Jeunesse africaine : bombe à retardement ou opportunité ?Jeudi 7 Août 2014 - 15:30 La question de la jeunesse africaine mobilise au-delà du continent. Pendant que les autorités et les entrepreneurs africains luttent contre le chômage, les investisseurs étrangers veulent décrypter ce gisement que représente cette jeunesse D’autres raisons existent de s’intéresser davantage à la jeunesse du continent, composé de 200 millions d’habitants âgés de 15 à 24 ans. Selon un rapport Perspectives économiques en Afrique 2012, établi entre la Banque africaine de développement (BAD), le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), la Commission économique pour l’Afrique (CEA) et l’Ocde, ce chiffre devrait doubler d’ici à 2045. Mais le taux de chômage de la jeunesse africaine, très inquiétant, est souvent mis en parallèle avec la croissance économique rapide du continent. La BAD estime le taux de chômage en Afrique subsaharienne à 6% alors que 6 des 10 économies à la croissance rapide du monde se trouvent dans la région. Dans la plupart des pays africains, le chômage des jeunes est au moins deux fois supérieur à celui des adultes, précise la BAD. Selon la Banque mondiale (BM), les jeunes représentent 60% de l’ensemble des chômeurs en Afrique subsaharienne, et 30% en Afrique du Nord. Quant aux jeunes femmes, elles sont les plus touchées, selon la BAD. Elles connaissent plus de difficultés à obtenir un emploi à niveau d’expérience et de compétences égal. Le sous-emploi masque la réalité dans les pays à faible taux de chômage Un rapport de la Brookings Institution, note que les statistiques du chômage en Afrique ne tiennent pas compte des emplois précaires et du sous-emploi dans le secteur informel. « Les jeunes [africains] trouvent du travail, mais pas à des rémunérations correctes et sans la possibilité de perfectionner leurs compétences ou d’avoir une certaine sécurité de l’emploi », d’après le rapport, qui nous apprend que plus de 70% des jeunes du Congo, de la RD Congo, d’Éthiopie, du Ghana, du Malawi, du Rwanda, du Sénégal et d’Ouganda sont à leur compte et contribuent à des activités familiales. Pour l’Organisation internationale du travail (OIT), le sous-emploi ne constitue pas une solution à la pauvreté. 82% des travailleurs africains seraient des « travailleurs pauvres ». Le rapport Perspectives économiques en Afrique ajoute que plus de 70% des jeunes Africains vivent avec moins de 2 dollars par jour, le seuil de pauvreté défini à l’échelle internationale. Le chômage des jeunes, une réalité inacceptable Pour l’économiste en chef de la BAD, Mthuli Ncube, « cette réalité est inacceptable ». Le ministre zambien des Finances, Alexander Chikwanda, y voit une « bombe à retardement » dangereusement proche de l’explosion sur un continent où chaque année près de 10 à 12 millions de jeunes arrivent sur le marché du travail. Évoquant la situation au Nigéria, le journaliste Ahmad Salkida explique que bien que la motivation de la secte Boko Haram soit principalement idéologique, l’omniprésence du chômage dans le nord du pays facilite le recrutement des jeunes. La Décennie de la jeunesse africaine, pourquoi faire ? La décennie 2009-2018 a été proclamée la Décennie de la jeunesse africaine. Il a été décidé de mobiliser des ressources conséquentes dont celles du secteur privé, en faveur de la promotion des jeunes. Le plan d’action prévoit la nécessité de lutter contre le chômage et le sous-emploi. À mi-chemin, le compte n’y est pas pour des emplois sûrs, décents et compétitifs. Les actes n’ont pas été joints à la parole dans la plupart des pays. Excepté dans certains pays comme le Ghana qui a mis en place un service national de la jeunesse et des programmes d’autonomisation visant à doter aux diplômés de l’enseignement supérieur des compétences requises et à les aider à trouver un emploi. Ou Maurice qui a mis en place un plan incitatif pour les jeunes tourné vers l’enseignement technique et la formation professionnelle. Ou encore la Zambie qui a adopté une politique nationale pour sa jeunesse en créant un fonds pour les jeunes entrepreneurs pour stimuler la création d’emplois. Mais l’effet de ces initiatives nationales reste à évaluer, tout en appelant qu’il n’y a pas de solution miracle. Renforcer et diversifier les mécanismes de création d’emplois Mthuli Ncube recommande le renforcement des mécanismes de création d’emplois. La BM propose une stratégie accordant plus d’attention au développement rural et à l’investissement dans l’agriculture, tenant compte de l’exode rural et qui prépare les jeunes au marché du travail, compte tenu des effets désastreux de l’afflux des jeunes vers les zones urbaines en Afrique, sur le chômage. C’est le cas de la Brookings Institution qui préconise que l’accent soit mis sur la production industrielle, considérant que c’est le secteur le plus étroitement associé à une forte croissance de l’emploi. Elle encourage également l’accroissement des investissements dans l’agriculture, le tourisme, le bâtiment et dans des projets qui emploient des jeunes. Le Pnud demande un accroissement des investissements dans l’agriculture, et juge inacceptable que les gouvernements africains consacrent plus d’argent à l’armée qu’à l’agriculture. La CEA note que ce sont les secteurs des mines et des métaux qui attirent des investissements étrangers directs en Afrique, alors qu’ils produisent peu d’emplois. L’Ocde invite à la diversification des investissements. D’autres analystes s’accordent davantage sur la nécessité d’intégrer dans les programmes scolaires africains l’acquisition de compétences et entrepreneuriat. La Brookings Intitute met en urgence l’accent sur l’enseignement post-primaire. Tout n’est pas perdu cependant, estime le rapport, reconnaissant en la jeunesse africaine, dont le nombre ne cesse de croître, beaucoup d’énergie de créativité et de talents dont dépend « la prospérité future ». Même sans formation, cette jeunesse surfe avec la révolution numérique et technologique pour se créer un meilleur avenir, et avec d’autres secteurs. Noël Ndong |