur de l’hôtellerie avec le Grand Hôtel de Kinshasa, géré par le groupe Accor, sous l’enseigne Pullman. L’hôtel compte quatre cents chambres. Nous détenons également l’hôtel Karavia à Lubumbashi, géré toujours par le groupe Accor sous l’enseigne Pullman, qui dispose de deux cents chambres. Nous avons aussi des activités dans la chaux, non loin de Likasi, avec la grande cimenterie du Katanga qui fabrique de la chaux que nous vendons aux différents acteurs miniers. La chaux est un intrant pour le traitement du cuivre et du cobalt. A ce sujet, nous projetons de construire une cimenterie car, au Katanga, 100% de la consommation du ciment est importée. Nous voulons y construire une cimenterie d’une capacité d’un million de tonnes afin de ne plus importer de ciment provenant de Zambie ou d’Afrique du Sud. Ce qui serait également bénéfique pour le gouvernement, car aujourd’hui l’importation équivaut à la fuite des devises. Il en va donc de l’intérêt national de produire localement. Enfin, nous avons la société de construction « Dematco » qui construit pour le compte de grands acteurs de la place : complexes immobiliers, entrepôts, résidences, bureaux, ambassades. Nous avons ainsi construit, en partenariat avec le Groupe belge Willemen, la nouvelle ambassade de Belgique à Kinshasa sur le boulevard du 30-juin. Une très belle réalisation dont nous sommes particulièrement fiers. L.C.K. : Quel type de partenariat avez-vous avec le groupe Accor ? P.d.M. : Nous sommes actionnaires à concurrence de 50% du Pullman Grand hôtel de Kinshasa, à côté du gouvernement de la RDC qui détient les autres 50%, à travers le ministère du Portefeuille. Nous détenons 100% du grand Karavia à Lubumbashi. Ces hôtels sont gérés par le groupe Accor en vertu d’un contrat de management, vu que nous ne sommes pas des professionnels de l’hôtellerie. Nous avons préféré lancer un appel d’offres et recruter un opérateur hôtelier pour gérer nos deux hôtels aux normes internationales. Pour tous les domaines d’activités qui sortent de la distribution automobile, des engins et des poids lourds, nous essayons de nous adosser à des professionnels du secteur pour assurer la bonne gestion de nos entreprises. L.C.K. : Cela ne vous coûte-t-il pas trop cher ? P.d.M.: Le contrat de management nous coûte bien évidemment de l’argent mais nous en rapporte également. Un groupe comme Accor dispose de toutes les compétences pour gérer, en bon père de famille, des hôtels cinq étoiles tels que nous les avons en RDC. Grâce à leur système de réservation, ils drainent toute une série de clientèle, notamment la clientèle Accor qui a l’habitude de recourir à ses services partout dans le monde. Le système de réservation du groupe Accor nous draine donc énormément de clientèle. L.C.K. : Dans le secteur agricole, dans quelles provinces êtes-vous présents ? P.d.M. : Nous sommes présents dans les vingt-six provinces de la RDC, via des centres de services de la marque John Deere. La marque Demgroup, qui distribue la marque John Deere, propose des tracteurs agricoles et tous les accessoires agricoles et garantit également le bon fonctionnement du matériel vendu dans les vingt-six provinces par l’installation des « services points » dans tout le pays. Aujourd’hui, nous avons des disponibilités en pièces de rechange et des techniciens qui sont formés par John Deere à travers tout le pays. Nous sommes également au côté du gouvernement de la RDC dans son plan de mécanisation agricole. Nous fournissons de la formation et des conseils en matière d’agriculture, au ministère de l’Agriculture, avec le soutien du constructeur John Deere, qui est la référence absolue en matière de tracteur agricole. L.C.K. : Combien vendez-vous d’engins en RDC ? P.d.M. : Aujourd’hui, en RDC, le retail, donc la vente aux particuliers, est assez limité. Nous parlons d’un marché accessible de l’ordre de cent cinquante à deux cents tracteurs par an. Mais, le gros du business provient des programmes de mécanisation agricole, pas seulement en RDC mais dans tous les pays africains qui ont pris conscience de la nécessité de développer l’agriculture. Nous venons de livrer quatre cents tracteurs au Sénégal, dans le cadre de leur projet de mécanisation agricole. Nous sommes en lien avec d’autres pays africains où nous livrons du matériel aux gouvernements, dans le cadre de leurs plans de mécanisation agricole. Mais, le commerce privé reste encore limité à cause du coût d’acquisition d’un tracteur agricole, ses accessoires, ses engrais et tous les frais connexes à l’exploitation agricole et par la difficulté qu’ont les petites coopératives agricoles d’avoir accès au crédit bancaire qui n’est pas encore développé sur le continent africain. Raison pour laquelle le gros du volume se traduit par des appels d’offres des ministères de l’Agriculture sur le continent africain. L.C.K. : Et en termes de véhicules, que représente le marché congolais ? P.d.M. : Le marché de la RDC doit représenter entre deux mille cinq cents et trois mille véhicules neufs par an ; trois cents à quatre cents poids lourds par an et représente trois cents engins neufs par an également. Le groupe SDA a entre 10 et 15% de parts de ce marché global. L.C.K. : Que devient Demimpex (De Moerloose Import-Export. NDLR), votre première entreprise en RDC ? P.d.M.: Demimpex était l’origine du groupe. C’est une société que j’ai créée en 1991. Fin 2011, quand nous avons signé la fusion avec le groupe Optorg pour consolider nos périmètres d’activités dans le secteur automobile, nous avons apporté Demimpex à l’entité Tractafric Motors corporation (TMC). Mais aujourd’hui, nous sommes complètement sortis du monde automobile par la cession de nos 40% que nous avions dans TMC. Par contre, en 2011, au moment de l’apport dans TMC, nous avons sorti notre activité de distribution des marques Hitachi et John Deere pour constituer DemGroup. En abréviation, c’était également Demimpex. Nous avons donc laissé les trois initiales de mon nom de famille pour créer DemGroup qui est toujours dans le périmètre du groupe SDA. Donc, ce qui reste de Demimpex c’est DemGroup qui représente les marques John Deere, John Deere agriculture et Hitachi sur le continent africain. L.C.K.: Quel chiffre d’affaires (CA) génèrent toutes vos activités en RDC ? P.d.M. : L’hôtellerie représente une vingtaine de millions de dollars de chiffre d’affaires. Dematco représente également vingt millions de chiffre d’affaires. GCK, par l’activité de la chaux, ne représente qu’une petite dizaine de millions de CA mais avec un énorme projet de cimenterie qui, à terme, pourrait évoluer vers deux cents millions de CA. Les activités de distribution doivent représenter une dizaine de millions de CA. L.C.K. : Combien de personnes employez-vous aujourd’hui en RDC ? P.d.M. : Nous employons à peu près cinq cents personnes dans les hôtels, quatre cents dans la construction et à peu près trois cents personnes pour toutes nos autres activités. L.C.K.: Quels sont les défis et les opportunités pour les entrepreneurs en RDC ? P.d.M. : Aujourd’hui, le défi est de rendre la RDC moins sensible à la fluctuation des cours des matières premières. Ce n’est pas spécifique à la RDC mais à toute l’Afrique, où finalement toutes les économies sont très dépendantes des cours des matières premières. Le défi est donc d’industrialiser l’économie dans les pays africains. Aujourd’hui, beaucoup de produits sont importés des quatre coins du monde, notamment de la Chine, alors que nous avons toutes les ressources nécessaires pour produire localement. Dans un pays aussi riche que la RDC, nous devons importer aujourd’hui des pays voisins des denrées de base telles que le maïs ou de la farine, alors que nous avons tout pour développer des économies locales. Notre mission, en tant qu’entrepreneur, est de montrer l’exemple puisque nous connaissons bien ces économies. Nous devons attirer les investisseurs étrangers pour venir à nos côtés afin d’industrialiser ces économies. A côté des efforts du secteur privé, le gouvernement doit inciter l’investisseur étranger avec des mesures concrètes, à savoir des exonérations sur le bénéfice pendant la période d’investissement et la facilitation des démarches administratives. Ce sont des mesures d’accompagnement que la majorité des gouvernements africains devrait prendre pour attirer les investisseurs étrangers dans leurs pays. L.C.K : On dit toujours qu’il est difficile de faire des affaires en RDC. Comment arrivez-vous à tirer votre épingle du jeu dans ce pays ? P.d.M : C’est très difficile aujourd’hui, même pour nous qui connaissons très bien le pays, de tirer notre épingle du jeu… tout simplement parce que l’économie est en crise. Le gouvernement est en restriction budgétaire. Le fisc essaye de tirer le maximum de revenus des opérateurs économiques dont nous faisons partie. Nous sommes aujourd’hui très contrôlés par le fisc qui est dans sa politique de maximisation des recettes. Actuellement, il est effectivement difficile de faire des affaires en RDC, au regard du contexte économique qui est très compliqué. L.C.K: Quels sont les secteurs à fort potentiel en RDC ? P.d.M. : Il y a énormément de secteurs : l’énergie, les infrastructures, les BTP et l’industrie au sens large. La RDC est un pays encore très « vierge » économiquement, où il y a moyen de développer des activités dans de nombreux secteurs. L.C.K. : Ce sont des secteurs qui vous intéressent ? P.d.M. : Notre groupe cherche aujourd’hui à se recentrer sur son métier de base qui est la distribution de matériels roulants au sens large. Le monde, en Europe ou en Afrique, devient de plus en plus concurrentiel. Depuis 2015, nous avons investi dans des réseaux de distribution en Europe pour essayer de rééquilibrer les chutes de revenus brutales que nous avons subies sur le continent africain. Ces chutes sont souvent liées aux contextes géopolitiques ou macroéconomiques, notamment avec la chute des cours de matières premières. En parallèle, nous avons donc investi dans la distribution en Europe avec l’acquisition du réseau de Volvo Construction sur la région Benelux en juillet 2015, puis avec l’acquisition du réseau de distribution de Volvo Construction en Grande-Bretagne cette année. Aujourd’hui, notre volonté est de rééquilibrer nos revenus. Nous venons d’un groupe historiquement africain, où nous avions 100% de nos revenus générés en Afrique. Mais aujourd’hui, nous souhaitons parvenir à rééquilibrer nos revenus entre l’Afrique et l’Europe, afin de renforcer la solidité de notre groupe. L.C.K. : Quels sont vos projets en RDC ? P.d.M. : Notre plus gros projet est la construction de la cimenterie au Katanga, avec le développement d’une capacité d’un million de tonnes aux côtés d’un partenaire de premier choix. Comme nous l’avons fait pour l’hôtellerie, nous voulons nous adosser à un partenaire actif dans le secteur de la cimenterie qui nous accompagnera dans la construction et la gestion de cette belle industrie. Nous avons déjà présélectionné quelques candidats qui seraient susceptibles d’investir avec nous. Par ailleurs, nous comptons également développer notre pôle agricole, en accompagnant la mécanisation agricole au pays. Dans les moments de crise, le développement de l’agriculture me semble une réponse efficace pour contribuer au développement économique et à la paix sociale. Aujourd’hui, le coût de l’importation liée à la dévaluation du franc congolais face au dollar est réellement un problème pour la population. Le coût des matières premières importées est grandissant pour la population au jour le jour avec une inflation galopante sur les prix. Nous pourrions largement limiter cela par le développement de l’agriculture comme l’ont largement compris d’autres pays comme la Zambie, le Zimbabwe, le Sénégal ou encore la Côte d’Ivoire. Patrick Ndungidi Légendes et crédits photo :Photo1 et 2 Philippe de Moerloose. Crédits photos SDA Notification:Non |